Pour l'amour de Pete

Roman gay inédit - Tome II - Brian et Pete

Chapitre 1 - Amour et haine

L’avion se posa, et je fus accueilli par Kévin et Pete. Après les avoir salués, je fis le récit de tout ce qui s’était passé depuis mon départ, de mes adieux à Danny et Chris à ma dernière journée au lycée, en passant par la réaction inattendue de Brent. Pete me donna les dernières nouvelles de notre nouveau lycée.

Apparemment, la nouvelle de mon arrivée prochaine s’était déjà répandue. Peu avant mon bref retour chez moi, j’avais eu le malheur d’être désigné pour une démonstration de lutte en cours de sport. Mon adversaire était un élève de terminale qui faisait partie de l’équipe de lutte du lycée. Seulement voilà, j’avais été en finale du championnat régional l’année précédente, et quand l’élève, qui se prénommait Brent, curieux hasard, avait tenté une prise maladroite, j’avais contre-attaqué et l’avais plaqué au sol. Il avait plutôt mal pris sa défaite, évidemment. Il avait essayé de m’entraîner dans une bagarre ce jour-là et n’avait échoué qu’en raison de l’intervention d’un prof.

Depuis, Brent faisait courir la rumeur selon laquelle j’aurais triché pour le battre, et racontait à qui voulait l’entendre qu’il allait me faire la peau.

– Il est encore vraiment remonté, Bri. Est-ce que tu crois que c’est bien prudent de rejoindre l’équipe de lutte ?
– Bien sûr ! J’adore la lutte, et tu le sais.

Pete acquiesça, mais avait l’air inquiet. Nous savions tous deux que je pouvais triompher de Brent dans un combat individuel, mais il était peu probable qu’il m’attaque seul. Il pouvait compter sur sa bande pour lui donner un coup de main. Heureusement, Jason, le frère adoptif de Pete, avait son propre groupe d’amis, et ils me viendraient en aide si une bagarre éclatait. J’étais sous leur protection. L’avenir dirait si j’en aurais besoin.

– J’espère que tu sais ce que tu fais. Il a vraiment envie de te coller une raclée.
– Ne t’inquiète pas, mon coeur. Je n’ai pas peur de lui.
– Je sais. Je me fais surtout du souci pour la vingtaine d’autres mecs avec qui il traîne.
– Nous aviserons en temps voulu. Vraiment,  Pete, il n’y a pas de quoi s’inquiéter.

Il me sourit et articula silencieusement « menteur ».

Nous atteignîmes le retrait des bagages après une longue marche. Pete m’aida à récupérer mes valises et un carton assez imposant, qui contenait une partie de mes vêtements et de mes effets personnels. A nous trois, nous parvînmes à hisser mes affaires sur un chariot et à les faire rentrer dans le minivan. Pete monta à l’arrière avec moi et se pencha pour fermer la porte coulissante. Au passage, il me plaqua contre mon siège et m'embrassa fougueusement sur la bouche, tout en frottant son entrejambe contre moi.

– Hum, les garçons, est-ce que vous pourriez remettre ça à plus tard ? J’aimerais rentrer à la maison et je n’ai pas spécialement envie de faire les cent pas en attendant que vous ayez terminé.

Nous lui adressâmes un regard innocent et répondîmes « Comment ? »  en chœur. Il se contenta de secouer la tête en souriant et démarra la voiture. Pete et moi nous tînmes la main pendant tout le trajet jusqu’à la maison des Patterson à Hillsboro. Je passai mon bras autour de ses épaules en chemin.

– Tu m’as manqué, Pete.
– Tu m’as manqué encore plus.

J’esquissai un sourire et nous nous lançâmes dans le jeu du « Qui a manqué le plus à qui ». Kévin devait nous trouver insupportables.

Il se retourna brièvement et dit :

– Vous êtes écœurants, les garçons. Je pensais que Sharon et moi étions déjà des cas désespérés, gloussa-t-il, mais vous êtes pires. Mettez-vous d’accord sur le fait que vous vous êtes manqués mutuellement et restez-en là. Sinon, je n’aurai jamais la paix.

Pete et moi échangeâmes un regard et répondîmes de concert : « Oui, Papa ! »

– Vous êtes vraiment incorrigibles ! dit-il en éclatant de rire, avant de reprendre son sérieux. Je suis fier que vous fassiez partie de la famille – tous les deux. Quand je vous vois, ça me donne de l’espoir pour l’humanité. Vous avez tant à donner. Nous avons de la chance de vous avoir. Vous comptez beaucoup pour nous.

Les paroles de Kévin me mirent mal à l’aise. Je ne me considérais pas comme quelqu’un d’exceptionnel. J’étais juste un garçon comme les autres. Je n’avais aucun talent particulier et je n’arrêtais pas de commettre des erreurs. J’étais un adolescent lambda.

Le temps était frais, et des nuages menaçants recouvraient la ville, plongeant toute la région dans une ambiance sinistre. Nous arrivâmes à destination, et Kévin nous aida à transporter le carton dans la chambre de Pete, ou plutôt dans notre chambre. Au moment où je m’apprêtais à descendre pour chercher mes valises, Kévin m’attrapa par le bras pour me retenir. Pete poursuivit son chemin dans les escaliers.

Kévin me serra contre lui dans une étreinte paternelle.

– Je suis si content que tu sois là. Toi et Pete méritez d’être ensemble.

Il me relâcha et me tint par les épaules.

– Si tu as besoin de quoi que ce soit, dit-il en me regardant dans les yeux, si tu as la moindre chose à nous demander, n’hésite pas à venir nous voir, moi ou Sharon. Peu importe s’il s’agit de quelque chose d’important ou d’insignifiant à tes yeux.  Nous sommes comme des nouveaux parents pour toi. Sois le bienvenu chez nous. Tu fais partie de la famille, maintenant.

Il me prit de nouveau dans ses bras, en me serrant un peu plus fort cette fois-ci, puis me relâcha.

– D’accord ?
– D’accord.

Son regard se durcit un peu.

– D’accord ! Je vais très bien pour le moment.
– Je sais. Je le vois bien. Mais nous sommes là, de jour comme de nuit. Evite simplement de nous réveiller à deux heures du matin avec des questions de sexualité.

Il m’ébouriffa les cheveux en souriant.

– Va chercher ton autre valise. Est-ce que tu as mangé quelque chose ?
– J’ai juste grignoté dans l’avion. Je n’arrivais pas à manger ce matin. Mon estomac ne voulait rien savoir.
– Je vais te préparer quelque chose rapidement alors. J’ai faim aussi.

Je croisai Pete dans l’entrée, qui se débattait avec une de mes valises.

– Est-ce que tu as besoin d’aide ?

Il posa la valise.

– Non, ça va. Va juste chercher l’autre.
– D’accord.

Quand je revins avec la deuxième valise, Pete avait déjà ouvert la première et accrochait mes vêtements dans le placard, à côté des siens. Je m’assis sur la valise que je portais et l’observai pendant quelques secondes. Il portait un jean et un polo qui mettaient son corps en valeur. Ses yeux bleus et ses cheveux blond cendré complétaient le tableau. Il était magnifique.

– Comment ?

Je sortis de ma rêverie, sursautant légèrement.

– Non, rien. Je contemplais un être parfait.

Un sourire timide se dessina sur son visage alors qu’il s’approchait de moi. Il me souleva pour me mettre debout. Il était nettement plus grand que moi, avec ses 1,78 m. Je ne mesurais que 1,63 m.

Il plongea son regard dans le mien. D’une certaine façon, le fait qu’il était plus grand que moi était rassurant. Je me sentais en sécurité avec lui, comme s’il pouvait me protéger de tous les maux. Ses bras étaient une armure derrière laquelle je pouvais m’abriter. En lisant son regard, l’amour qu’il ressentait pour moi était évident, et ne demandait qu’à s’exprimer. Il se pencha pour m’embrasser doucement, amoureusement, avec une tendresse que je n’avais jamais ressentie jusqu’alors. Il interrompit le baiser mais garda son front collé au mien, sondant mon regard une fois de plus.

– Je t’aime tellement, Brian. Ma place est ici. Je veux passer le reste de mes jours avec toi, si tu veux bien de moi.

Je regardai plus profondément dans ses yeux, jusqu’à entrevoir son âme. Je me sentais si bien. Mais comment gérer le lourd fardeau que je portais avec moi ? Toute cette souffrance accumulée, toutes ces émotions enfouies… Avais-je le droit de les infliger à Pete ?

– Je t’aime aussi, Pete, mais j’ai peur.
– Pourquoi ? Nous sommes ensemble, maintenant et pour toujours. Qu’est-ce qui t’effraie ? Tu n’as pas envie d’être avec moi ?
– Bien sûr que si ! Crois-moi. Mais j’ai peur de te blesser, de te tirer vers le bas avec mon passé. J’ai encore tellement de colère en moi et je ne veux pas…

Il posa un doigt sur mes lèvres, me réduisant au silence. Il me parla à voix basse en souriant.

– Bri, je sais que tu as encore des choses à régler. Moi aussi. Mais je t’interdis de fuir parce que tu crois que je ne peux pas m’occuper de toi et de ce que tu traverses. Je veux t’aider à surmonter tes difficultés. Je serai là pour parler avec toi, pleurer avec toi, tout ce que tu voudras. Et j’espère que tu seras prêt à en faire autant pour moi.
– Bien sûr, mais…
– Pas de mais. Je t’aime. C’est comme ça. Je ne vais pas m’en aller. Tu comptes trop pour moi, et je ne pourrais jamais t’abandonner.

Je reposai ma tête contre sa poitrine pendant quelques instants, écoutant les battements de son cœur.

