Pour l'amour de Pete

Roman gay inédit - Tome II - Brian et Pete

Chapitre 15 - Préparatifs et tractations

Nous restâmes tous les trois dans le salon et passâmes l’après-midi à discuter devant la télévision. Jason finit par se lever et rejoignit David dans sa chambre pour une sieste. Pete et moi montâmes prendre une douche vers quinze heures. Ce fut une de ces douches que j’aurais voulu prolonger pendant des heures, mais que le chauffe-eau interrompit prématurément.

Nous passâmes le reste de l’après-midi dans notre chambre à consulter des cartes et à regarder des hôtels sur le Net. Je me faisais une joie de descendre sur la côte. Nous avions prévu de nous arrêter à plusieurs endroits pour profiter du soleil et de la plage. Nous allions notamment faire une halte à Brookings, si je me souvenais bien du nom de cette petite ville.

Nous y resterions quelques jours, puis nous prendrions l’Interstate 101 vers le Sud, en passant par Eureka, Ukiah et Santa Rosa, avant de retrouver ma mère et ma sœur. Nous rendrions également visite à Chris et sa mère, et aussi à Danny, avec un peu de chance. Puis nous repartirions vers le Sud et passerions quelques jours dans la région de Los Angeles. L’étape suivante était San Diego et son zoo. De là, nous rejoindrions Phoenix dans l’Arizona pour assister à quelques matchs de baseball et nous amuser un peu. Nous en profiterions pour visiter le campus d’Arizona State University.

Nous remonterions ensuite voir le Grand Canyon et le Hoover Dam avant d’arriver à Las Vegas. Nous y passerions quelques jours et enchaînerions avec le parc national de Yosemite. J’étais impatient d’y retourner. Je n’y avais pas été depuis une éternité. De là, nous prendrions le chemin du retour en passant par Lassen Park, Crater Lake et finalement Portland. Nous allions sans doute passer près d’un mois sur la route, juste Pete et moi ! Je trépignais déjà d’impatience. Puis je me souvins que je n’avais pas encore demandé l’autorisation à mes parents ! Mince alors. Je revins brusquement à la réalité. J’espérais que Papa me laisserait partir. Je me sentais capable de fuguer pendant un mois s’il refusait !

Quand nous descendîmes pour le dîner, Jason et David étaient déjà aux fourneaux. Ils avaient l’air de bien s’amuser et la cuisine ressemblait à un champ de bataille.

– Nous ne ferons pas le ménage à votre place ! dit Pete.

Jason se contenta de s’esclaffer et nous fit signe de passer notre chemin alors que David, hilare, lui barbouillait le nez avec de la pâte à gâteau.

Nous nous installâmes devant la télévision dans le salon. Alors que le journal télévisé commençait, mon père accompagna Kévin dans l’escalier. Je pensais pourtant qu’il était reparti depuis longtemps. Kévin semblait avoir un pas nettement plus assuré que le matin et affichait même un sourire.

– Bonsoir les garçons ! Comment allez-vous ?

Il avait récupéré plus vite que je ne l’avais imaginé. Sans attendre de réponse, il se dirigea vers la cuisine, où il discuta avec David et Jason jusqu’à ce qu’ils l’expulsent afin de pouvoir poursuivre leurs jeux.

– À quoi est-ce que nous devons cette bonne humeur, Papa ? demanda Pete en le regardant s’asseoir avec satisfaction dans l’un des fauteuils.
– A rien en particulier, répondit-il en souriant. Pourquoi me torturer l’esprit au sujet de quelque chose que je ne peux pas contrôler ? Après tout, j’ai engagé un avocat. À lui de se débrouiller, maintenant !

Jason s’amusait toujours avec David dans la cuisine, et j’étais quasiment certain qu’il n’avait pas entendu ce que Kévin venait de dire. Suivant mon regard, Kévin dit :

– Jason est au courant, Brian. Nous avons discuté de ce qui pourrait arriver il y a quelques jours.

– Kévin, je crois que je vais rentrer, dit mon père. Tu es hors de danger à présent.
– Est-ce que tu es sûr que tu ne veux pas rester dîner ?
– Sûr et certain. J’ai quelques bricoles à faire avant de reprendre le travail demain.
– Très bien, alors je n’insiste pas…
– Euh, Papa ?
– Oui, Brian ?
– Euh, Pete et moi avons eu une idée. Nous aimerions faire un road trip cet été.
– Vraiment ? Où ça ?
– Disons que nous n’avons pas encore finalisé l’itinéraire.
– Alors réfléchissez à ce que vous voulez faire, et nous en reparlerons au cours du dîner demain, d’accord ?
– Euh, oui, d’accord. À demain, Papa.
– Bonne nuit, mon fils. À demain, les gars !
– Bonne nuit, M. Kellam ! cria Jason depuis la cuisine, toujours déconcentré par David.

Papa se retourna en souriant et nous salua de la main.

– Un road trip ? reprit Kévin, dont la curiosité avait visiblement été piquée au vif.
– Oui, dit Pete. Nous en discutions aujourd’hui en consultant des cartes. Il y a des endroits que j’aimerais montrer à Brian, comme Brookings, par exemple.
– D’accord, mais qu’est-ce que vous avez en tête ? Une semaine, dix jours ?
– Euh, peut-être un peu plus. Il y a d’autres endroits que nous aimerions visiter.
– Par exemple ?
– J’aimerais descendre voir Chris et Danny en Californie, intervins-je. Je ne sais pas si ma mère et ma sœur auront déménagé d’ici-là, mais sinon nous pourrions aussi leur rendre visite.
– D’accord. Deux semaines, alors ?
– Euh, après nous avons prévu de descendre à Los Angeles, dit Pete.
– L.A., d’accord. D’autres endroits ?
– Euh, oui. San Diego, Phœnix, le Hoover Dam, le Grand Canyon, Yosemite, Lassen et Crater Lake.
– Et combien de temps exactement est-ce que vous comptez partir ? demanda facétieusement Kévin. Un mois, alors ?
– Oui, peut-être un peu plus.

Kévin nous fixa du regard pendant de longues secondes.

– Et avec quelle voiture est-ce que vous comptez partir ?
– Avec la mienne, dit Pete.
– Mais tu n’as pas… Ah, je vois. Est-ce que tu sais ce que tu veux acheter ?
– Non, mais je cherche. Je voudrais une voiture qui ne nous lâche pas en cours de route.
– Quelle que soit la voiture que tu achèteras, j’insiste pour que tu la fasses réviser de fond en comble avant de partir.
– Ça veut dire que tu nous laisses partir ? demandai-je.
– Je n’y vois pas d’inconvénient, mais il faut d’abord que tu convainques tes parents, Brian.
– Je sais…
– Quand est-ce que vous comptez partir ?
– Eh bien, commença Pete, nous pensions prendre la route vers le 22. Ça nous laisse le temps de trouver une voiture, de la faire réviser et de préparer tout le reste.
– Ça me paraît pas mal, dit Kévin en hochant la tête.

Il resta silencieux quelques instants, puis demanda :

– Mais pourquoi un road trip, les garçons ? Je sais que vous avez envie de découvrir de nouveaux endroits, mais y a-t-il une autre raison ?
– Ça nous permettra de passer du temps ensemble, juste tous les deux. Si nous ne nous entretuons pas après au bout d’un mois en tête à tête, alors nous n’aurons plus à nous inquiéter pour l’avenir de notre couple, répondis-je en rougissant légèrement.
– Et en plus, dit Pete avec enthousiasme, j’ai envie d’apprendre à surfer ! Et où mieux qu’à Malibu pourrais-je le faire ?

Kévin ne put s’empêcher d’éclater de rire.

– D’accord, d’accord ! Vous m’avez convaincu.
– Cool ! m’exclamai-je en tapant dans la main de Pete.

Nos sourires étaient aussi radieux que celui de Kévin.

– Est-ce que tu es sûr que tu n’as pas pris des tranquillisants, Kévin ?
– Non ! Sauf si vous comptez le Tylenol que j’ai pris pour mon mal de crâne.

David nous appela depuis la zone sinistrée :

– La soupe est prête ! Enfin, si on peut appeler ça une soupe…
– Eh ! Je me suis donné de la peine pour la faire, et j’ai tenu bon malgré tes tentatives de me dévorer vivant ! Vous ne me croiriez pas si je vous racontais ce qu’il voulait faire avec la…
– À table, les gars, coupa David d’une voix forte pour couvrir celle de Jason.

Le regard de Jason promettait des représailles, mais il esquissa un sourire et fit mine de se mordre la langue d’un air taquin. J’avais du mal à ne pas éclater de rire. Kévin et Pete luttaient également.

Une fois que tout le monde fut assis et servi, Jason demanda :

– J’ai cru entendre parler d’un road trip ?

J’esquissai un sourire et répondis :

– Je suis surpris que tu aies entendu quoi que ce soit pendant que tu t’amusais avec David. Si ça ne vous dérange pas, gardez ce genre de chose pour votre chambre à coucher. Je vous paierai même une housse pour protéger le lit !

Kévin et Pete éclatèrent de rire. Jason et David échangèrent un regard, puis se tournèrent vers moi, ne sachant pas s’ils devaient se vexer ou se joindre à l’hilarité générale. Je plongeai le regard dans mon assiette.

– Tu sais quoi, Brian, dit Jason, si tu achètes la housse, je vous paierai l’insonorisation de votre chambre.

J’avais du mal à en croire mes oreilles. Quelle insolence ! J’éclatai de rire, ce qui détendit l’atmosphère.

– Marché conclu !