– Pourquoi ?
– Hein ? Pourquoi quoi ?
– Pourquoi est-ce que tu m’aimes ? Pourquoi est-ce que tu veux rester avec moi ? Je n’ai rien à te donner, et ma vie est un vrai champ de bataille.
– Brian, tu ne vois donc pas ? Tu as tellement de choses à donner que je ne sais même pas par où commencer. Tu es un sportif accompli et un crack à l’école. Tu es un ami fidèle, ce qui est rare dans ce bas monde. Tu as du cœur, et tu fais preuve d’un courage que je t’envie, avec tout ce que tu dois affronter. Tu as une force intérieure qui est communicative. Et par-dessus tout, j’adore ton corps musclé.

Il esquissa un sourire. Je levai mon regard vers le sien.

– Tu crois vraiment ce que tu dis ?
– Comment ça ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.
– C’est juste que… Personne ne m’a jamais parlé comme ça avant. Je ne suis qu’une personne ordinaire.
– Non, ce n’est pas vrai. Tu es bien au-dessus de la moyenne, Brian. Pour moi, tu es parfait, et je me fiche des défauts que tu imagines avoir. Je m’intéresse à toi. C’est toi que j’aime, et tout ce qui va avec. Est-ce que tu comprends ?

Je comprenais sa logique. Tout ce qu’il disait était vrai, et mon cerveau y croyait. Mais dans mon cœur, j’avais encore l’impression d’être insignifiant. Ce constat me frappa au plus profond de mon être.

– Je comprends, Pete. Mais mon cœur me dit que je ne peux avoir de valeur pour personne.

Alors que je sentais les larmes me monter aux yeux, je me laissai tomber dans ses bras et le serrai fort contre moi. Il fit un pas chancelant vers le fauteuil du bureau et m’installa sur ses genoux, m’entourant de ses bras pour me consoler. Je reposai ma tête sur son épaule en sanglotant. Il me caressa les cheveux en me chuchotant à l’oreille que tout allait bien se passer, et qu’il serait toujours présent auprès de moi.

Sharon choisit ce moment pour faire son apparition. Elle ouvrit la porte et me vit en train de pleurer.

– Est-ce que tout se passe bien, ici ?
– Bien. Très bien.

Le ton de Pete était sec, mais Sharon perçut l’inquiétude dans sa voix. Elle décida sagement de ne pas intervenir, et referma la porte derrière elle. Aussi brève que fut son intrusion, elle me permit de recouvrer mes esprits. Je me levai et me frottai les yeux, furieux intérieurement à l’idée de m’être montré faible, surtout devant Sharon. Encore quelques respirations et j’étais redevenu le Brian stoïque habituel.

– Ça va, Bri ?
– Non, mais je survivrai.

Il haussa les sourcils alors que j’esquissais un sourire emprunté. Pete me comprenait mieux que quiconque. Il savait ce que c’était de se sentir insignifiant. Mais alors que j’avais toujours ce sentiment, Pete, au fond de lui, avait commencé à croire qu’il valait quelque chose. Il savait que ce genre de problème pouvait être surmonté. Il était également conscient que j’avais besoin d’aide pour y arriver.

– Si tu veux en parler, tu sais où me trouver, d’accord ?
– Oui, je sais.

Je reniflai et me frottai les yeux de nouveau.

– J’ai horreur de ça.
– De quoi ?
– De craquer comme ça. Je devrais être assez fort pour me contrôler, maintenant.
– Brian, combien de fois est-ce que je vais devoir te répéter que c’est tout à fait normal de pleurer ? Ça t’aide à soulager la tension émotionnelle que tu portes en toi. C’est une bonne chose. Et je pense toujours qu’il faut être plus fort pour pleurer que pour cacher ses émotions.
– Peut-être…
– Pas de peut-être. C’est la vérité.

Je haussai les épaules.

– Si tu le dis. En attendant, j’ai faim. Pas toi ?

Pete acquiesça. Il devait se demander si mon changement d’humeur était vraiment sincère.

Je me levai, et nous descendîmes à la cuisine. Kévin avait posé des sandwichs sur la table et réchauffait de la soupe.

– Je me demandais si j’allais devoir monter vous chercher.

Il aperçut mes yeux rougis par les larmes et jeta un coup d’œil à Pete que je n’étais pas censé voir. Je n’étais pas non plus censé voir Pete secouer la tête en guise de réponse.

– Bien. La soupe est prête. Sers-toi.

Je ne me fis pas prier. Deux bols de soupe et trois sandwichs plus tard, j’étais rassasié.

– Est-ce que tu es certain de ne pas avoir un trou noir à la place de l’estomac ? Je savais que Pete avait de l’appétit, mais toi…
– Je suis en pleine croissance ! Je dépense aussi beaucoup d’énergie, donc je dois faire le plein.
– Pete, je crois que je vais commencer à te facturer les repas de ton petit ami. Sinon nous serons obligés de vendre la maison pour le nourrir ! dit Kévin en souriant.
– Si tu insistes, je paierai. Mais alors nous serons plus exigeants sur le service ! répondit Pete en retournant son sourire à Kévin, qui me jaugeait du regard.
– Je pense que nous arriverons à le nourrir pour l’instant. Mais si son appétit augmentait, il est possible que j’accepte ta proposition. Quant au service, il faudra que vous vous preniez en main.

Kévin essayait d’étouffer un rire et échouait lamentablement. Mon visage rouge écarlate ne faisait que l’encourager.

– Nous ne t’avons pas attendu pour ça, Kévin, répondit Pete avec un sourire en coin. Pourquoi est-ce que je paierais pour quelque chose que j’ai déjà gratuitement ?

Je ne fis que rougir davantage.

– D’accord, tu marques un point. Désolé, Brian, mais je ne pouvais pas résister.
– Il n’y a pas de mal.
– Est-ce que tu es sûr ? Si ça te met mal à l’aise, dis-le-moi.
– Je n’y manquerai pas, répondis-je avec un sourire. Tu ne perds rien pour attendre. Tu pourrais te retrouver enfermé dehors en caleçon, par exemple. Ce serait bien mérité ! Qu’en penses-tu, Pete ?
– Euh, Kévin ? Je crois que tu ferais bien de rester dans les petits papiers de Brian. Il ne joue pas à la régulière.
– Je prends ça comme un défi alors, Brian. Que le meilleur gagne !
– J’en ai bien l’intention.

Nous échangeâmes une poignée de main cordiale, tout en échafaudant des stratégies de revanche.

La fin de la journée fut consacrée au rangement de mes affaires et à la préparation à ma première vraie journée au lycée. J’avais déjà mes vêtements et la plupart de mes affaires scolaires, ce qui nous dispensa de faire des courses supplémentaires. Après le dîner, j’invoquai la fatigue pour me retirer dans notre chambre, en espérant que Pete me suive. Je me déshabillai et grimpai dans le lit. Environ vingt minutes plus tard, Pete entra et ferma la porte derrière lui.

– Tu discutais avec Kévin et Sharon à mon sujet, devinai-je.
– Ils sont inquiets pour toi, Bri.
– Je sais. Je m’en suis aperçu. Mais je ne sais pas ce que je dois faire.
– Moi aussi, je m’inquiète pour toi.
– Je suis désolé. Il y a beaucoup de choses auxquelles je dois m’habituer. Je ne suis pas encore prêt pour leur parler. Peut-être un peu plus tard, mais pas maintenant.
– Est-ce que tu as peur de m’en parler, à moi aussi ?

Je ne répondis pas tout de suite. Je pris le temps de réfléchir longuement. La préoccupation laissa place à l’inquiétude sur son visage à mesure que le silence se prolongeait.

– Quelquefois.
– Pourquoi ?

Il se déshabilla pendant que je me livrais à une nouvelle introspection.

– Parce que j’ai peur de dire quelque chose qui puisse ruiner notre relation. Je t’aime, Pete. Tellement que j’en ai mal. Je n’ai pas envie de tout gâcher. Parfois je me sens tellement mal que je ne sais pas par où commencer, et j’ai l’impression que si je commence, je ne pourrais plus m’arrêter. J’ai peur que tu me considères comme quelqu’un de faible et que tu ne veuilles plus de moi.

Pete éteignit la lumière et grimpa dans le lit avec moi. Il me serra contre lui, et je reposai ma tête sur son épaule alors qu’il me caressait les cheveux. Sa voix était douce.

– Brian, je pensais que nous avions épuisé le sujet et que tu me croyais, mais je m’aperçois que j’avais tort. Ce n’est pas de ta faute, dit-il en devançant mes objections, c’est ta façon d’être. Je sais maintenant que tu as besoin de ressentir les choses pour les croire, et que tu as besoin de preuves d’amour en permanence. Alors je recommence.

– Tu es ma vie, Brian Andrew Kellam. Je t’aime. J’aime ton esprit, ta personnalité, ton corps, la façon dont tu fronces les sourcils quand tu réfléchis, la façon dont tu m’embrasses quand tu es d’humeur câline. J’aime quand tu te sens suffisamment en sécurité avec moi pour pleurer. Je pourrais continuer la liste encore longtemps, mais je sais que le fait de l’entendre ne suffit pas. Il n’y a qu’une seule façon de te prouver combien je t’aime.

Je compris où il voulait en venir et réagis immédiatement, redressant la tête pour lui faire face.

– Non ! Nous attendrons comme prévu ! Je sais que tu m’aimes. Tu me le montres tout le temps. Tu n’as pas besoin de faire ça juste parce que mon cœur n’arrive pas à le croire. Que tu sois prêt à renoncer à ta virginité pour moi est une preuve suffisante.

Il roula sur le côté, son visage près du mien.

– J’en ai envie, Brian. Je veux le faire pour toi.
– Non ! Je ne veux pas que tu le fasses parce que tu as pitié de moi. Je veux que ce soit un moment inoubliable.
– Ça le sera.
– Non !
– D’accord, Bri. N’en parlons plus. Qu’est-ce que je peux faire, alors ?

Je lui souris et l’attirai contre moi. Il était nu et excité.

– Surprends-moi.


Le réveil sonna bien trop tôt. Pete avait bondi pour l’arrêter, puis était revenu dans le lit et m’avait enlacé dans ses bras.