La fin du repas se déroula dans la bonne humeur. Nous fîmes part à Jason et David de nos projets de voyage. David nous recommanda plusieurs endroits à visiter sur la route, et nous lui répondîmes que nous y jetterions un coup d’œil.

Le lendemain était dimanche, et nous trouvâmes de nombreuses petites annonces pour des voitures d’occasion dans le journal. Nous les parcourûmes et entourâmes celles qui nous intéressaient. Quelques coups de fil plus tard, nous avions des rendez-vous pour le lendemain. Pete n’avait pas l’intention de dépenser vingt ou trente mille dollars s’il pouvait acheter une voiture fiable pour dix mille.

Pete et moi nous rendîmes à la ferme pour aider Papa à faire quelques menus travaux et préparer le dîner. Pete faisait des merveilles en cuisine. Ma seule contribution était de goûter les plats. Il ne laissait personne s’approcher de la cuisine quand il travaillait. C’était mignon !

Papa et moi travaillâmes sur le toit pour remplacer des bardeaux qui avaient été endommagés au cours de l’hiver, pendant que Pete se consacrait à ses préparatifs culinaires. Je le vis partir en voiture et revenir environ quarante-cinq minutes plus tard. J’étais curieux de savoir ce qu’il mijotait, mais comme Papa et moi étions très occupés, je dus patienter. Quelques heures plus tard, Pete fit sonner le triangle pour annoncer le repas.

D’après le festin que je voyais sur la table, il était évident que Pete était parti faire des courses. Il avait élaboré un poulet à la King avec ses câpres, une grande salade et des croissants. Son visage rayonnait de fierté.

– J’ignorais que tu savais vraiment cuisiner, Pete, dit Papa avec admiration.
– Ce n’est pas dur quand on suit une recette. C’est celle de ma grand-mère.
– Ça sent rudement bon en tout cas !
– Merci, M. Kellam.
– Qu’est-ce que je t’ai déjà dit ? Appelle-moi Ben ou Papa.
– Désolé. Question d’habitude.

Papa lui ébouriffa les cheveux. Je remarquai que Pete était désormais aussi grand que lui.

– Ne t’inquiète pas, fiston. Allons vite nous laver les mains, Brian. Ce serait dommage de manger froid, non ?

Le dîner fut fameux. Le poulet était si tendre qu’il fondait sur le palais. Je ne pouvais pas détacher mon regard de Pete. Il s’en aperçut et rougit timidement. C’était terriblement excitant ! Il levait les yeux vers moi à travers ses mèches et son regard me troublait profondément. Et il ne s’était pas contenté du plat de résistance. Pour le dessert, il avait préparé des brownies accompagnés de crème glacée. Ils étaient si riches que je ne pus en manger que deux. Décidément, il allait avoir droit à son dessert !

Après le repas, pendant que je débarrassais la table, Papa nous questionna à propos du voyage.

– Est-ce que vous avez figé votre plan de route ?
– Plus ou moins, dit Pete. Nous resterons flexibles, bien sûr. Nous commencerons en descendant la côte jusqu’à Brookings, un endroit où Kévin et Sharon m’avaient emmené. Puis nous prendrons la direction de San Francisco.
– Quand est-ce que Maman, Dawn et Grand-Père viendront habiter ici ? demandai-je.
– Sans doute la première ou la deuxième semaine de juillet. Ça dépendra de la vente de la maison, évidemment.
– D’accord. Alors nous passerons les voir. Nous rendrons visite à Chris et Danny aussi.
– Après, poursuivi Pete, nous descendrons à Los Angeles et San Diego, puis nous bifurquerons vers Phoenix et remonterons jusqu’au Grand Canyon, Hoover Dam, Las Vegas, les Sierras vers Yosemite, Lassen et Crater Lake. Puis nous rentrerons à la maison.
– C’est un sacré périple ! Combien de temps serez-vous partis ?
– Quatre ou cinq semaines.

Papa plissa le front pensivement.

– Plus d’un mois, en tout ? Et pour l’argent ? Comment est-ce que Brian paiera sa part ?
– Je paierai pour tout, Ben. C’est déjà réglé.

Papa et moi échangeâmes un regard gêné.

– Je veux le faire pour Brian et moi. Nous avons besoin de nous retrouver tous les deux et de prendre du recul par rapport à tout ce qui s’est passé.
– Mais cinq semaines ?
– C’est le temps que ça prendra si nous nous arrêtons un jour ou deux à chaque endroit, expliqua Pete.
– Je ne sais pas, les garçons. Ça fait beaucoup de temps à passer sans adulte à vos côtés, aussi loin de la maison.
– Papa, dis-je, dans deux ans, nous serons indépendants de toute façon, et tu sais que nous sommes responsables.

Papa fit une grimace, rappelé à la réalité du temps qui passait et de celui que nous avions perdu pendant notre séparation.

– Deux ans, c’est beaucoup à votre âge. Et je sais que vous pouvez prendre soin l’un de l’autre. C’est juste l’idée que vous partiez aussi longtemps qui me gêne. Je ne suis pas sûr que ta mère sera d’accord.
– Papa, j’ai vraiment envie de le faire. Nous resterons joignables. J’emmènerai mon téléphone portable et nous appellerons à intervalles réguliers.
– Je vais devoir en parler avec ta mère, Brian.
– Je sais, mais n’oublie pas que c’est important pour moi. Pour nous.

Je pris la main de Pete dans mienne et la serrai. Papa nous observa pendant une seconde, puis hocha la tête.

– Je vais l’appeler.
– Merci, Papa.
– Ne me remercie pas encore. Si elle dit non, je dirai non.
– Alors peut-être que je devrais lui parler aussi, dis-je en réfléchissant à voix haute.
– Je te laisserai lui parler. Mais je ne sais pas si ça lui fera changer d’avis.
– Tu parles comme si elle avait déjà refusé !
– Brian, dit mon père d’une voix sévère, je t’ai dit que je lui parlerai. N’insiste pas.

Mon visage s’empourpra de colère. Je me murai dans le silence. Je finis de nettoyer les assiettes et m’assis lourdement sur le canapé devant la télé. Pete s’assit à côté de moi et me regarda sans parler. Mon esprit tournait en rond, en proie à la colère. Je détestais quand Papa refusait de dialoguer. J’avais le droit d’exprimer mes émotions, non ? Il s’était toujours comporté ainsi. Je ne savais pas pourquoi je m’attendais à autre chose.

– Bri ?

La douce voix de Pete me ramena à la réalité, chassant mes pensées. Je levai les yeux et réalisai que j’étais resté prostré pendant près d’une heure, sourd et aveugle au monde qui m’entourait. L’expression inquiète de Pete me disait tout ce que je devais savoir sur son état d’esprit.

– Désolé, dis-je en poussant un profond soupir. Je réfléchissais.
– À quoi est-ce que tu pensais, Bri ? Tu as déconnecté pendant un long moment.
– À Papa. Il ne me laisse jamais exprimer ce que je ressens, soupirai-je.
– Laisse sortir ce que tu as sur le cœur quand il n’est pas là, proposa Pete en me caressant la jambe d’un geste apaisant. Tu peux me parler, tu sais.
– Je sais, répondis en posant une main affectueuse sur son genou. Parfois, j’ai juste envie de courir dehors et de hurler jusqu’à en perdre la voix, tu vois ce que je veux dire ?
– Et pourquoi est-ce que tu ne le fais pas ?
– Papa me prendrait pour un fou ! Et nous pourrions faire une croix sur nos vacances, c’est certain !
– Nous pouvons toujours aller faire un tour en vélo, si tu veux. Tu sais que ce n’est pas l’espace qui manque ici.
– Je ne devrais pas être obligé de m’enfuir pour exprimer mes émotions, Pete. Je suis chez moi. Enfin, je me comprends, ajoutai-je en réponse au sourire moqueur de Pete.
– Oui, je sais. Évite simplement de tout accumuler à l’intérieur, d’accord ? Will t’a dit combien c’était néfaste. Tu peux vider ton sac avec moi quand tu veux, même si tu me cries dessus.

Je me penchai vers lui, posai la tête sur son épaule et fermai les yeux. Il passa un bras autour de mes épaules. Qu’est-ce que je ferais sans Pete ? Je perdrais la tête.

Papa descendit l’escalier environ dix minutes plus tard, le visage insondable.

– Brian, ta mère veut te parler.

À contrecœur, je me dégageai de l’étreinte de Pete et pris l’appel dans la cuisine.

– Salut Maman.
– Bonjour mon chéri. Comment vas-tu ?
– Ça peut aller.
– Ça peut aller ? C’est tout ?
– Je suis inquiet. Je tiens vraiment à faire ce voyage, Maman.
– C’est ce que dit ton père. Il m’a dit où vous comptiez aller. Est-ce que vous êtes sûrs que vous ne pouvez pas raccourcir le voyage à une quinzaine de jours ?
– Non, Maman. Le timing est déjà très serré. À moins de passer à côté du Hoover Dam et du Grand Canyon sans nous arrêter, ou de ne renoncer à Los Angeles ou San Diego. Dans ce cas, autant ne pas partir du tout.
– Qu’est-ce que ton père en dit ?
– Il a dit qu’il se rangerait à ta décision.
– Comment est-ce que ça se passe entre toi et Pete ?

La question me prit au dépourvu.

– Très bien. À merveille. Tout se passe bien.
– Tu l’aimes toujours ?
– Plus que jamais. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui.

Silence à l’autre bout du fil.

– Maman ? Tu es toujours là ?
– Je suis là. Je réfléchis.

Elle resta silencieuse encore quelques instants.

– Laisse-moi parler de nouveau à ton père.
– D’accord, Maman. Je t’aime.
– Je t’aime aussi, mon chéri.

– Papa, Maman veut te parler.

Il s’approcha et prit le combiné. Je retournai auprès de Pete.

– Alors ?
– Je n’en sais rien. Elle n’avait pas l’air emballée et m’a demandé si nous pouvions raccourcir le voyage. Je lui ai répondu que non.
– Si elle dit non, alors nous trouverons autre chose, dit-il en passant de nouveau son bras autour de mes épaules. Je ne pense pas qu’ils refuseront de nous laisser partir une semaine, et ce sera déjà suffisant pour aller à Brookings, peut-être même à Crater Lake. Nous pourrions essayer de couper le voyage en plusieurs morceaux. Nous trouverons bien le moyen de passer du temps ensemble d’une façon ou d’une autre.

Nous restâmes devant la télévision pendant une dizaine de minutes, puis entendîmes Papa raccrocher le téléphone.

Il entra dans le salon et s’assit pour regarder la télévision avec nous. Je n’arrêtais pas de lui jeter des coups d’œil pour essayer de deviner ce qu’ils avaient décidé, mais son visage ne donnait aucune indication. Il m’avait dit de ne pas insister, donc je n’allais pas aborder le sujet de nouveau.

Vers neuf heures, Papa se leva et s’étira.

– Je vais aller me coucher, les garçons. Si vous voulez que je vous ramène à l’autre maison, soyez prêts à partir vers sept heures.
– Bonne nuit, Papa.
– Bonne nuit, Ben.
– Bonne nuit.

Il gravit l’escalier. Pete et moi échangeâmes un regard et soupirâmes.

– Oh, j’allais oublier, dit Papa en redescendant quelques marches, c’est d’accord pour votre voyage…
– YOUPI ! dit Pete en me tapant dans la main.
– … À CONDITION de suivre nos consignes. Nous en reparlerons plus tard, mais je pense que ça ne devrait pas être très compliqué.
– Merci Papa !
– Remercie plutôt ta mère. Elle veut de l’aide avec les cartons !
– Ça vaut le coup !
– Dormez bien, les garçons.

Papa finit de gravir l’escalier et partit se coucher.

Je me tournai vers Pete et l’embrassai passionnément.

– Je n’arrive pas à croire qu’elle ait dit oui ! m’exclamai-je.
– Moi, si, dit Pete avec un sourire. Ils savent que tu es un adolescent rebelle.

Mon sourire s’effaça.

– Tu ne crois pas que c’est pour ça qu’ils ont dit oui, si ? Parce qu’ils ont peur que je fugue ?
– Brian, mon coeur, ils nous laissent partir parce qu’ils nous font confiance.
– Comment est-ce que tu le sais ?
– Parce qu’ils nous ont déjà fait confiance sur le fait de vivre ensemble.
– Non, ils l’ont fait parce qu’ils savaient qu’ils me perdraient s’ils ne me laissaient pas vivre avec toi.
– Qu’est-ce que tu veux entendre, Bri ? dit Pete d’une voix qui trahissait son agacement. Est-ce que tu veux que je te dise qu’ils nous laissent partir parce qu’ils ont peur que tu t’enfuies ? Ou est-ce que tu préfères entendre qu’ils nous font confiance ?

Je soutins son regard pendant qu’il parlait, puis baissai les yeux vers mes mains jointes entre mes genoux.

–Non, tu ne sais pas ce que tu veux. Tu n’attends même pas une réponse. Tu cherches toujours à te raccrocher à quelque chose pour te rendre malheureux. Tu es incapable de voir les choses autrement qu’en noir. Tu l’as toujours fait ! Je n’arrive pas à y croire. Tu te complais dans ton malheur ! Comment est-ce que j’ai fait pour ne pas m’en rendre compte plus tôt ? Putain, je n’y crois pas.

Pete se leva brusquement.

– Je vais me coucher, dit-il sans se retourner, fermant la porte de la chambre derrière lui.

Je me redressai sur le canapé, abasourdi. Je ne me souvenais même plus de la dernière fois que Pete s’était énervé contre moi. Je savais pourquoi il s’était emporté, mais j’avais quand même mal. Surtout parce qu’il avait raison et que je ne savais pas par où commencer pour changer mon comportement.

Pourquoi voyais-je toujours les choses en noir ? Étais-je à ce point résigné au pire que je laissais mes peurs me dominer ? Allais-je les laisser dicter ma vie ? Avais-je perdu toute capacité à voir le bon côté des choses ?

Le regard voilé par les larmes, je pris un oreiller et une couverture dans le placard et m’installai sur le canapé pour une longue nuit… solitaire.


Parfois, Brian me donnait des envies de meurtre. Nous avions obtenu le feu vert pour notre road trip, et la première chose qui lui venait à l’esprit était de se demander pourquoi nous avions eu la permission. Franchement, à ce moment précis, je m’en fichais pas mal. C’était typique de la part de Brian. Il fallait qu’il trouve un os à ronger. Alors que nous avions toutes les raisons de nous réjouir et de fêter la bonne nouvelle, il cherchait des raisons de déprimer et de broyer du noir. Je vous jure que j’avais envie de le frapper, des fois. Pour lui donner une leçon. Est-ce que vous comprenez ?

Puis je me mis à réfléchir à tout ce qu’il avait traversé et à ce qu’il avait sur le cœur. Il ne s’était sans doute pas rendu compte de sa réaction, mais c’était la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. J’avais perdu mon sang froid et lui avais parlé sans ménagement. Peut-être qu’il le méritait. Je m’en voulais, mais en même temps je me sentais légitime dans ma colère. M’était-il interdit de m’énerver contre lui ? J’avais le droit d’exprimer mes émotions aussi. Brian allait devoir s’y faire.

Je glissai dans le sommeil avec un sentiment de satisfaction.

J’ouvris les yeux vers deux heures et demie, selon le réveil. Quelque chose clochait. Je m’aperçus soudain que je n’entendais pas la respiration de Brian à côté de moi. Je roulai sur le côté et découvris que son côté du lit était resté intact. Je sortis du lit en soupirant, maudissant le sol glacé, et ouvris doucement la porte de la chambre.

Le salon était plongé dans l’obscurité. La seule lumière visible provenait de l’affichage digital du magnétoscope. Sa lueur bleutée éclairait faiblement Brian qui dormait sur le canapé. Il s’était enveloppé dans une couverture et dormait en chien de fusil. Il semblait sur le point de glisser du canapé sur le sol.

Je restai debout un moment, luttant contre un sentiment de culpabilité. Il devait y avoir une manière plus constructive de gérer la situation. Brian remua dans son sommeil et laissa échapper un râle profond, sans doute plongé dans un rêve. Sa respiration s’interrompit, puis reprit en souffles courts et haletants. Il se pelotonna encore davantage, tirant la couverture à lui.


J’étais au lycée. Tout semblait normal. Pete et moi étions sortis du placard. Nous avions commencé à nous enlacer et à partager quelques baisers dans les couloirs, ce qui nous valait des sourires ou des froncements de sourcils de la part de ceux qui ne restaient pas tout simplement indifférents. Dans l’ensemble, tout se passait bien.

Je discutais avec Jared, Ray, Jason et David, mais Pete était introuvable. Je demandais à tous ceux que je croisais s’ils l’avaient vu, mais personne ne pouvait m’aider. Paniqué, je me mis à sa recherche dans chaque salle de classe, dans chaque placard à balais, dans chaque vestiaire du gymnase… mais impossible de le retrouver. En arrivant dans le couloir où Jared avait été agressé, je tombai sur un groupe de garçons. Deux d’entre eux soutenaient le corps inanimé de Pete.

– Tu vois ce qui arrive aux pédés ? dit l’un d’entre eux, et le corps de Pete fut jeté à terre.

Je me précipitai vers lui, mais son corps était froid. Je n’arrivais pas à trouver son pouls.

– Maintenant, c’est à ton tour, pédale.

Le groupe m’attaqua, et je me réveillai quand les premiers coups m’atteignirent au plexus, me coupant le souffle. Ignorant mes larmes, je tirai la couverture à moi, ce qui ne fut pas d’un grand réconfort. J’avais besoin de Pete, mais il était dans la chambre. Mes larmes redoublèrent.

Ma respiration finit par retrouver son rythme normal, mais je ne parvins pas à me rendormir. J’avais fait les mêmes cauchemars depuis que nous avions évoqué l’idée de sortir du placard. D’habitude, ils n’étaient pas aussi violents, mais ils m’effrayaient néanmoins.

J’avais désormais de sérieuses appréhensions à l’idée de sortir du placard. Je n’arrivais pas à m’ôter de l’esprit que si nous le faisions, nous avions toutes les chances de nous faire agresser. Ce qui était arrivé à Jared ne faisait qu’apporter de l’eau à mon moulin. Je ne voulais pas qu’il arrive quelque chose à Pete à cause de moi, et le coming-out avait été mon idée.

J’entendis des pas feutrés s’approcher.


– Brian ? Brian, mon coeur, viens te coucher.

Je posai une main sur son épaule. Était-ce un tremblement que je sentais ? Il ne bougeait pas.

– Bri ? S’il te plaît ?

Il leva la tête vers moi, mais je ne voyais rien à cause de la faible luminosité. Il me tourna le dos.