– Bonjour, Bri. Prêt pour le lycée ?
– Non. Je n’ai pas envie de sortir du lit. J’ai envie de rester ici avec toi toute la journée, dis-je en m’agrippant à lui pour souligner mon propos.
– Moi non plus, je ne veux pas me lever. Je préfèrerais passer la journée au lit à jouer avec toi, poursuivit-il en obtenant un sourire de ma part, mais Sharon sera là d’un moment à l’autre pour nous tirer du lit et s’assurer que nous ne serons pas en retard.
– D’accord, d’accord, alors levons-nous avant que je ne change d’avis.

Je lui donnai un baiser rapide sur la joue (l’haleine du matin) et roulai pour sortir du lit.

Sharon frappa à la porte au moment où je l’ouvrais pour aller prendre ma douche. Apercevant Pete en train de s’activer derrière moi, elle dit :

– Bien ! Je me félicite de ne pas avoir à vous tirer du lit par la force. Certaines personnes n’arrivent pas à se faire violence le matin.
– Je me soigne ! rugit Kévin depuis leur chambre, réveillant toute personne qui aurait encore été endormie.

Je gloussai en ouvrant le robinet d’eau chaude. Comme d’habitude, je pris une douche rapide, me séchai et retournai m’habiller dans la chambre, croisant Ray en chemin.

– Bonjour, Ray.
– Bonjour, Brian.
– Comment va Jared ?
– Euh, il va bien, répondit-il en rougissant légèrement. Il a demandé de tes nouvelles samedi. Je lui ai dit que tu viendrais en cours aujourd’hui.
– Vous vous entendez bien, tous les deux, non ?
– Euh, oui, on peut dire ça, dit-il en rougissant davantage. J’étais chez lui vendredi et samedi.
– J’espère que vous vous êtes bien amusés, commentai-je avec un sourire entendu.
– Oui, c’était génial, dit-il avec des étoiles dans les yeux. Je ne savais pas que ça pouvait être comme ça.
– Je comprends ce que tu veux dire, Ray. Allez, va prendre ta douche. Tu ne voudrais pas nous mettre en retard, si ?
– Non, j’y vais.

Son regard était toujours perdu dans le vide. Je ne pus m’empêcher d’étouffer un rire.

Une fois habillé et préparé, je descendis dans la cuisine pour le petit-déjeuner. Pete entra dans la salle de bains quand je quittai la chambre. Kévin et Sharon étaient déjà à table. Je me servis une assiette, puis une deuxième, et je remplissais la troisième quand Pete descendit avec Ray. Ils murmurèrent un « bonjour » en se dirigeant droit vers la nourriture. Kévin gloussa en secouant la tête.  On aurait pu penser qu’après avoir élevé deux adolescents, il aurait su à quoi s’attendre. Il semblait que non.

– J’ai bien fait de prévoir davantage de nourriture. Avec vous trois, nous devrions peut-être songer à acheter un plus grand réfrigérateur.

Sharon souriait aussi.

– Cette tenue te va bien, Brian. N’est-ce pas celle que Pete t’a achetée ?

Pete sursauta quand elle évoqua mes vêtements. Il tourna la tête vers moi si brusquement que j’eus peur pour ses cervicales.

– Oui, en effet. J’aime beaucoup cette tenue. Peut-être que j’achèterai d’autres chemises et des Dockers pour aller avec.
– Oui, et je t’aiderai à les choisir ! dit Pete en me faisant un grand sourire, que je lui retournai.

Il était désarmant.

– Eh, vous deux, gardez-ça pour votre chambre, intervint Ray, égal à lui-même.
– C’est là que vous l’avez fait avec Jared ? Je crois me souvenir que tu avais mentionné une douche…
– Eh ! Je n’ai jamais rien dit à propos d’une douche !
– Mais tu ne le nies pas ?
– Pourquoi le nierais-je ?
– Ça suffit, les garçons !

Kévin essayait de lire son journal en dépit de nos chamailleries.

– Autant j’adorerais connaître tous les détails sordides de vos vies sexuelles, je ne crois pas que ce soit le bon moment.

Jason fit son apparition.

– Connaître quoi, Papa ?
– Il me pose des questions sur ma vie sexuelle.
– Bien sûr, Ray. Papa t’interroge sur ta vie sexuelle. Ou plutôt ton absence de vie sexuelle.

Jason esquissa un sourire. Nous aimions bien taquiner Ray. Celui-ci nous dévisagea à tour de rôle, sa frustration clairement apparente.

– Très bien ! Je vous ramènerai les préservatifs usagés. 
– Ça ne voudrait rien dire. Tu serais capable de les remplir tout seul dans ta chambre.

Jason avait l’air de vouloir pousser Ray dans ses derniers retranchements.

– J’ai dit assez ! Et ne t’avise pas de ramener quoi que ce soit, Ray, même pas en rêve. Vous allez être en retard pour l’école. Dépêchez-vous. D’ailleurs, où est Joanne ?
– Je l’ai réveillée avant de descendre, Papa, répondit Ray entre deux bouchées. Elle s’est probablement rendormie.
– Je vais la réveiller de nouveau. J’ai terminé, de toute façon, dit Sharon en se levant.
– Eh, Brian, est-ce que tu vas rejoindre l’équipe de lutte ? Ils ont déjà commencé l’entraînement il y a quelques semaines.
– Ça me tenterait bien. On verra comment ça se passe. Est-ce que tu penses que ça poserait un problème ? demandai-je à Jason, en me tournant vers lui.
– Ça se pourrait. J’ai dit à tout le monde que tu venais en cours aujourd’hui. Nous t’aiderons à trouver la meilleure solution.
– Excusez-moi, mais est-ce qu’il y a quelque chose que je devrais savoir ?
– Ne t’inquiète pas, Papa. Nous allons nous débrouiller.
– S’il arrivait quelque chose à l’un d’entre vous, je serais très en colère, dit Kévin en nous toisant du regard.

Je me préparais déjà à entrer en mode combat. La perspective d’un affrontement inéluctable faisait grimper mon taux d’adrénaline, et ma réponse à Kévin ne fut pas la plus intelligente qui soit :

– Je ne ferai de mal à personne, sauf si quelqu’un essaie de me faire du mal.
– Brian, dit Kévin en durcissant le regard, toi et moi aurons une discussion à ce sujet quand tu rentreras du lycée. J’aurai quelques questions à te poser.

Je haussai les épaules, déconcerté. Les yeux de Kévin jetaient des éclairs, comme si je lui avais dit d’aller se faire voir. C’était peut-être le cas, d’une certaine façon.

– Très bien, allons-y.

Nous vidâmes nos verres de jus d’orange et engloutîmes ce qui restait dans nos assiettes en nous levant. Après avoir mis nos blousons, nous nous dirigeâmes vers le minivan.

Le froid nous saisit dès que nous franchîmes le seuil de la porte. Le pare-brise du minivan était gelé. Kévin mit le moteur en marche et gratta la glace. Il termina rapidement et nous conduisit au lycée.

Une fois sur place, Kévin se rendit à l’administration pour les formalités d’inscription. Il s’avéra que les seuls cours que j’avais en commun avec Pete étaient l’anglais en première heure, le sport en quatrième heure, juste avant le déjeuner, et la biologie en septième heure. C’était sans doute mieux ainsi. Nous aurions eu du mal à nous concentrer si nous avions été ensemble toute la journée.

Kévin me prit à part dans le couloir, alors que je m’apprêtais à rejoindre ma classe pour la troisième heure de cours. Les deux premières s’étaient écoulées pendant que nous accomplissions les formalités. Il ne s’était pas montré très bavard, ce matin.

– Brian, je veux que tu te tiennes à carreau. S’il t’arrive quelque chose, parles-en à un prof et fais-moi appeler.
– Je ne provoquerai personne. Mais je ne me laisserai pas faire non plus.

Il me jeta de nouveau un regard inquisiteur.

– Brian, dans la vie, il faut parfois plus de courage pour éviter une bagarre que pour se battre.
– Je sais, mais je n’ai rien fait de mal. J’ai simplement remporté un combat de lutte dans les règles. Il n’arrive pas à accepter le fait que je l’ai battu. Je ne suis pas grand ; j’avais l’air d’une proie facile. J’ai remis les pendules à l’heure. On me prendra au sérieux, désormais.
– Ta vision des choses n’est pas la bonne. Tu aurais dû…
– Peut-être que ma vision n’est pas la bonne, mais c’est comme ça. Je ne peux pas revenir en arrière, et je ne vais pas m’excuser auprès de lui.

Je marquai une courte pause en piétinant d’impatience.

– Je dois aller en cours. A ce soir.

Je lui tournai délibérément le dos et me dirigeai vers mon cours d’histoire contemporaine sans jeter un regard en arrière. Je ne pouvais qu’imaginer la réaction de Kévin.

Le cours se révéla plutôt ennuyeux. J’avais déjà étudié la plupart des sujets dans mon ancien lycée. Le cours de sport fut intéressant, en revanche. J’étais avec Pete et cet abruti de Brent Hodges. Le cycle de lutte était terminé, ce qui était décevant, mais c’était sans doute un mal pour un bien. Ce jour-là, c’était basket. Le sport préféré des personnes de petite taille, dont je faisais partie. Heureusement, le prof eut la présence d’esprit de nous grouper par taille dans la mesure du possible.

Je découvris que le prof était aussi l’entraîneur de lutte. Il me souhaita la bienvenue et me demanda si je comptais rejoindre l’équipe de lutte pour la saison. Je lui répondis que j’étais intéressé, et il me proposa de venir à l’entraînement le lendemain matin. Il fallait que je sois au gymnase à six heures, ce qui serait peut-être problématique. Il faudrait que je trouve un arrangement avec Kévin et Sharon pour le transport. J’indiquai à l’entraîneur que je viendrais sous réserve que l’on puisse m’emmener.

Brent n’était pas présent en cours ce jour-là, donc il n’y eut aucun incident. Léo, le garçon avec qui je m’étais entraîné après avoir battu Brent, se retrouva dans mon équipe. Il me demanda si je comptais faire partie de l’équipe de lutte, et je lui répondis que j’essaierais, dans la mesure où mon emploi du temps me le permettait.