– Je suis désolé, Pete. Je ne sais pas pourquoi j’ai réagi comme ça. Si je le savais, je ne le ferais pas.
– Je sais, Bri. Sincèrement. Je crois que j’étais énervé parce que tu ne te réjouissais pas de notre départ. Je n’aurais pas dû te parler comme ça. C’était méchant. Je voulais te blesser.
– Tu as réussi. Mais c’est la vérité. Je vois toujours le mauvais côté des choses. Je ne sais pas si je cherche à être malheureux, mais c’est ce à quoi je suis habitué. Will dit qu’on essaie souvent de rester dans sa zone de confort, même si on n’y est pas heureux.
– Brian, viens te coucher avec moi. J’essaierai de te changer les idées pendant un moment, d’accord ? dis-je en faisant glisser ma main sur sa jambe.

Il m’attrapa la main, interrompant mon geste.

– Je ne peux pas, Pete. Pas ce soir.
– Pas de souci, Bri. Je comprends.

Il chercha de nouveau mon visage du regard.

– J’ai juste besoin que tu me tiennes dans tes bras. Est-ce que tu ferais ça pour moi ?
– Bien sûr, mon coeur. Tant que tu voudras.

Brian se redressa en position assise et me suivit dans notre chambre. Comme il s’était endormi tout habillé sur le canapé, il se débarrassa de ses vêtements avant de me rejoindre dans le lit. Je me décalai pour qu’il vienne de mon côté, qui était encore chaud.

– Tu as fait un mauvais rêve, Bri ?
– Pas pire que d’habitude.
– Mais il t’a quand même réveillé.
– Comme je te l’ai dit, pas pire que d’habitude.
– Est-ce que tu me raconteras ton cauchemar ?
– Pas ce soir. J’aimerais juste l’oublier et réussir à dormir un peu. Ça ne te dérange pas ?
– Pas du tout, mon coeur. Je suis là, maintenant.

Brian se retourna, et je me blottis contre lui en cuillère, passant un bras autour de sa poitrine. Je restai éveillé jusqu’à entendre sa respiration reprendre le rythme profond du sommeil. Ce n’est qu’à ce moment-là que je pus me détendre suffisamment pour m’endormir à mon tour.


J’éteignis le réveil quelques secondes à peine après le début de la sonnerie. Brian remuait un peu. Je repris ma position et le serrai fort contre moi. Une légère flatulence se fit entendre, ce qui nous fit rire tous les deux. C’était tellement bon de l’entendre rire de nouveau, après ce qui s’était passé au cours de la nuit.

– Bonjour, mon coeur, dis-je en lui déposant un baiser dans le cou.
– Mmmh, bonjour.

Il se recula contre moi, me procurant un frisson dans l’échine.

– Est-ce que je te serre trop fort ?

Il répondit par un petit rire, mais ne dit rien.

– Il faut qu’on se lève, Bri. Ton père va nous ramener pour que nous allions voir des voitures avec Jason, tu te souviens ?
– Je n’ai pas envie de me lever. J’ai envie de rester au lit avec toi, dit-il en ponctuant chaque syllabe d’un coup de reins.

Je n’avais pas envie de me lever non plus, mais nous avions des engagements.

– Peut-être qu’on pourra reprendre ça plus tard, Bri. Avec plaisir. Mais ton père va nous appeler d’une minute à l’autre.

À contrecœur, je m’écartai de lui et roulai sur le côté pour sortir du lit. Il fit mine de bouder, et je dus faire un effort pour ne pas lui céder. Dissimulant un sourire, il sortit du lit à son tour et enfila ses habits de la veille. Nous fîmes le lit et ouvrîmes la porte juste au moment où Ben s’apprêtait à toquer.

– Vous êtes prêts, les garçons ?
– Oui !

Ben dévisagea Brian, attardant son regard sur les cernes sous ses yeux et ses vêtements froissés.

– On dirait que tu n’as pas beaucoup dormi, fiston. Vous vous êtes amusés tard, cette nuit ? plaisanta-t-il en me faisant un clin d’œil.
– C’est ça, fis-je en levant les yeux au ciel.
– Nous nous sommes disputés, Papa. Nous avons recollé les morceaux, mais ça nous a pris du temps.
– C’est un soulagement !
– Qu’est-ce qui est un soulagement ? demandai-je, intrigué.
– Que vous vous disputiez de temps en temps. Moi qui pensais que vous étiez le couple parfait.

Il était facile de voir qu’il nous taquinait, mais Brian se referma immédiatement sur lui-même. Je lui donnai un coup de poing amical dans la poitrine pour qu’il pense à autre chose.

– Aïe !
– C’était pour te changer les idées. J’ai réussi, non ? dis-je avec un sourire, en espérant qu’il le prendrait bien.

Contre toute attente, il me décocha un coup de poing dans l’épaule.

– Merci ! dit-il en souriant.

Je me frottai l’épaule là où il m’avait frappé. Il ne se rendait pas compte de sa force. Heureusement que j’étais de son côté.

– Si vous avez terminé de vous entretuer, nous pouvons y aller.

Toujours souriant, Brian me prit la main et nous nous dirigeâmes vers la voiture.

Nous arrivâmes à la maison vers sept heures et quart. Kévin était déjà parti, mais Jason et David dormaient toujours.

Avec un sourire charmeur, Brian commença à gravir l’escalier et commença à enlever ses vêtements l’un après l’autre en les semant derrière lui. Je le suivis des yeux, sentant mon excitation monter, puis me lançai à sa poursuite, ramassant ses vêtements en chemin. Je m’arrêtai au seuil de notre chambre et le regardai finir son strip-tease. C’était inattendu. J’avais oublié combien il pouvait être joueur.

Il s’approcha de moi en roulant des mécaniques, sans jamais détacher son regard du mien. Quand il fut à ma hauteur, il posa une main sur ma poitrine et me contourna jusqu’à se placer derrière moi. Je tournai la tête pour le suivre des yeux et remarquai que la porte de la chambre de Jason était entrouverte. Brian le remarqua également et me tira doucement dans la chambre.

Il passa la tête dans l’embrasure de la porte et dit :

– J’espère que vous avez aimé le spectacle, les gars.

Puis il ferma la porte derrière lui. Oh, comme je t’aime, Brian.


Moi aussi, je t’aime, Pete. Plus que les mots ne pourront jamais l’exprimer.

Jason nous réveilla trois heures plus tard, en prenant la peine de frapper à la porte, cette fois-ci. Je crois que la fois précédente lui avait servi de leçon. Nous fîmes notre toilette et partîmes regarder des voitures d’occasion avec David et Jason. J’avais l’impression que plus nous cherchions, moins nous trouvions. Après une série de visites décevantes, nous prîmes la route de Wilsonville, au Sud, pour nous rendre dans la maison de David.

Quand je demandai à David si ses parents étaient chez lui, il haussa les épaules d’un air tendu. Je n’insistai pas. Pete me pinça affectueusement la jambe, et je pris sa main réconfortante. Jason discutait calmement avec David, s’efforçant de le rassurer sur le fait que tout se passerait bien.

David gara la voiture dans l’allée et coupa le moteur. Il se contorsionna dans son siège pour nous faire face.

– Je ne sais pas ce que mes parents vont dire ou faire, les gars. Ils sont au courant pour moi et ils détestent l’idée que leur fils soit gay. S’ils vous disent quelque chose qui vous choque, ne répondez pas. Nous ferons aussi vite que possible. Restez près de moi. Je vais avoir besoin de votre soutien.

Nous sortîmes de la voiture et suivîmes David sur le porche. Il s’arrêta et prit une profonde respiration, puis ouvrit la porte et entra. Nous le suivîmes à l’intérieur.

La télévision était allumée dans le salon, ainsi que les lumières de la cuisine. Nous entendîmes des bruits de casseroles et celui de la porte du réfrigérateur qui se refermait. Après une légère hésitation, David se précipita vers sa chambre. Une fois sur place, il sortit des sacs de sport et commença à les remplir avec ses effets personnels. Quand le premier fut plein, il passa au second, puis au troisième. Il n’avait pas encore terminé quand une femme âgée d’une cinquantaine d’années fit son apparition à l’entrée de la chambre.

– David ! Il me semblait bien t’avoir entendu. Et ces personnes sont… tes amis ?

Son ton ne laissait aucun doute sur ce qu’elle pensait de nous. Je sentis la colère monter en moi, mais je tins ma langue dans l’intérêt de David.

Au lieu de répondre, David finit de remplir le troisième sac et dit :

– J’ai fini. Allons-y.

Il contourna sa mère et se dirigea vers la porte.

– David, où sont tes manières ? Tu ne vas pas nous présenter ?

David se retourna brusquement, manquant de m’écraser avec un de ses sacs. Je m’écartai pour qu’il puisse affronter sa mère.

– Pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu voudrais connaître leurs noms ?

Il s’avança vers elle lentement. Sa voix était calme, contenant difficilement la colère qu’il ressentait.

– Est-ce que c’est pour pouvoir personnaliser tes insultes ?
– David, je…
– Qu’est-ce que tu veux ? Tu m’as clairement fait comprendre ce que tu pensais de moi la dernière fois que nous nous sommes vus. Ne t’inquiète pas. Je garderai mes « pratiques dégoûtantes » et « ces gens-là » loin de toi.
– David, je ne voulais pas dire…
– Oh, si, c’est ce que tu as dit. Tu as utilisé exactement ces mots. Ils sont restés gravés dans ma mémoire.
– Ce sont les mots de ton père, pas les miens. Je n’ai jamais rien dit de la sorte.
– Si, tu l’as dit. Et quand Papa s’est mis à me crier dessus, à débiter ses conneries, tu n’as rien fait pour me défendre. Tu es juste restée plantée là. Qui ne dit mot consent. Tu n’as jamais rien fait pour me protéger, ce qui veut dire que tu étais d’accord avec tout ce qu’il a dit !

Elle baissa les yeux et garda le silence.

– Nous allons te laisser, maintenant. Envoie-moi un SMS quand vous repartirez. Je ne reviendrai pas tant que vous êtes là. Allez, on y va.

Pendant toute la durée de leur dispute, les rouages dans ma tête n’avaient cessé de tourner. Cependant, je ne parvins à identifier ce qui ne tournait pas rond qu’une fois installé dans la voiture, sur le chemin du retour. J’avais certaines questions à poser à David, mais ce n’était pas le moment.

Pete avait été affecté aussi. Il avait sans doute vécu des disputes semblables avec sa mère, Brenda. Il était assis à l’arrière avec moi et me tenait la main. Je sentais qu’il était tendu. A l’approche de la maison, il serrait ma main tellement fort que j’en avais les larmes aux yeux. Il se tourna vers moi avec un léger sourire qui disparut dès qu’il aperçut mon visage.

– Brian, mon coeur, qu’est-ce qui ne va pas ?

Incapable de répondre, je désignai nos mains du regard. La sienne était tellement contractée qu’elle avait pâli, et la mienne était pourpre à cause de la constriction. Il relâcha ma main et retira vivement la sienne, comme s’il s’était brûlé.

– Bri, oh, Bri, je suis vraiment désolé. Je ne m’étais pas rendu compte que…
– Ne t’inquiète pas, Pete. Je comprends, dis-je en lui caressant la joue avec ma main endolorie.

Il secoua la tête et essaya de dire quelque chose, mais je le stoppai net en posant un doigt sur ses lèvres.

– Cette dispute t’a fait remonter beaucoup de souvenirs à la surface, hein ?

Il hocha la tête d’un air triste.

– Nous serons mieux à l’intérieur. Je vais t’emmener dans notre chambre. Je crois que nous avons tous les deux besoin d’un câlin.

Il hocha la tête de nouveau, et m’aida à sortir de la voiture de son côté.

Je le pris dans mes bras et sentis une larme tomber sur ma joue. Je levai le regard vers ses yeux humides et l’embrassai tendrement sur les lèvres.

– Ça va aller, Pete, chuchotai-je. Le passé n’a plus d’importance. Nous sommes ensemble, et personne ne va nous séparer.

Un sourire se dessina sur son visage, et il plongea son regard dans le mien. Il me serra si fort dans ses bras que j’en eus le souffle coupé.

– Je t’aime, Brian Andrew Kellam, chuchota-t-il.

Puis il verrouilla ses lèvres sur les miennes, et le monde se mit à tourner autour de nous.

Jason s’éclaircit la gorge, nous ramenant à la réalité. Pete dut encore me soutenir le temps que je retrouve l’usage de mes jambes. Je rouvris les yeux et me perdis dans les siens quelques secondes de plus, puis il me relâcha et nous nous dirigeâmes vers la maison.

Une fois la porte refermée, Jason nous sermonna :

– Qu’est-ce qui vous a pris ? Est-ce que vous voulez crier votre amour sur tous les toits ? On aurait pu surprendre ! C’était un risque stupide…
– Jason, laisse-les tranquilles, dit David avec autorité. Ça ne fait rien.
– Bien sûr que si !
– Non, ça ne fait rien. Si nous n’étions pas ensemble, est-ce que tu en ferais toute une histoire ? Pose-toi la question. Je crois que ma mère t’a fait flipper, Jason, et que tu as peur qu’on le sache pour toi. Alors fous-leur la paix !

Alors que Jason et David se défiaient du regard, Pete et moi nous esquivâmes à l’étage et refermâmes la porte de notre chambre.

Nous nous déshabillâmes en silence, ne gardant que nos caleçons. Pete prit place dans le lit, et je le suivis, me serrant contre lui. Il se retourna pour que je puisse me placer en cuillère derrière lui. C’était inhabituel. D’habitude, c’était lui qui me tenait. Ce n’était pas désagréable.

– Est-ce que tu veux en parler, Pete ?
– Non, pas vraiment. J’aimerais autant penser à autre chose.
– Mais ça fait un moment que ça te tracasse, non ?

Il hocha légèrement la tête.

– Pete, tu m’as aidé plus de fois que je ne peux les compter. Maintenant, c’est à mon tour de t’aider. Si tu veux en parler, je t’écoute.

Quelques minutes s’écoulèrent, puis il prit la parole à voix basse.

– Environ un an après notre arrivée ici, Maman a rencontré Curt, et il est venu habiter avec nous. Elle lui a dit qu’elle pensait que j’étais gay, et que j’avais besoin d’être remis sur le droit chemin.

Il frissonna, et je le serrai plus fort contre moi.

– Au début, il se contentait de me hurler dessus, comme le faisaient les parents de David, j’imagine. Je ne pouvais rien faire d’autre qu’encaisser sans broncher.
La première fois que je lui ai répondu, il m’a frappé. J’ai eu mal à la mâchoire pendant une semaine. Puis les sermons sont devenus de plus en plus longs et plus violents. Ma mère y participait aussi. Elle hurlait à pleins poumons. Je suis surpris que personne n’ait appelé les flics.
J’évitais de rentrer à la maison. Je me rendais chez mes grands-parents. Maman venait me chercher, et tout recommençait, sauf que Curt me mettait une raclée. J’ai fini par demander à ma mère si je pouvais emménager chez mes grands-parents, pour qu’elle puisse passer plus de temps avec Curt et que je puisse me concentrer sur mes devoirs. Elle a donné son accord, mais elle me faisait quand même venir de temps en temps et ils… Bref, tout continuait comme avant.

Je le tenais fermement dans mes bras. Il ne m’avait jamais parlé de la maltraitance physique.

– Puis mes grands-parents sont décédés. C’était la catastrophe. J’étais mort de peur à l’idée de retourner habiter chez elle, mais finalement Kévin et Sharon m’ont recueilli.

Un sourire ému apparut sur son visage à cette évocation.

– Kévin et Van se sont battus pour mon émancipation et l’ont obtenue.

Il fit une pause, perdu dans ses pensées, tout en me caressant la main.

– Et je n’y changerais rien. Même si j’en ai bavé, ça valait le coup, parce que tu es là.

Il se retourna dans mes bras et m’embrassa tendrement.

– Je ne t’échangerais contre rien au monde.

Je souris et l’embrassai en retour, et nous nous endormîmes dans les bras l’un de l’autre.


Le reste de la semaine fut consacré à la recherche d’une voiture et à l’emménagement de David. Ce n’était pas évident, parce que nous ne le connaissions qu’à travers Jason. Pete et moi n’étions pas complètement à l’aise en sa présence. Ce n’était pas tant la personnalité de David qui était en cause que nos propres difficultés à appréhender la situation, étant donné qu’il vivait avec nous à cause de ses parents.

Il s’en rendit compte, évidemment, et évoqua le sujet le vendredi matin alors que nous faisions une séance de musculation. C’était un bon partenaire au développé couché, parce qu’il soulevait les mêmes poids.

– Brian, est-ce que j’ai fait quelque chose qui aurait pu vous offenser, toi et Pete ?
– Non.

Je fis encore quelques répétitions en soufflant pour contrer l’effort, puis David m’aida à remettre la barre sur le support. 

– Pourquoi est-ce que tu poses la question ? demandai-je.
– J’ai l’impression que Pete et toi êtes un peu sur vos gardes quand je suis dans les parages.
– Ah bon ? Je n’ai pas remarqué.

Nous changeâmes de place, et j’aidai David à soulever la barre. Il fit ses quinze répétitions et la reposa.

Il se redressa sur le banc et me regarda.

– C’est comme si vous étiez… pudiques de nouveau. Vous ne vous embrassez pas et vous gardez vos distances l’un avec l’autre quand je suis là. Est-ce que j’ai fait quelque chose ?
– Non, David. C’est juste que… Nous ne savons pas comment nous comporter avec toi.
– À cause de mes parents ?
– Oui.

Nous permutâmes de nouveau, et je commençai ma série.

– Continuez à vous comporter avec moi comme vous l’avez toujours fait. Je m’occuperai de mes parents. Ne vous en faites pas pour moi.
– J’ai l’impression de m’entendre, m’amusai-je.

Mes bras étaient fatigués, et David surveilla mes quatre dernières répétitions, mais sans intervenir.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– C’est exactement ce que je disais quand je suis arrivé ici. « Ne vous inquiétez pas » ou « Je vais très bien, merci ».

Nous changeâmes de place une dernière fois, et David finit sa dernière série avec un peu d’aide.

– C’est ce que je dis à Jason tout le temps.
– Et je suis sûr qu’il déteste ça.
– Oui, dit-il en m’aidant à ranger les poids sur leur support. Jason se met parfois en colère, mais je ne sais pas comment réagir.
– Il veut simplement que tu lui parles, David. Essaie de te confier un peu à lui.

Son visage s’assombrit.

– On verra.

Nous terminâmes notre entraînement dans un silence relatif.

Je rapportai la discussion que je venais d’avoir avec David à Pete, et lui non plus n’avait pas remarqué notre changement d’attitude depuis l’arrivée de David. Nous décidâmes de faire un effort pour nous comporter le plus normalement possible.

Vendredi soir, Jason et David sortirent tous les deux. Nous ne posâmes pas de questions, et ils ne nous proposèrent pas de les accompagner. Pete et moi restâmes à la maison en compagnie de Kévin. Il était rentré tôt du travail pour une fois, et n’aspirait à rien d’autre qu’à se reposer. Je ne pouvais pas lui en vouloir.