– Cool ! J’aime bien m’entraîner avec toi. Tu m’as appris plein de choses.

Léo était un garçon de couleur, un peu plus grand et plus lourd que moi. Je savais que nous sympathiserions la dernière fois que je l’avais vu. Il était ouvert et sociable, ce que j’appréciais.

– Tu m’as appris des choses aussi.

Il m’adressa un sourire incrédule.   

– Si tu le dis !

Il me fit une passe et la partie commença. Je ne vis pas beaucoup Pete pendant ce cours, mais le fait de le savoir à proximité me rassurait.

J’aperçus Brent pour la première fois au déjeuner. Il était attablé avec sa bande, mais personne ne m’avait remarqué. Pete et moi avions déjà entamé notre repas quand Jason, Jared et Ray nous rejoignirent. Tout le monde se salua et la discussion démarra.

–  Eh, Jared ! Ray nous a dit que vous avez passé un bon week-end ensemble.
– Oui, d’ailleurs il nous a parlé d’une certaine douche ?

Jared rougit instantanément et décocha un regard noir à Ray.

– Je te jure que je n’ai rien dit, Jar. Rien du tout. Ces jaloux parlent dans le vent.

Ray avait l’air paniqué.

– T’inquiète, répondit Jared en souriant. Ça ne me dérange pas qu’ils soient au courant. Evite simplement de le crier sur les toits, d’accord ?

Ray lui retourna son sourire, et la conversation repartit de plus belle. J’en profitai pour jeter un coup d’œil circulaire aux autres personnes présentes dans la cafétéria. Mis à part le décor, j’aurais aussi bien pu être dans mon ancien lycée. Je crus même reconnaître certaines têtes.

Après le déjeuner, Pete et moi nous séparâmes de nouveau. Il avait cours d’histoire, et moi d’algèbre. M. Thomas avait toujours l’esprit ailleurs, à l’identique de la semaine précédente, quand j’avais accompagné Pete. Je me présentai à lui, ce qui le plongea dans une certaine confusion, comme il essayait de se souvenir où il avait déjà entendu mon nom. Je lui rafraichis la mémoire, et ce fut réglé. Je pris place au fond de la classe, ce qui ne me déplaisait pas. Les maths ne me faisaient pas peur. Je n’avais aucune difficulté à assimiler les nouvelles notions. C’était pareil dans les autres matières. Le prof donna un devoir assez conséquent, mais j’en avais déjà fait plus de la moitié quand le cours se termina.

Sur le chemin de mon casier, dans l’aile d’anglais, j’aperçus Brent de nouveau. Il discutait avec l’un de ses amis devant la classe d’informatique. Sans me démonter, je passai devant lui pour rejoindre mon casier, récupérai mes livres de bio, et repris le chemin en sens inverse vers l’aile des sciences. Rien ne laissa deviner dans l’attitude de Brent qu’il m’avait remarqué.

Je croisai Pete à son casier.

– Salut Brian.
– Ça va, Pete ? Comment était le cours d’histoire ?
– Chiant à mourir. Quel est l’intérêt d’apprendre la numération sumérienne ? Tu peux m’expliquer à quoi ça nous servira plus tard ?
– Je sais. Je pensais la même chose ce matin.

Pete referma son casier et fit un signe de tête vers l’aile des sciences.

– Est-ce que tu as croisé Brent ?
– Oui, je suis passé devant lui en allant à mon casier.
– Est-ce qu’il t’a vu ?
– Je ne crois pas.

Pete marqua une courte pause.

– Il va falloir que tu fasses quelque chose.
– Je sais ! C’est dingue ! Pourquoi est-ce que tout le monde éprouve le besoin de me dire ce que je sais déjà !

Nous parcourûmes le reste du chemin en silence.

En entrant en classe, je m’arrêtai pour me présenter de nouveau au prof, M. Griffith. Il se souvenait de moi et se réjouit de mon retour. Je m’installai à l’une des paillasses vers le fond de la salle. Toutes les tables étaient occupées, à raison de deux élèves par table et trois tables par rangée, sur une profondeur de trois rangées. Six autres paillasses d’une capacité de quatre élèves étaient disposées sur les côtés de la salle. Je m’assis à une table déjà occupée au fond, et Pete prit place au milieu de la seconde rangée.

La biologie était ma matière préférée, avec le sport. Le sujet du cours était les mitochondries. Je m’en souviens très bien, car le prof avait été obligé de m’interroger plusieurs fois pour capter mon attention, tellement j’étais absorbé par le livre. A chaque fois, j’avais donné la bonne réponse. Il m’avait rappelé que le livre ne représentait que la moitié du cours, et que cela m’aiderait si je l’écoutais aussi. Je n’y pouvais rien si le livre était aussi passionnant.

Le cours se termina sans autre péripétie. Quand la sonnerie retentit, tout le monde prit ses affaires pour partir. Mon attention se porta sur un élève en particulier, qui se jeta littéralement vers la porte. Je crus reconnaître son visage de la cafétéria, mais je n’en étais pas certain. Dans le même temps, je surpris le regard de M. Griffith qui le suivait des yeux, en arborant une expression d’agacement mêlée à… de la tristesse ? C’était étrange.

Après avoir rassemblé mes affaires, je me dirigeai vers le bureau du prof. Il leva les yeux vers moi quand j’approchai, le visage plein d’espoir. Pete se plaça sur le côté.

– Que puis-je pour vous, M. Kellam ?
– En fait, je voulais juste m’excuser. J’étais tellement concentré sur le livre que je ne vous ai pas entendu. Désolé.
– Ce n’est pas grave, Brian, répondit-il avec un large sourire. Mais comme je le disais, mon cours est important aussi. Ce que je dis n’est pas écrit dans le livre, donc tu devrais prendre des notes.
– Je le ferai.
– Bien. Et ne te fais pas de souci, Brian. Si tous les élèves m’ignoraient pour cette raison, je serais le plus heureux des professeurs.
– Merci, M. Griffith.
– Bonne fin de journée.

Pete et moi retournâmes à son casier, où il remplit son sac à dos avec les livres dont il aurait besoin pour ses devoirs. Puis il me suivit à mon casier, où je fis de même. Nous nous dirigeâmes vers la sortie, où il était prévu que Kévin ou Sharon viennent nous chercher. Nous étions à peine à mi-chemin quand j’entendis un cri derrière moi.

– Patterson !
– Dépêche-toi, Brian. On bouge !

Je le suivis sans hésiter. Nous quittâmes rapidement l’aile des sciences et entrâmes dans l’aile de l’administration, semant la personne avait interpelé Pete. Alors que nous arrivions à la hauteur du bureau de l’administration, j’entendis des pas lourds derrière nous. Un bras s’abattit sur l’épaule de Pete et lui fit faire volte-face.

– Je te parle, Patterson. Et personne ne me tourne le dos quand je lui parle !

Je me retournai lentement en esquissant un sourire méprisant.

– Bonjour, Brent. Est-ce qu’il y a un problème ?
– Oui, toi !
– Moi ? Je ne suis le problème de personne, sauf de ceux qui me cherchent des problèmes. Alors quoi de neuf ? Tu as une question pour lui ? demandai-je en désignant Pete du pouce.
– On a un compte à régler, toi et moi, gamin.
– Peut-être. Je me réserve pour le tapis. Et toi ?

Son regard était furieux et sa mâchoire tellement serrée que je crus qu’il allait se casser une dent.

– Est-ce que tu as une question ou pas ?

Pas de réponse, juste ses yeux qui jetaient des éclairs.

– Non ? D’accord, alors nous partons. Viens, Pete. Allons-y.

Pete se retourna et sortit. Je fis trois ou quatre pas en arrière pour me couvrir au cas où Brent tenterait une manœuvre irréfléchie, et lui lançai :

– A plus, Brent.

Puis je me retournai et suivis Pete. Dans mon champ de vision périphérique, je vis le principal-adjoint suivre notre altercation. Je croisai brièvement son regard en sortant. Son expression était impénétrable.

Le minivan nous attendait. Jason, Ray, Jared et Pete avaient déjà pris place à bord, me laissant le siège à côté de la porte coulissante. Alors que je m’installais, Brent sortit pour me toiser du regard. Kévin démarra et prit le chemin du retour.

– Bon, je vous écoute. Que s’est-il passé là-bas ?
– Je crois que j’ai pris Brent par surprise. Il n’était pas content de me voir.

Je trouvais que c’était une réponse neutre, mais Pete se sentit obligé de préciser.

– Nous étions sur le chemin de la sortie, et Brent m’a aperçu. Il a appelé après moi, et nous avons continué jusqu’au bureau de l’administration, où il m’a attrapé. Il me criait dessus, et Brian s’est retourné.
– Et après ?
– Après, rien. Brian lui a demandé ce qu’il voulait. Comme il ne répondait pas, nous sommes partis.
– Je ne sais pas, dis-je en haussant les épaules. Il semble croire que nous avons des comptes à régler. Je crois qu’il était déçu de ne pas me faire peur.
– Est-ce que tu l’as provoqué ?
– Je ne crois pas. Qu’en penses-tu, Pete ?
– Disons que tu étais assez condescendant.
– Vraiment ?

Il acquiesça, ce qui me fit sourire.

– Il faudra que je pense à m’excuser la prochaine fois que je le verrai.

Pete poussa un soupir d’exaspération, croisa les bras et détourna le regard. Peut-être que j’étais allé trop loin.

– Brian, ne sois pas insolent. Ce genre d’attitude peut amener les gens à péter les plombs.
– Et qu’est-ce que j’étais censé faire ? répondis-je à Kévin sur un ton plus animé. M’écraser devant lui ? Il ne me fait pas peur, et je n’ai pas envie qu’il le pense. Je lui ai simplement montré que je ne le craignais pas.
– En le provoquant au-delà de son seuil de tolérance ?
– Et alors ? C’est un connard. Il mérite une correction. Je peux m’en occuper. Je n’ai pas besoin de vous.