Il avait ramené deux DVD que j’aimais bien : Les Ailes de l’Enfer et Tueurs à Gage. Pete les regarda avec plaisir, mais Kévin s’endormit au cours du deuxième film, après avoir dévoré plusieurs sachets de pop-corn préparés au four à micro-ondes. Il était onze heures et demie quand nous le réveillâmes pour aller au lit. Nous laissâmes la lumière de cuisine allumée pour Jason et David, puis suivîmes Kévin à l’étage.

Après quelques câlins, nous nous endormîmes. Pour une fois, aucun cauchemar ne vint troubler mon sommeil.


Pete n’était plus dans le lit quand je me réveillai. Je jetai un coup d’œil au réveil et vis qu’il était déjà neuf heures. Je restai allongé quelques minutes de plus, profitant de ce moment de détente. Finalement, je m’étirai en faisant craquer mes articulations et sortis du lit.

Je me dirigeai vers la salle de bains. En ouvrant la porte, je tombais sur Pete qui se brossait les dents. Je l’enlaçai par derrière et marmonnai « Bonjour, mon coeur », puis ouvris le robinet de la douche. J’avais l’intention de prendre une douche rapide, en espérant qu’il y aurait assez d’eau chaude.

Pete se rinça la bouche et s’assit sur le couvercle des toilettes pour me tenir compagnie. Après avoir retiré mon caleçon et avoir enjambé la baignoire, je me savonnai et me frottai sans perdre de temps.

– Devine ce que j’ai trouvé, Bri ?
– Quoi ?
– Ma voiture !
– Ah bon ? Qu’est-ce que c’est ?
– Une Malibu SS blanche de 1974. Le gars m’a promis de la bloquer jusqu’à ce que je puisse venir la voir. Il a dit qu’elle était en parfait état, avec toutes les pièces d’origine sauf le moteur.
– Ça pourrait être sympa. Quand est-ce que tu vas le voir ?
– Dès que tu seras habillé. Kévin va nous emmener.
– J’ai bientôt fini. Je dois juste me laver les cheveux et je sors.
– C’était rapide, dis-moi.
– J’ai de bonnes raisons de me dépêcher.

Quelques secondes plus tard, je me rinçai et fermai le robinet. Pete ouvrit le rideau de la douche, tenant ma serviette. Il resta debout à me regarder de la tête aux pieds, avec un léger sourire.

– Euh, Pete ? Je commence à avoir froid.

J’avais la chair de poule sur les bras et la poitrine. Je grimaçai en repensant à mon épisode d’hypothermie de l’hiver précédent. La même pensée dut traverser l’esprit de Pete.

Légèrement embarrassé, il me tendit rapidement la serviette. Son sourire se fit plus chaleureux, et il m’embrassa sur la joue.

– Ne t’inquiète pas, mon coeur. Tout va bien, d’accord ?

Je hochai la tête et commençai à me sécher.

– Je n’arrive pas à croire à quel point j’ai pu être aussi stupide.
– Tu ne comprenais pas, Brian. Je crois que ça commence à venir, maintenant.
– Oui, j’ai l’impression aussi.

Je sortis la tête de la serviette en me séchant les cheveux et souris.

– Tout le monde a été génial. Will m’avait dit que je finirais par croire ceux qui me disaient qu’ils voulaient que je reste. Et par croire que tu m’aimais comme tu le disais. N’est-ce pas ?
– Mmmh. Hum.

Je continuai à me sécher le reste du corps, sachant que Pete suivait chacun de mes mouvements.

– Ça commence à rentrer. Parfois, je peux rester plusieurs heures sans me demander si j’ai vraiment ma place ici. C’est nouveau pour moi. Presque déstabilisant.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Je t’avais dit que les gens ont naturellement tendance à chercher le confort de l’habitude, même s’ils ne sont pas heureux ?

Il approuva de la tête.

– C’est vrai pour moi aussi. Je suis souvent ramené à ce sentiment de dévalorisation, tu sais ? Il faut que je me rappelle à chaque fois que je vaux mieux que ça. C’est bizarre.
– Comme si tu ne savais pas où tu en étais ?
– Non, plutôt comme si je ne savais pas où j’allais.

Je nouai ma serviette autour de la taille et retournai dans notre chambre.

– J’ai toujours des moments de doute, aussi. C’est encore très récent. Il va falloir que je m’habitue au changement.
– Tu as tout le temps qu’il te faut, Bri. Je ne compte pas m’en aller.
– Je sais.

Je laissai tomber la serviette à mes pieds et le pris dans mes bras. Je levai le regard vers lui et l’embrassai sur les lèvres.

– Est-ce que tu veux manger quelque chose avant de partir, mon coeur ?
– Euh, rien de trop lourd. Peut-être un yaourt ou une tartine ?
– D’accord. Je vais te chercher ça.
– Je descends dans cinq minutes.

Il m’embrassa à son tour et quitta la pièce en souriant.

Quand je descendis dans la cuisine, Kévin finissait une tasse de café en lisant le journal. Il leva les yeux quand j’entrai.

– Bonjour Brian.
– Bonjour Kévin. Alors, tu nous emmènes acheter une voiture ?

Je sortis un bol du placard. Pete amenait des corn-flakes pour moi avec du lait.

– Oui. Moi et ton père.
– Papa vient aussi ? dis-je en regardant Kévin avec surprise.
– Bien sûr. Il s’y connaît mieux que moi en mécanique. Pourquoi ? Tu ne voulais pas qu’il vienne ?
– Non, ce n’est pas ça. Je suis surpris, c’est tout.
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas. C’est comme ça. Quand est-ce qu’il arrive ?

La sonnerie de la porte d’entrée se fit entendre.

– À peu près maintenant.

Kévin partir ouvrir la porte pendant que je me versais du lait. Pete s’assit à côté de moi. Ses yeux pétillaient d’excitation, tellement il était impatient d’aller découvrir cette voiture. Il resta assis en face de moi pendant que je mangeais, me mettant un peu mal à l’aise. Quand je croisais son regard, il souriait, comme s’il savait quelque chose que j’ignorais.

– Bonjour les garçons.
– Bonjour Ben.
– Bonjour Papa, réussis-je à placer entre deux bouchées de céréales.

Papa me regarda en secouant la tête et sourit quand je portai une nouvelle cuillerée à la bouche.

– Quoi ?
– Ne parle pas la bouche pleine, Brian.

Je levai les yeux au ciel et enfournai une nouvelle cuillerée dès que j’eus avalé la précédente. Pete m’observait en souriant.

– Arrête !

Il prit une expression faussement surprise en se pointant la poitrine du doigt.

– Moi ? fit-il d’une voix innocente.
– Oui, toi ! Tu m’empêches de manger tranquillement.

Ben et Kévin regardaient la scène avec amusement.

– Tu crois que je serais capable de faire ça ?

Il fit courir sa main de mon genou jusqu’à mon entrejambe, et j’avalai de travers, manquant de m’étouffer. Il se mit à rire. Oui, à rire !

Quand je pus enfin parler de nouveau, je dis :

– Bien sûr que tu en serais capable ! Laisse-moi finir mon petit-déjeuner en paix.

Je pris une autre cuillerée et l’ignorai délibérément.

– J’ai encore faim, dit-il. Est-ce que tu sais ce qui me ferait plaisir ?
– Non, répondis-je en prenant une gorgée de jus d’orange.

Il se pencha vers moi, agrippa mon entrejambe et me chuchota à l’oreille :

– Ta saucisse !

Le jus d’orange peut laisser des traces très collantes, surtout quand il est recraché sous forme de fines gouttelettes. Je jetai un regard noir à Pete qui s’était reculé sur sa chaise, incapable de contrôler son fou rire. Kévin et Papa me dévisagèrent avec stupéfaction. Je réalisai que je les avais aspergés de jus d’orange vaporisé.

Brandissant un doigt accusateur vers Pete, qui était parti dans un fou rire tel qu’il avait du mal à respirer, je m’exclamai :

– C’est de sa faute !

Kévin et Papa échangèrent un regard, puis se tournèrent vers Pete, qui était tombé de sa chaise et se roulait par terre en se tenant les côtes, le visage ruisselant de larmes. Ils se mirent à rire à leur tour.

– Viens, Ben. Nous allons te nettoyer, et tu rentreras changer de vêtements. J’emmènerai les garçons une fois que j’aurai pris une nouvelle douche.

Toujours hilare, mon père accepta et se dirigea dans la buanderie.

– Oh et Brian ? Passe la serpillère, s’il te plaît.
– Moi ? Mais c’est à cause de lui ! J’essayais juste de manger !
– Ne discute pas, Brian. Nettoie la cuisine.

Je fusillai Pete du regard. Il était toujours assis par terre et s’arrêta de rire assez longtemps pour me regarder, puis reprit de plus belle en me pointant du doigt. Sans me démonter, je vidai joyeusement le reste de mon jus d’orange et de mes céréales sur sa tête.

Le nettoyage fut vite expédié. Pete me donna un coup de main après avoir enlevé son T-shirt qu’il laissa sécher dans la buanderie. Nous montâmes ensuite prendre une nouvelle douche. En représailles, je lui interdis de se doucher avec moi et utilisai quasiment toute l’eau chaude. Avec un sourire diabolique, je l’invitai à se doucher à son tour.

– C’est à toi ! Je te souhaite bien du plaisir !

Pete entra dans la salle de bains avec précaution, s’attendant à ce que quelque chose lui saute dessus, mais ne voyant rien, il entra dans la douche et commença à se savonner. Quelques minutes plus tard, je revins dans la pièce et attendis qu’il se lave les cheveux. Quand le moment fut venu, je tirai la chasse d’eau, provoquant une vague d’eau froide sous la douche.

– Brian ! Putain, que c’est froid !
– Tu vois ce qui arrive quand on se paie ma tête ? Et nous ne sommes pas encore quittes !
– Comment ça ? Oh, zut, il n’y a plus d’eau chaude. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?
– Tu es gonflé de poser la question ! Tu verras bien ce que l’avenir te réserve.

Je retournai dans la chambre et sortis des vêtements propres. Pete me rejoignit quelques instants plus tard, le corps encore ruisselant de gouttelettes d’eau.

Il ferma la porte et laissa tomber sa serviette à terre.

– Je suis désolé, Bri. C’était juste trop tentant !

Il essayait de réprimer un large sourire, mais en vain.

– Bien sûr.
– Et en plus, tu as eu ta revanche ! Tu m’as renversé ton jus d’orange et tes céréales sur la tête, et je t’ai aidé à nettoyer. Sans parler de ce que tu viens de faire dans la salle de bains.
– Et alors ? dis-je avec un sourire vengeur. Tu as peur que je poursuive mon petit jeu ?
– Non, pas vraiment, dit-il doucement, en s’approchant de moi.

Il me regarda dans les yeux, et mon sourire s’effaça quand il commença à m’embrasser, d’abord avec tendresse, puis avec fougue. Je fondis dans ses bras, abandonnant toute résistance.

– Allons-y, les gars. Assez joué là-dedans. Nous devons retrouver Ben et ensuite aller voir cette voiture.
– Nous sommes presque prêts, Kévin, dis-je.

Pete et moi étions étendus sur le lit, dans les bras l’un de l’autre. J’étudiai son visage pour la millième fois, attardant mon regard sur sa mâchoire bien dessinée et ses cheveux blonds, et plongeai mon regard dans le sien pour lui communiquer ce que je ressentais au plus profond de mon être.

– Je t’aime, chuchotai-je.
– Je t’aime encore plus, répondit-il.
– C’est impossible.

Je fermai les yeux et l’embrassai langoureusement.

La porte s’ouvrit et Kévin passa la tête. Quand il nous vit sur le lit en tenue d’Adam, il se retira aussitôt.

– Seigneur ! Vous n’en avez jamais assez, les garçons ?
– Jamais, chuchota Pete, faisant naître un sourire sur mon visage.

– Dépêchez-vous ! Notre rendez-vous est dans trente minutes à Sylvan ! Habillez-vous en vitesse et rejoignez-moi à la voiture ! Nous devons encore passer prendre ton père, Brian !
– D’accord, nous arrivons, répondis-je.
– Et nous allons faire poser un verrou ! cria Pete à l’attention de Kévin qui s’éloignait dans le couloir.

Il ne releva pas.

– J’en ai assez qu’on nous surprenne au lit. Pas toi ?

Je laissai échapper un petit rire en remettant mon caleçon.

– Oui, si tu le dis. Je crois que je m’en fiche un peu. Je n’ai rien à cacher.

Il me regarda pendant que j’enfilais un jean confortable, et ce n’est qu’après avoir revêtu mon T-shirt que je me rendis compte qu’il était resté immobile. Il arborait une expression étrange, comme s’il me voyait pour la première fois.

– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Rien, dit-il en esquissant un léger sourire. Je t’admirais, c’est tout. Est-ce que tu sais à quel point tu es beau ?

Je rougis instantanément.

– MAINTENANT, les garçons !

Le charme de l’instant fut rompu, et nous finîmes de nous habiller en vitesse.

La voiture était chouette. Le vendeur avait dit qu’elle était en parfait état, et il n’avait pas menti. Pete et Papa la regardaient en détail pendant que Kévin et moi restions en retrait. Le propriétaire nous expliqua qu’il avait préparé le moteur pour en sortir une puissance de quatre-cent chevaux. Kévin avait l’air impressionné.

Pete et Papa partirent faire le tour du pâté de maisons pendant que nous discutions avec le vendeur. Âgé d’une trentaine d’années, il avait l’air sympathique malgré son look tout droit sorti d’Easy Rider et ses bras couverts de tatouages. Quelque chose en lui ne m’inspirait pas confiance.

Dix minutes plus tard, Pete et Papa étaient de retour. Le biker accepta de nous confier la voiture pour la faire vérifier par un mécanicien. Il était certain que tout était en ordre, mais comprit que nous voulions en avoir le cœur net.

Je montai avec Pete et nous suivîmes Papa et Kévin en direction du garage. J’étais tellement excité que je faisais des bonds sur le siège.

– Elle déchire, cette caisse ! s’exclama Pete.
– Oui. Tu me laisseras la conduire quand j’aurai mon permis ?

Il me jeta un coup d’œil alarmé.

– Tu crois que j’ai perdu la tête ou quoi ?

Il fit une pause avant de continuer.

– Tu ne me parlerais plus si je refusais.
– Exactement !

Nous échangeâmes un sourire. Je me sentais tellement bien ! Je crois que c’était la première fois que je me sentais aussi entier. J’avais un petit ami qui m’aimait, et j’arrivais à ressentir pleinement son amour. Ce fut suffisant pour me propulser sur un petit nuage.

Nous garâmes la voiture dans l’atelier et confiâmes les clés au mécanicien. C’était un ami de Kévin, et nous pouvions lui faire confiance pour donner un avis objectif. Nous partîmes manger un morceau chez Wendy’s en attendant que le résultat de l’examen technique.

– Brian, je te préviens, pas d’éclaboussures de jus d’orange cette fois-ci, dit Papa. Je dois faire une machine et je n’ai plus rien à me mettre.

Je n’arrivais pas à effacer le sourire de mon visage. Je jetai un coup d’œil à Pete qui remua les sourcils.

– N’y pense même pas !

Il se contenta de rire en posant une main sur ma jambe. Non seulement je n’arrivais à dissimuler mon sourire, mais en plus je n’arrivais pas à détacher mes yeux de lui.

– Brian, est-ce que ça va ? demanda Papa.

Pete me regarda avec inquiétude. Je continuai à sourire sans le quitter des yeux et répondis :

– Tout va à merveille, Papa.
– Est-ce que tu en es sûr ? On dirait le chat du Cheshire dans Alice au Pays des Merveilles.

Finalement, au prix d’un grand effort, je détachai mon regard de celui de Pete et me tournai vers mon père.

– Je suis simplement heureux, Papa. Je n’ai jamais été aussi heureux.

Je posai la tête sur l’épaule de Pete. Pour une fois, je me fichais pas mal d’être vu ou de ce que l’on pourrait penser de nous.

Pete passa un bras autour de mes épaules et me serra contre lui. Papa jeta un coup d’œil aux alentours, mais se détendit quand il vit que personne ne faisait attention à nous. Du coin de l’œil, je remarquai néanmoins deux garçons qui nous regardaient avec insistance. Quand je tournai la tête vers eux, ils sourirent et levèrent leurs mains jointes. Je souris à mon tour et donnai un coup de coude à Pete, dont le visage s’illumina quand il aperçut le couple. J’étais quasiment certain que ces garçons fréquentaient notre lycée.

Nos commandes furent servies, et la conversation au cours du repas tourna autour de notre road trip. Pete tenait à ce que notre programme soit flexible afin que nous puissions nous arrêter et séjourner là où bon nous semblait. Papa était d’accord à partir du moment où nous restions joignables sur le portable. Kévin insistait pour que la voiture soit révisée de fond en comble avant notre départ. Pete partageait son avis.

Quand nous eûmes fini de manger, nous retournâmes au garage. La voiture nous attendait. Papa, Kévin et Pete discutèrent avec le mécanicien, puis nous retournâmes chez le vendeur tatoué et ils négocièrent le prix. Pete finit par payer dix-mille dollars, mais selon Papa, cela restait une bonne affaire. Le mécanicien avait dit que la voiture était en bon état, mais qu’elle avait quand même besoin de quelques réparations mineures. Nous avions convenu de lui laisser la voiture une fois qu’elle serait assurée.

Pete était fou de joie. Il me faisait rire. Il n’arrêtait pas de répéter « Je n’arrive pas à y croire ! »

– Tu as le droit d’y croire, maintenant ! C’est ta voiture ! lui lançai-je avec bonne humeur.

Son sourire ne le quitta pas une seconde pendant tout le trajet jusqu’à l’agence d’assurances. Kévin avait ajouté la voiture à son contrat pour lui faire bénéficier de sa remise, comme il possédait déjà une assurance auto et une assurance habitation. Pete réalisa ainsi une économie de plusieurs centaines de dollars. Nous déposâmes ensuite la voiture au garage et reprîmes le chemin de la maison.

Il était treize heures passées quand nous arrivâmes. Kévin nous déposa et ramena Papa à la ferme. Jason et David s’étaient absentés. Ils étaient partis avec la voiture de David. Quand nous réalisâmes que nous étions seuls, nous montâmes dans notre chambre et fermâmes la porte.


Pete m’accompagna chez mon père, où nous restâmes du dimanche au jeudi. Nous l’aidâmes à réparer le toit du garage et à remplacer l’isolation dans le grenier, puis nous repeignîmes l’extérieur de la maison et du garage pendant qu’il était au travail. Je découvris que j’étais beaucoup plus productif quand je considérais le travail comme un passe-temps avec Pete plutôt que comme une corvée éreintante, ce qui était pourtant la réalité.

Je crois que Papa aimait bien partager notre compagnie, même s’il s’en cachait. Il semblait plus animé quand nous étions là, et souriait plus que par le passé. Il plaisantait même avec nous à propos de sujets que je pensais qu’il éviterait, comme le sexe par exemple.