Kévin se retourna avec une expression agacée.

– Je n’aime pas du tout ce ton, Brian. Ça suffit maintenant. Nous en reparlerons en arrivant à la maison.

S’il y avait une chose qui me mettait en colère, c’était bien que l’on m’empêche d’exprimer mes émotions. J’avais le droit de manifester ma colère, et Kévin venait de me dénier ce droit. Il avait visé droit dans le mille. Je croisai les bras et rentrai dans ma coquille en regardant défiler le paysage. Je ne répondis plus à aucune question. Je ne réagis même pas quand Pete posa une main sur mon genou. C’était injuste, et probablement blessant pour lui, mais j’étais en rogne et absorbé par mes pensées.

Je fus le premier à descendre du minivan et à entrer dans la maison, où je me dirigeai directement vers notre chambre pour déposer mes affaires. Trop agité pour m’asseoir, je fis les cent pas jusqu’à l’arrivée de Pete, quelques instants plus tard. Il laissa son sac à dos sur le lit et s’approcha de moi. Je lui coupai l’herbe sous le pied en levant les mains.

– Pas maintenant. Je ne peux pas. Pas quand je suis comme ça.

Son visage s’assombrit, trahissant la douleur qu’il ressentait, mais il respecta mon besoin d’isolement en quittant la pièce et en fermant la porte derrière lui. Moins d’une minute plus tard, Kévin fit irruption dans la chambre.

– Dans mon bureau. Maintenant.

Je ne l’avais jamais vu aussi remonté depuis que je le connaissais. Il était au-delà de la colère, le visage et la nuque rouge écarlate, avec les veines qui ressortaient au niveau des tempes. Il m’attendait avec les poings sur les hanches. Je pris mon temps et me dirigeai vers le bureau sans me presser, ce qui l’irrita encore davantage. Une fois dans le bureau, il claqua la porte derrière lui.

– Assieds-toi.
– Je préfère rester debout, merci.

Je crois que mon attitude provocatrice le surprit, car il s’arrêta dans son élan et me jeta un regard encore plus dur. Je pris mon expression de joueur de poker et soutins son regard avec une expression impassible, tout en bouillonnant de colère à l’intérieur de moi-même. Je n’aimais pas que l’on me donne des ordres.

Les yeux de Kévin continuèrent de me jeter des éclairs pendant plusieurs minutes, alors que je feignais l’indifférence. Je vis sa colère atteindre son paroxysme, puis une inquiétude lasse prit le dessus.

– Vous vous êtes bien trouvés, tous les deux. Pourquoi est-ce que vous êtes si têtus ?

Sa remarque ne semblait pas appeler une réponse, donc je gardai le silence.

– Brian, assieds-toi, s’il te plaît.

Il prit une des chaises devant le bureau, plutôt que le fauteuil où il s’asseyait d’habitude, et la tourna pour qu’elle soit face à l’autre chaise. J’hésitais une seconde de plus qu’il n’était strictement nécessaire, et m’assis sur la chaise. Je voulais quand même garder un minimum de contrôle sur la situation.

– Est-ce que tu sais qu’il y a un an environ, Pete s’est battu avec Sharon et moi pour garder le contrôle de sa vie ? Il avait peur de nous accepter en tant que parents parce qu’il pensait qu’il perdrait toute son autonomie. Mais ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent. Les parents, vois-tu, ont le devoir de vous protéger contre vous-mêmes. Pete et toi avez tous deux grandi dans des circonstances difficiles, sans fort soutien parental. Vous avez l’habitude de faire vos propres choix. Tu t’en es bien sorti jusqu’à présent, mais la donne a changé.
Tu entres dans une nouvelle dimension, Brian. Une dimension que tu connais à peine. Il y a tellement de choses plus importantes maintenant que d’insignifiantes bagarres de cour de récréation. Tu n’es plus un enfant à présent. Tu restes un adolescent, mais tu es sur le point de devenir un homme. Le monde qui t’attend est bien plus compliqué que celui de ton enfance.
En grandissant, les enfants apprennent à se servir de leur corps et de leur esprit pour trouver leur place dans la société. Les garçons qui étaient des caïds au collège peuvent devenir dangereux, parce qu’ils ont le corps d’un homme, mais pas le recul d’un adulte. Brent pourrait bien être capable de te tuer, ou de réunir une bande qui le ferait à sa place.

Je roulai des yeux pour souligner l’invraisemblance de cette hypothèse.

– C’est vrai, Brian. Ils n’ont besoin que d’une raison pour te détester, et tu l’as donnée à Brent. Tu l’as humilié devant toute une classe. J’imagine que l’histoire a fait le tour du lycée dès que vous êtes sortis de cours, et je suis certain qu’il s’est fait chambrer par tous ses soi-disant amis pour s’être laissé battre par un simple élève de seconde. Il y aura un prix à payer pour tout ça, surtout s’il était habitué à être en position de force, en tant qu’ancien caïd de cour de récréation. Tu as montré qu’il n’était pas si fort, tu comprends ? Tu as détruit la réputation qu’il avait passé des années à construire. C’est pour cette raison qu’il te déteste.
– C’est trop tard pour revenir en arrière, maintenant. Je sais qu’il pourrait me faire mal s’il m’attaquait avec sa bande, mais je n’ai pas peur de lui.

Kévin me regarda droit dans les yeux pendant quelques instants, puis baissa le regard et secoua la tête.

– Des copies conformes. Vous étiez vraiment faits pour être ensemble.

Il releva la tête.

– Brian, est-ce que tu as peur de mourir ?
– Hein ?
– Est-ce que tu as peur de la mort ?
– Euh, peut-être un peu, oui.
– A ton avis, pourquoi est-ce que si tu prends un homme de vingt ans et un homme de trente ans, le premier a plus de chances de se tuer dans un accident ?
– Sans doute parce que l’homme de vingt ans est plus imprudent que l’homme de trente ans.
– Pourquoi ? Qu’est-ce qui distingue le plus âgé du plus jeune ? Et je ne parle pas que de l’âge. Qu’y a-t-il dans la personnalité du plus âgé qui le rend moins téméraire ?
– Je ne vois pas où tu veux en venir, Kévin.

Il soupira.

– Pourquoi est-ce que l’homme de vingt ans prend plus de risques que l’homme de trente ans ?
– Je l’ai déjà dit, il est moins réfléchi.
– Il n’a pas peur de mourir. C’est pour cette raison qu’il prend des risques. Il pense qu’il est immortel. Il se dit « Rien ne peut m’arriver » ou « cela n’arrive qu’aux autres », alors qu’en fait, il est tout aussi exposé que les autres. Le trentenaire sait ce qui peut arriver, car il l’a vécu ou il l’a vu autour de lui. Il a appris la prudence, parce qu’il est conscient de son statut de mortel.
Brian, toi, Pete, Ray et même Jason, aucun de vous n’a suffisamment d’expérience de la vie pour faire des choix prudents. Vous vous sentez invincibles, tout comme ce garçon qui a été heurté par un train la semaine dernière en traversant les rails à la dernière seconde. Il en est mort.
Tu as le choix. Sois tu joues à éviter ce train et tu te mets en danger, soit tu t’arrêtes au bord de la voie ferrée, tu te mets à l’abri et tu désamorces la situation.

Je soutins son regard pendant un long moment. Il y avait presque de l’imploration dans ses yeux. Il avait peur que je m’expose à une attaque de Brent. Je finis par comprendre ce qu’il essayait de me dire. J’étais confiant dans ma capacité à me défendre contre Brent dans une bagarre, mais je minimisais toutes les autres éventualités. Il pouvait venir au lycée avec une arme à feu, me poignarder, ou que sais-je encore. Kévin avait raison, comme d’habitude. Nous n’étions plus des enfants, mais des hommes puérils capables de tout, sans mesurer les conséquences. 

Pendant le discours de Kévin, toute la tension que je portais en moi s’était évanouie, et je me retrouvai soudain fatigué et frissonnant, vidé de mon adrénaline. 

– Qu’est-ce que je dois faire, Kévin ? Il veut m’affronter. Je ne vois pas d’autre moyen de régler notre différend que me battre avec lui. Il porte trop de colère en lui.
– C’est une décision que je ne peux pas prendre pour toi, Brian. Je peux te guider, mais je ne peux pas régler le problème à ta place. C’est à toi de prendre tes responsabilités. Mais je veux être informé si la situation dégénère au-delà d’une simple bagarre de cour de récréation. Si des armes sont introduites dans le lycée, je veux être au courant avant toi. Si une guerre des clans éclate, je veux être au courant. Je pourrai au moins prévenir l’administration de ce qui se passe.
– Le principal adjoint a vu ce qui s’est passé aujourd’hui. Je l’ai aperçu à la sortie.
– J’espère qu’il a tout vu, dit Kévin en se penchant en avant et en posant une main sur mon genou. Je suis désolé de m’être emporté, Brian. J’étais déjà à cran quand j’ai vu Brent, et j’ai mal réagi dans la voiture.
– Sans rancune. C’est juste que je m’énerve quand on remet en cause ce que je fais.
– C’est pourtant mon rôle. J’essaierai d’adopter un ton moins autoritaire la prochaine fois.
– Et Kévin, s’il te plait, ne me demande pas d'étouffer mes émotions. Ce que tu m'as dit a touché un point sensible, et je… je ne sais pas comment l'expliquer, mais je suis parti au quart de tour.
– J’essaierai d’y penser, Brian. Tu devrais sans doute aller voir Pete. Tu l’as vraiment blessé. Je crois qu’il était en train de pleurer.
– Oui, tu as raison, dis-je en passant la main dans mes cheveux. Je n’ai pas été très gentil avec lui. Il mérite mieux que ça.

Je me levai pour partir, et Kévin m’imita. Il y eut un silence embarrassé jusqu’à ce qu’il me prenne dans ses bras. Notre étreinte fut brève. Je partis à la recherche de Pete pendant que Kévin s’asseyait derrière son bureau pour finir son travail.

Il n’était pas dans notre chambre, ni en bas dans la cuisine. Je croisai Jason qui se préparait un en-cas.

– Comment ça s’est passé ?
– Très bien. Où est Pete ?
– Il est parti courir.
– Sous la pluie ?

Jason acquiesça.

– C’est un temps à attraper une pneumonie. Où est-ce qu’il a l’habitude de courir ?
– Il fait un tour du parc et il revient. Parfois il fait le tour du pâté de maisons. Ça dépend des fois.
– Merci, Jason.

Je courus à l’étage, enfilai un survêtement et sortis à la recherche de mon bien-aimé. Je suivis le chemin que m’avait indiqué Jason, mais je ne vis Pete nulle part. Je poursuivis ma course dans les rues derrière le parc, puis dans les rues de l’autre côté. Il était introuvable. Démoralisé, je retournai au parc et m’assis sur un banc, le regard perdu au loin, insensible au déluge qui tombait du ciel. Les canards étaient de sortie et traversaient la pelouse sans se soucier du monde alentour. Je les observai un moment, puis j’aperçus Pete à l’autre bout du parc, dans son survêtement jaune vif. Il faisait le tour du parc à partir du côté opposé, et n’allait pas tarder à passer à ma hauteur. Je m’élançai dans sa direction, m’arrêtai sous un sapin au bord du chemin et m’adossai à l’arbre pour l’attendre.

Pete se rapprocha de moi en petite foulée, sans se presser le moins du monde. Quand il passa devant moi, je le rejoignis dans sa course, ajustant mon rythme au sien. Nous ne prononçâmes pas un mot sur le chemin du retour. Nous accélérâmes légèrement sur le dernier kilomètre pour étirer nos jambes, puis marchâmes sur les derniers mètres pour reprendre notre respiration, toujours en silence. Nous n’avions même pas échangé un regard. 

Nous fîmes le tour de la maison vers la buanderie, où nous retirâmes nos vêtements trempés. Nous finîmes en même temps et restâmes plantés là, sans rien dire. Comme j’étais responsable de ce qui était arrivé, c’était à moi de recoller les morceaux. Je levai les yeux et croisai furtivement son regard, mais je ne pus le soutenir.

– Je suis désolé, Pete. Je t’ai envoyé balader alors que tu n’avais rien fait de mal. Je ne voulais pas te blesser. Je crois que j’ai encore beaucoup de progrès à faire pour éviter que ma colère et ma frustration ne viennent s’immiscer dans notre relation. Je manque de maturité. Tu mérites mieux que ça, Pete. Je vais essayer de m’améliorer.

Je fermai les yeux, le regard toujours tourné vers le sol. Il ne répondit pas. Ne bougea pas. Au bout d’un moment, il finit par redresser mon  menton pour que je le regarde, mais je gardai les yeux clos, par crainte de ce que je pourrais voir sur son visage.

– Bri, tu m’as blessé, c’est vrai.

Je fermai les yeux encore plus fort en entendant ces paroles.

– Tu m’as blessé, mais je m’en remettrai. C’est le genre de chose qui peut arriver. Je sais que tu ne voulais pas me blesser, que tu ne le ferais pas intentionnellement. Regarde-moi.

J’ouvris les yeux, pour me perdre immédiatement dans son regard bleu océan.

– Je t’aime. Rien ne peut changer ça, même pas ce petit incident qui est déjà derrière nous. A l’avenir, il est possible que je puisse te blesser à mon tour, mais ce ne sera jamais volontaire. D’accord ? Alors voici ce que nous allons faire.  Je vais te pardonner, et ensuite tu vas te pardonner. Maintenant, viens par ici.

Nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre, et bien que frigorifiés, nous étions réchauffés de l’intérieur.


Encore cette maudite sonnerie. N’y avait-il aucun moyen plus agréable de se réveiller le matin ? Je sentis de l’air froid dans le dos quand Pete roula sur le côté pour éteindre le réveil.

– Tu ferais bien de te lever, Bri, si tu ne veux pas être en retard à l’entraînement.
– Oh zut. J’avais complètement oublié. Merci de me l’avoir rappelé, mon coeur.

Je me penchai pour lui déposer un baiser rapide sur le front. Je pris mon équipement, que je n’avais pas déballé depuis mon arrivée à Portland, et descendis prendre un petit-déjeuner sur le pouce.

Kévin m’attendait dans la cuisine. Habillé d’un survêtement, devant sa tasse de café, il faisait peine à voir, les yeux bouffis de sommeil. Il grommela un bonjour pendant que je toastais du pain et que je me versais un verre de jus d’orange.

– Bonjour Kévin. Est-ce que tu es sûr que tu es en état de conduire ? Tu as l’air d’un mort-vivant.
– Je vais très bien. J’attends juste que la caféine fasse son effet.
– Ah. Désolé de contrecarrer tes projets, mais je dois y être de bonne heure, aujourd’hui.
– Mmmh. D’accord. Alors allons-y pour que je puisse retourner me coucher.
– Pas de problème, répondis-je avec un petit rire. Tu sais, si c’est trop dur, je peux m’arranger pour qu’un autre membre de l’équipe passe me chercher le matin.
– Comme tu voudras. En fait, je me levais à cette heure-ci tous les matins quand j’avais des horaires réguliers au bureau. Je devrais sans doute reprendre mes bonnes habitudes.
– A toi de voir. Allons-y avant que tu ne tombes à la renverse.

Kévin gloussa et me suivit dans l’air frais du matin. De la glace s’était formée sur le pare-brise, et de la buée sortait de notre bouche quand nous respirions. Le ciel était chargé et il menaçait de pleuvoir, d’après le reflet des lumières sur le manteau nuageux qui recouvrait la ville, au loin.

– Peut-être que je peux trouver un itinéraire pour courir jusqu’au lycée. 
– Je ne préfère pas, grommela Kévin en grattant le pare-brise. C’est une longue distance à pied, et je n’ai pas envie que tu te lèves à quatre heures et demie pour aller à ton entraînement en courant. Tu as besoin de sommeil, comme tout le monde.
– D’accord, d’accord. Il faudra juste que j’arrive à trouver un moment pour faire mon footing après les cours.
– Parfait. A ce sujet, est-ce que tu as décidé comment tu allais t’y prendre avec Brent ?
– Je crois. J’espère simplement qu’il suivra mon idée. Je te dirai ça cet après-midi.
– Tu as intérêt. Je veux être informé à chaque étape. S’il doit y avoir du grabuge, je veux être prévenu à l’avance.
– Bien compris ! Inutile d’insister.
– Bien. Allez, monte. J’ai besoin d’une sieste.
– Attends juste de m’avoir déposé, d’accord ? Je n’ai pas envie de mourir, et encore moins à côté de toi ! ajoutai-je en esquissant un sourire.
– Le sentiment est partagé, répondit Kévin, sur le ton de l’humour. Si je dois mourir, je n’ai pas envie qu’un beau garçon à côté de moi ne me vole la vedette.
– Un beau garçon ? Moi ?
– Oui, toi. Ouvre les yeux, gamin. Tu as une tête à faire chavirer les cœurs.
– Peut-être, mais il n’y a qu’un cœur que je tiens à faire chavirer.
– Et tu n’as pas de soucis à te faire là-dessus. Le cœur de Pete t’appartenait déjà le jour où je l’ai rencontré.

Je ne relevai pas la remarque de Kévin, légèrement gêné par la tournure qu’avait pris la conversation.

Nous arrivâmes au lycée juste au moment où le ciel bruineux passait du noir au gris foncé. Je remerciai Kévin de m’avoir emmené, et il me tapota affectueusement la tête en retour. Je fis mine de m’indigner, mais j’étais quand même rassuré qu’il me témoigne de l'affection. C’était étrange. En le regardant s’éloigner, je pris une profonde respiration en anticipation de ce qui m’attendait à l’intérieur du gymnase. Balayant mes angoisses, j’entrai dans le bâtiment.

Le vestiaire était vide, à l’exception de l’entraîneur, M. Knowells, qui était assis dans son bureau. Il leva les yeux quand j’approchai, puis regarda sa montre en venant à ma rencontre.

– Bonjour Kellam. Vous êtes en avance, vous savez. L’entraînement ne commence pas avant six heures.
– Je sais, mais j’ai quelque chose à faire avant. Quelle est l’heure à laquelle arrive Brent, d’habitude ?
– Qu’est-ce que vous lui voulez ? D’après ce que j’entends, il a envie de vous tuer.
– Nous sommes dans la même équipe. Je veux éviter de provoquer une bagarre.
– Mmmh. Je ne sais pas comment vous allez vous y prendre, mais je vous aurai à l’œil, tous les deux.
– Très bien, mais s’il vous plait, n’intervenez pas. Je dois faire ça tout seul.

Il me jeta un coup d’œil inquisiteur.

– Je ne ferai rien tant qu’il n’y aura pas de violence.
– Merci. Quand arrive-t-il, au juste ?
– Il est souvent en retard. Sur les coups de six heures et demie, quand nous avons fini l’échauffement.

Je ne réagis pas à cette bribe d’information. Je voyais déjà comment fonctionnait cette équipe. Il suffisait de se faire remarquer pour avoir droit à un traitement de faveur. Je détestais ce principe, parce que je trouvais injuste qu’un membre de l’équipe se dispense du travail collectif.

– Très bien. Je vais aller me changer. J’ai déjà mon protège-oreilles et mes chaussures.
– D’accord. Je serai dans mon bureau.

Pendant les vingt minutes suivantes, le gymnase se remplit et les étirements commencèrent. Léo m’aperçut rapidement, et nous fîmes nos étirements ensemble, en préparation du footing matinal. A six heures précises, l’entraîneur donna un coup de sifflet.

– Soixante tours ! Partez !