Je finis par réaliser que Papa n’était pas très différent de Kévin. Il voulait faire partie de la bande, tout comme lui. Papa était beaucoup moins tendu depuis qu’il avait déménagé à Portland. Je crois que c’était en grande partie grâce à Kévin.

Papa n’était peut-être pas enchanté de savoir que Pete et moi étions gays, mais cela ne l’empêchait pas de se comporter normalement avec nous. Il avait même accepté le fait que nous couchions ensemble et nous avait donné des préservatifs et des lubrifiants, quand bien même nous n’avions pas l’intention de nous en servir dans l’immédiat. Ce que nous faisions déjà nous satisfaisait pleinement, et nous ne ressentions pas le besoin d’aller plus loin.

Nous avions fini de repeindre le garage et la moitié de la maison le mercredi midi quand Kévin nous appela pour nous dire que la voiture de Pete était prête. Celui-ci parvint à persuader Kévin de venir nous chercher et de nous emmener au garage sur le champ. Quand il arriva, Pete était excité comme un gamin de cinq ans et tira sur la manche de Kévin pour l’emmener jusqu’à la voiture. Kévin riait de bon cœur.

Pete régla le mécanicien par chèque, et nous repartîmes au volant de sa voiture. Elle avait besoin de nouveaux amortisseurs et de nouvelles bougies, mais le reste fonctionnait à merveille. Elle était prête pour notre grand voyage. Notre rêve commençait à prendre forme.

Nous retournâmes à la ferme pour finir la peinture. Nous ne terminâmes que le jeudi après-midi. Papa prenait l’avion pour retourner en Californie le soir même. Nous prîmes la direction de la maison de Pete après nous être débarbouillés. Jason et David préparaient le dîner pendant que Kévin passait un coup de fil depuis son bureau. La porte était restée ouverte, et nous l’entendions parler de Sharon avec son avocat. Il parlait calmement et ne semblait pas en colère.

Pete et moi enfilâmes des vêtements confortables et descendîmes pour voir si nous pouvions aider à préparer le dîner, mais David et Jason avaient la situation sous contrôle. Pour une fois, ils n’avaient pas transformé la cuisine en champ de bataille.

– Est-ce que vous avez regardé le courrier, les gars ? demanda Jason en remuant une sauce. Les bulletins de notes sont arrivés aujourd’hui.
– Ah bon ? dis-je en prenant l’enveloppe sur la table et en tendant la sienne à Pete. Comment est-ce que tu t’en es sorti ?
– Mieux que prévu, en fait. Le vieux Simmons m’a donné un 18/20 en sciences politiques, ce qui me fait une moyenne de 15/20.
– Super !
– Et toi, David ? demanda Pete.
– Je ne sais pas. Ils ont envoyé le bulletin chez moi.
– Oh, désolé, David, dit Pete.

J’ouvris mon enveloppe.

– Ne t’inquiète pas, Pete. Je crois que je ne m’en suis pas trop mal sorti, dit David avec détachement.

Il était modeste. Nous savions tous que c’était un excellent élève.

– De toute façon, je suis sûr que mes parents jetteront l’enveloppe dans ma chambre avec le reste de mes affaires. Je finirai bien par la retrouver.

Je sortis mon bulletin.

– Youpi ! s’exclama Pete. J’ai 16/20 de moyenne !
– Bravo ! dit Jason. Bien joué, Pete.
– Oui, c’est génial, Pete ! ajouta David avec enthousiasme.

Je regardai mes notes.

– Combien est-ce que tu as eu, Brian ?
– Oh, ça va. Je ne me plains pas.
– C’est ça, ne te plains pas. Donne-moi ce bulletin !

Il m’arracha le bulletin des mains et le parcourut rapidement.

– Une moyenne de 18/20. Tu aurais tort de te plaindre !

Il me prit dans ses bras et m’embrassa à pleine bouche, me coupant le souffle.

Quand je pus respirer de nouveau, je lui demandai :

– Pour quelle raison est-ce que tu m’embrasses ?
– Sans raison particulière, et pour te remercier de m’avoir aidé à obtenir les meilleures notes depuis que je suis au lycée.
– Je t’aime, mon coeur.
– Moi aussi, je t’aime.

Kévin entra dans la cuisine.

– Alors, les garçons, comment sont vos résultats ?
– Comme d’habitude, répondis-je avec indifférence.
– Oui, sa moyenne habituelle de 18/20, dit Pete en feignant d’être jaloux. Je me suis contenté d’une moyenne de 16/20.
– C’est formidable ! Je suis fier de vous, mes garçons.

Kévin s’interrompit quelques instants pour regarder Jason et David travailler.

– Jason, est-ce que je peux t’emprunter David pendant quelques minutes ?
– Bien sûr. Nous attendons juste que les pommes de terre soient cuites.
– Merci. David, est-ce que je pourrais te parler dans mon bureau, s’il te plaît ?

Une expression de panique traversa le visage de David.

– Bien sûr, dit-il d’une voix incertaine.

Kévin sortit de la cuisine, et David se retourna vers Jason, qui lui fit un sourire rassurant. David sourit faiblement à son tour, visiblement inquiet, mais suivit néanmoins Kévin à l’étage.

– Est-ce que tu as récupéré ta voiture, Pete ?
– Oui, elle est garée devant.

Jason s’approcha de la fenêtre du salon et regarda par la fenêtre dans la pénombre de nuit tombante.

– Je ne la vois pas très bien, mais elle a l’air chouette. Nous sortirons la regarder après le dîner.
– Merci, Jason.

Quinze minutes plus tard, Jason appela David et Kévin pour leur dire que le dîner était prêt. Ils nous rejoignirent dans la cuisine peu après. Kévin avait un bras autour des épaules de David, dont les yeux étaient rouges et gonflés. Jason s’approcha rapidement de David, l’interrogeant du regard.

– Je te raconterai plus tard, Jason. Rien de grave.
– Est-ce que tu en es sûr ?

David prit Jason dans ses bras dans une étreinte rapprochée.

– Oui, j’en suis sûr, dit-il en l’embrassant sur les lèvres. Allons manger.

Dix minutes après le début du repas, on sonna à la porte. Nous échangeâmes des regards étonnés, et Kévin se leva pour aller ouvrir. La personne qui avait sonné resta à l’extérieur et discuta avec Kévin à voix basse. Quelques instants plus tard, Mme Cox fit son entrée.

– Les garçons, Mme Cox voudrait vous dire quelque chose.

Nous commençâmes à nous lever, mais elle nous arrêta.

– Je vous en prie, je ne veux pas interrompre votre repas. J’ai juste quelques questions à vous poser. D’abord, est-ce que l’un d’entre vous a été contacté par Raymond ?
– Que s’est-il passé ? demanda Jason. Est-ce qu’il s’est enfui ?

Mme Cox hocha tristement la tête.

– Il a eu un… différend avec le responsable de son foyer. Il a fugué.

Pete s’éclaircit la gorge et demanda :

– Depuis combien de temps, Mme Cox ?
– Depuis ce matin. Il a pris toutes ses affaires, et il a été aperçu en train de franchir le portail vers huit heures. Est-ce que vous avez une idée de l’endroit où il pourrait se trouver ?

Nous réfléchîmes pendant un moment, puis Pete dit :

– J’ai peut-être une idée, mais je dois vérifier. Seulement, il faut que j’y aille tout seul. Personne ne doit me suivre. S’il est en fuite, il continuera à courir s’il se rend compte qu’on essaie de le rattraper.
– Je suis d’accord, dit Mme Cox. C’est pour cette raison que je suis venue ici. Vous êtes notre meilleure chance de le retrouver rapidement.
– Je pars tout de suite. Brian ?
– Oui ?
– Ce serait sans doute mieux si tu venais avec moi. Juste au cas où.

J’approuvai de la tête et me levai.

– Merci à tous les deux. Il faut vite le retrouver !
– Nous ferons de notre mieux, Mme Cox.
– Où est-ce qu’il est, d’après toi ? demanda Kévin.
– Il se cache, répondit Pete. Je doute qu’il soit parti très loin. Il doit être en train de réfléchir à ce qu’il va faire.
– Tout à fait, ajoutai-je. Il doit être dans tous ses états, incapable de prendre une décision rationnelle, et il le sait. Il a dû se planquer quelque part.

Pete et moi nous dirigeâmes vers la porte, suivis par Kévin et Mme Cox.

– Nous vous appellerons dès que nous saurons s’il est là où je pense, dit Pete.
– Faites vite, je vous en supplie, dit-elle. Je suis très inquiète. Il a tellement de colère en lui.
– Tout va bien se passer, Mme Cox, dis-je pour la rassurer. Ne vous en faites pas.

J’ouvris la porte. Le choc fut si brutal que nous restâmes paralysés pendant de longues secondes.

Ray se tenait sur le porche, la tête baissée, en larmes. Il était sale, et ses vêtements froissés étaient déchirés par endroits. Ses mains, ses bras et son T-shirt étaient couverts de sang. Son pantalon était tâché de rouge également. Il leva les yeux vers nous et étouffa un sanglot.

– Oh, mon Dieu ! s’écria Mme Cox, aussi choquée que nous.

Ses joues étaient maculées de sang. Des plaies s’étendaient sur ses bras des poignets jusqu’aux coudes, à l’intérieur et à l’extérieur. Jason et David se précipitèrent vers lui et s’arrêtèrent juste derrière Kévin.

Ray nous regarda dans les yeux l’un après l’autre et finit par Kévin. Il leva ses mains rouge écarlate vers lui, laissant échapper un couteau de poche de ses doigts soudain trop faibles pour le tenir.

Les yeux remplis de larmes, il hurla :

– Papa, aide-moi !


Chapitre 16

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