Et nous partîmes en petite foulée. Je découvris plus tard que soixante tours correspondaient à environ cinq kilomètres. Ce n’était pas une longue distance, mais la série de marches au milieu du parcours rendait la course plus difficile. Je finis en tête du groupe, avec quelques coéquipiers qui suivaient mon rythme. Avant la fin de l’échauffement, nous avions déjà pris un tour à quelques élèves plus âgés et à d’autres plus jeunes. Nous nous rassemblâmes au centre du terrain, reprenant notre souffle en attendant que les autres aient terminé. Quand nous fûmes au complet, nous sortîmes les tapis. Ils étaient tellement lourds qu’il fallait les efforts conjoints de toute l’équipe pour les porter et les positionner correctement. Dès que les tapis furent installés, conformément à ce qu’avait dit l’entraîneur, Brent fit son entrée.

– Mettez-vous par deux ! Kellam, Hodges, venez par ici pour que je puisse vous voir.

Génial. Merci, coach. J’avais bien besoin de ça.

Je mis mon protège-oreilles en avançant vers le cercle que l’entraîneur avait désigné. En attendant le début du combat, j’évitai de croiser le regard de Brent.

– Brent, il faut qu’on parle.
– Je n’ai rien à te dire.
– Il faut que ça s’arrête. Tout le lycée va se déchirer si nous ne trouvons pas un accord.

Un coup de sifflet strident retentit, et Brent plongea vers mes jambes. Ses doigts m’effleurèrent alors que je parai son attaque en passant derrière lui.

– Brent, je ne plaisante pas. Si tu as des comptes à régler avec moi…

Il tenta une nouvelle attaque, avec le même résultat.

– … alors tu ne devrais t’en prendre qu’à moi. Ça ne sert à rien d’y mêler tout le lycée.
– Oui, ça me plairait bien de m’en prendre à toi.

Il s’avança lentement, le bras tendu, essayant de repousser ma tête. J’écartai sa main à plusieurs reprises, gardant la tête haute pour le regarder dans les yeux.

– Alors ne te gêne pas. J’ai une proposition à te faire.
– Ah bon ? Quelle proposition ?
– Je te propose qu’on s’entraîne ensemble, qu’on se batte ensemble, qu’on coure ensemble, et tout le reste. Si tu as encore envie de me casser la figure à la fin de la saison, alors on s’affrontera.

Je me relevai, conscient que je m’exposais à une attaque, et lui tendis la main.

– Qu’est-ce que tu en dis ? De cette façon, tu pourras avoir ta revanche jour après jour, et personne d’autre ne sera impliqué.
– Pourquoi le ferais-je ? Tu m’as humilié devant tout le lycée !
– Je sais, et je ne peux pas l’effacer. Si je pouvais revenir en arrière, je le ferais.

Il se releva, me fixant du regard.

– Qu’est-ce que tu as derrière la tête ? Qu’est-ce que tu as à y gagner ?
– Ce que j'ai à y gagner  ? Comme ça, je peux me concentrer sur mes cours et mon entraînement, plutôt que d’avoir à surveiller mes arrières pendant le reste de l’année. Je m’entraînerai avec quelqu’un qui pourra m’apprendre des choses, qui me poussera à aller de l’avant. Pour toi, c’est aussi l’occasion de prendre ta revanche sans risquer la suspension ou l’exclusion.
– Et sinon ?
– Sinon, rien. Je joue cartes sur table avec toi. J’ai des amis, et toi aussi. Est-ce que tu veux les mettre en danger juste pour satisfaire ton ego ? Je pense que non. Qu’en dis-tu ?

Je lui tendis la main une nouvelle fois. Il la fixa pendant un long moment, puis la serra en écrasant mes doigts.

– D’accord, jouons-la comme ça. Mais ne crois pas que tu t’en sors aussi facilement. Tu n’as pas fini de payer pour ce que tu as fait.
– Peut-être que j’ai eu de la chance, la dernière fois. On verra, mais tant que ça reste sur le tapis, ça me va.

Nous avions un accord. J’entendis un soupir de soulagement collectif en arrière-plan. En tournant la tête, je me rendis compte que toutes les têtes étaient tournés vers nous, et que toute l'équipe avait assisté à notre échange. La situation était sous contrôle – pour le moment. L’entraîneur donna un coup de sifflet.

– Qu’est-ce que vous regardez, bande de mollusques ? Retournez au combat !

Brent passa le reste de la matinée à essayer de me plaquer, et je passai mon temps à éviter d’être plaqué. Il réussit à me coincer une fois ou deux, et essaya de faire chuter lourdement, mais je parvins à manœuvrer pour limiter l’impact à chaque fois. Certains pouvaient penser que j’avais peur de le laisser s’approcher de moi. C’était faux. Je n’avais pas peur du contact physique. J’essayais simplement de ménager sa susceptibilité en travaillant ma défense, domaine dans lequel je devais encore progresser. J’étais plus souvent offensif que défensif, de toute manière.

Quand l’entraînement s’acheva, Brent et moi étions lessivés, après avoir combattu sans relâche pendant une heure. L’entraîneur n’avait pas jugé bon de nous sortir du ring pour les autres exercices, nous laissant faire la paix des braves. Le coup de sifflet final retentit, et Brent se replia immédiatement vers le vestiaire. Je restai agenouillé un moment sur le tapis, essayant de reprendre mon souffle.

– Ton plan a l’air d’avoir fonctionné, fit remarquer M. Knowells en me jetant une serviette.
– Je ne sais pas, dis-je en m’essuyant la tête et la nuque. L’avenir le dira, ajoutai-je en regardant en direction du vestiaire.
– Tant que vous réglez vos comptes ici et que personne n’est blessé, tout se passera bien.
– Je ne peux pas promettre que personne ne sera blessé.

Je me levai et me dirigeai lentement vers l’entrée du vestiaire.

– A toi de faire en sorte que ça n’arrive pas, alors, cria l’entraîneur derrière moi. Je n’ai pas envie de perdre mes deux meilleurs éléments à cause d’une stupide bagarre.

Je poursuivis mon chemin sans répondre. J’en avais déjà assez dans mon assiette.

Je retrouvai ma bande à la cafétéria quelques minutes avant la première sonnerie.

– Bordel de merde ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ? On dirait que tu as été renversé par un camion, et qu’il ne s’est pas arrêté !
– Merci, Ray. Toi aussi, tu es mignon.

Je m’assis lourdement à côté de Pete, posant une main sur son épaule de façon affectueuse, mais virile.

– Il a raison, Brian, commenta Jason. On dirait que tu es resté coincé dans une machine à laver lancée à plein régime. L’entraînement était si dur que ça ?
– Pas vraiment. Brent et moi avons combattu pendant plus d’une heure. Ça demande beaucoup d’énergie. Je suis fatigué, c’est tout.
– Tu t’es entraîné avec Brent ? Comment ça s’est passé ?
– Nous avons conclu un accord. Nous réglerons nos comptes sur le tapis, comme ça personne d’autre ne sera impliqué. Tu peux dire à tout le monde de se calmer, maintenant.

Des regards furent échangés autour de la table.

– Comment est-ce que tu as réussi à le convaincre, Bri ?

Pete arborait une expression inquiète.

– Je lui ai dit la vérité. S’il acceptait ma proposition, il avait le droit de me plaquer au sol tout le reste de la saison, sans se soucier d’être sanctionné. Et à côté de ça, je peux m’entraîner avec lui. C’est un bon lutteur, je ne le sous-estime pas. Il m’aidera à progresser.

Jared aussi avait l’air préoccupé.

– Tu n’as pas peur ?
– Non. Ça va aller pour moi. Faites-moi confiance.

La première sonnerie retentit, et nous nous dispersâmes.

La journée se déroula lentement, sans événement majeur. Je rencontrai finalement mes professeurs de première et seconde heure. M. Walker n’avait pas changé depuis la semaine précédente ; barbant pendant le cours et animé dès que la sonnerie retentissait. Mme Wheeler, ma prof d’écriture créative, se révéla être une plaie. J’étais content de pouvoir changer de prof à la fin du semestre. J’aimais autant être avec M. Walker, ou avec n’importe quel autre prof, d’ailleurs. Je manquai de m’endormir en cours d’histoire, mais parvins à rester éveillé en finissant mes devoirs avant la fin du cours.

M. Knowells proposa de me reposer pendant le cours de sport, mais je refusai. Nous faisions de la musculation, et malgré ma fatigue, je participai à tous les exercices, en soulevant moins que ma limite, cependant. L’entraîneur se contenta de secouer la tête. Brent se mit sur le côté, ne me quittant pas des yeux, le visage impénétrable. C’était difficile de l’ignorer. Je sentis son regard sur moi pendant tout le cours, et cela me rendit nerveux.

La bande se rassembla pour le déjeuner, et continua à m’interroger sur mon pacte avec Brent. Je finis par leur dire que c’était entre lui et moi.

– Ecoutez, les gars, si vous voulez en savoir plus, demandez-lui directement. Je ne dis plus rien.

Personne ne fut satisfait de cette réponse, mais il n’y eut pas d’autres questions.

Après le déjeuner, j’avais cours de maths. Je faillis m’endormir aussi, mais M. Thomas m’en empêcha en ponctuant son cours de grands coups de règle sur le tableau pour expliquer des théorèmes que le reste de la classe avait du mal à assimiler. Je finis les exercices avant la fin du cours, et je gagnai la salle de biologie.

Je fus l’un des derniers à arriver. Je pris place rapidement, décochant un sourire à Pete au passage. Juste après la sonnerie, un garçon entra précipitamment et prit place à la dernière paillasse inoccupée. M. Griffith n’était pas content.

– M. Mueller, vous êtes encore en retard. La prochaine fois, je vous envoie chez le principal.
– Désolé, M. Griffith. J’avais, euh, quelque chose à faire.
– Ah bon ? Nous en reparlerons à la fin du cours.

Je vis le garçon tressaillir. Je me figeai un instant. Est-ce que je le connaissais ? Son visage m’était vaguement familier. Je n’eus pas le loisir d’y réfléchir davantage, car M. Griffith s’était lancé dans son cours sur la capacité des cellules à emmagasiner de l’énergie et à libérer des déchets, un sujet bien trop complexe pour le rapporter en détail.

La sonnerie retentit juste au moment où M. Griffith finissait son exposé. Il nous donna des pages à lire et des questions à traiter.

– M. Mueller, venez me voir, maintenant.
– Mon frère m’attend. Je ne peux pas rester.
– Alors il vous attendra.

Etait-ce de la panique sur son visage ? Il me rappelait décidément quelqu’un.

– Eh, Brian, allons-y. Jason a pris le minivan aujourd’hui. Il doit nous attendre.
– D’accord.

Je rassemblai mes affaires et suivis Pete dans le couloir, passant devant le casier de Brent. Il était entouré de quelques-uns de ses acolytes, mais ils se contentèrent de me dévisager au passage. Au même moment, j’aperçus des amis de Jason qui traînaient dans les parages, visiblement méfiants de l’accord que j’avais passé avec Brent. Je leur adressai un signe de tête reconnaissant, tout en étant légèrement vexé qu’ils ne me fassent pas totalement confiance.

En arrivant à la maison, Pete et moi nous changeâmes et partîmes courir sous la pluie. J’étais épuisé, mais je ne voulais pas perdre mes bonnes habitudes. Ce n’était qu’une courte distance, de toute façon. Nous fîmes le tour du parc, du pâté de maisons derrière, et revînmes à la maison. Il n’y avait pas plus de cinq kilomètres en tout, mais dans ma condition diminuée, c’était amplement suffisant. Nous étions restés concentrés sur notre rythme et notre respiration, parlant peu. En arrivant sur la pelouse devant la maison, je glissai et tombai sur le dos. Je ne me fis pas mal, mais passai pour un idiot.

– Brian ! Ça va ?
– Oui, je me sens con, c’est tout, gloussai-je en me relevant.

Il me tendit la main et me regarda droit dans les yeux pendant que je me relevais.

– Je suis fier de toi, tu sais. Il fallait du courage pour affronter Brent et conclure un pacte avec lui.
– Je n’ai fait que mon devoir, comme n’importe qui l’aurait fait à ma place.
– C’est ça, crois ce que tu veux, dit Pete en souriant. Peu de gens auraient agi comme tu l’as fait, Brian. La plupart auraient laissé les choses dégénérer jusqu’à ce qu’elles explosent.

Nous marchâmes jusqu’au portail sur le côté de la maison, et nous dirigeâmes vers la buanderie. Je gardai le silence pendant que nous nous déshabillions, me demandant si ce que j’avais fait sortait vraiment de l’ordinaire. Chacun ne faisait-il pas que son devoir ? Etait-ce si surprenant de vouloir résoudre ses problèmes ? J’estimais que c’était une condition nécessaire pour avancer dans la vie. La porte s’ouvrit alors que nous venions de retirer nos sous-vêtements trempés, nous laissant nus et exposés aux regards.

– Miam ! J’aime ce que je vois ! Papa veut te parler, Brian.

Ray nous refaisait son numéro de charme.

– Très bien. Et Ray, que dirait Jared s’il savait que tu étais un voyeur ?
– Rien. Tant que je ne touche qu'avec les yeux, ça ne le dérange pas.
– Ah bon. Et bien, moi, ça me dérange. La prochaine fois que tu entres sans prévenir, je serai obligé de te donner une correction.

Il n'avait pas l’air vraiment effrayé, avec son large sourire.

– Parfait ! J’en meurs d’impatience ! Papa est dans son bureau, dit-il en refermant la porte derrière lui.

– Il peut être adorable, mais j’en ferais bien de la viande hachée, des fois, dit Pete en riant.
– Je te donnerai un coup de main, ça a l’air amusant.

Il enroula une serviette autour de moi et m’attira contre lui, son corps nu pressé contre le mien.

– Je t’aime, Brian. J’ai voulu te le dire toute la journée au lycée.

Je reposai ma tête contre sa poitrine.

– Je sais. Moi aussi. Je me suis retenu de te prendre la main au déjeuner.

Il caressa mes cheveux trempés.

– Oui, moi aussi. Mais nous allons devoir faire attention, d’accord ? dit Pete.
– Oui, bien sûr. Au fait, est-ce que tu as réfléchi au groupe de soutien ? Est-ce que tu comptes y participer ?
– J’aimerais bien.
– D’accord. Alors il faudra que je regarde si ça rentre dans mon emploi du temps, en plus du sport et de mes devoirs. Mais j’aimerais bien t’accompagner.

On frappa à la porte.

– Brian ? Papa t’attend.

Malgré son sourire insolent, Ray avait dû prendre mes menaces au sérieux.

– D’accord. J’arrive.

Pete me déposa un dernier baiser sur les lèvres.

– Tu ferais bien d’y aller. Evitons de fâcher Kévin.
– Il attendra. Je suis bien ici, avec toi.

Pete me relâcha et attacha une serviette autour de ma taille.

– Vas-y. Nous aurons tout le temps de discuter plus tard.

Sur le chemin de la chambre, je m’arrêtai à hauteur du bureau de Kévin pour lui dire que j’allais me sécher et m’habiller. Plongé dans les papiers qui jonchaient son bureau, il me fit un signe de la main pour m’indiquer que je pouvais y aller. Je revins quelques minutes plus tard, raisonnablement sec, portant des vêtements confortables.

– Tu voulais me parler, Kévin ?

Il me contempla avec un regard absent pendant quelques secondes avant de focaliser son attention sur moi.

– Ah oui, en effet. Assieds-toi.

J’obtempérai.

– Comment ça s’est passé, aujourd’hui ?
– Très bien. J’ai discuté avec Brent, commençai-je, avant de lui expliquer notre accord. Donc tout est sous contrôle jusqu’à la fin de la saison. J’espère qu’à ce moment-là, l’envie de me tuer lui sera passée, conclus-je avec un sourire.
– Formidable ! s’exclama Kévin, en souriant à son tour. Je suis fier de la façon dont tu as géré la situation. Est-ce que tu es sûr que le droit ne t’intéresse pas ?
– Oui, certain. Je préfère les sciences. Au moins, il n’y a pas de zones d’ombre.
– Tu ne pourras pas me reprocher de ne pas avoir essayé, dit-il en souriant avec bienveillance. Et je n’ai pas dit mon dernier mot. J’ai quelques bricoles à finir ici, puis je descendrai dîner.
– D’accord. Je préviens Sharon.
– Merci.
– De rien.

Kévin nous rejoignit au moment où le dîner était servi. Comme d’habitude, le repas fut animé, chacun faisant le récit de sa journée. Je racontai mon histoire de nouveau, au cas où quelqu’un ne l’aurait pas entendue. Joanne préparait une pièce de théâtre pour Thanksgiving, Sharon avait un déplacement professionnel prévu à Boston pour un congrès sur l’assistance aux enfants « en transition », un concept dont je n’avais pas très bien saisi le sens. Kévin expliqua que son cabinet cherchait un stagiaire quatre soirs par semaine pour travailler après les cours. Jason sauta sur l’occasion. Il avait besoin d’argent de poche pour l’université et son voyage de fin d’année.

Après le dîner, nous nous installâmes dans le salon, où nous regardâmes la télévision. Je montai dans notre chambre à dix-neuf heures trente pour finir mes devoirs. Pete me suivit, ainsi que Ray. Ce dernier avait besoin d’aide en maths, et je m’étais proposé. Pendant qu’il faisait ses exercices, je m’avançais sur mes devoirs. Je n’en eus pas pour très longtemps. Ce fut la biologie qui me prit le plus de temps, car je devais lire le chapitre avant de répondre aux questions.

Nous terminâmes tous les trois vers vingt heures trente. Ray rejoignit sa chambre sans discuter. Je me préparai à aller me coucher, ainsi que Pete. Quelque chose semblait le tracasser.

– Bri, c’est comme ça que tu organisais tes journées quand tu vivais dans le sud, pendant notre séparation ?
– Euh, oui, à peu près. J’aurais fait une heure de musculation après notre course si j’avais respecté strictement mon ancien emploi du temps.
– Quand est-ce que tu faisais tes devoirs ?
– Juste avant d’aller me coucher.
– Et à quelle heure est-ce que tu allais à l’entraînement ?
– Entre cinq heures et demie et six heures.
– Alors tu n’avais pas de temps libre ? De temps pour toi ?
– Non, c’est ce que j’essayais d’éviter. Plus j’avais de temps pour moi, plus je réfléchissais. Et plus je réfléchissais, plus je déprimais. Donc je restais occupé.
– Que s’est-il passé après la fin de la saison de lutte ?
– L’entraîneur me laissait accès à la salle de musculation à partir de six heures trente.
– Est-ce que tu vas garder ce rythme, maintenant que nous sommes ensemble ?
– Je ne sais pas. Peut-être.
– Alors quand est-ce que nous aurons du temps pour nous deux ?
– C’est la seule chose qui me retient, mon coeur. Tu comptes plus que tout le reste. A côté, rien n’a vraiment d’importance.
– Est-ce que tu as une chance de te qualifier pour le championnat d’état ?
– Je ne connais pas encore mes adversaires. Difficile de te répondre pour l’instant.
– Et tes résultats scolaires ? Tu vises encore les félicitations du jury ?
– Et alors ? Où est-ce que tu veux en venir, Pete ?
– J’y viens. Nous sommes enfin ensemble, après des années de séparation, et j’ai peur que nous nous éloignions l’un de l’autre. J’ai envie que tu fasses tout ce qu’il faut pour réussir, mais en même temps, j’ai ce désir égoïste de te garder pour moi tout seul. Tu comprends ?

Je roulai sur le côté et le pris dans mes bras.

– Bien sûr que je comprends. Nous trouverons une solution. Je te le promets.

Pete me serra contre lui à son tour, puis se retourna et se mit en position fœtale pour que je puisse m'appuyer contre lui en cuillère, en épousant son corps avec le mien. Nous nous endormîmes ainsi, mais notre sommeil fut agité, Pete s’inquiétant de ce que l’avenir lui réservait, et moi des sacrifices que j'allais devoir faire pour rester avec lui.


Chapitre 2

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