Pour l'amour de Pete

Roman gay inédit - Tome II - Brian et Pete

Chapitre 18 - Les filles

Je fusillai Pete du regard, et il me donna un coup de coude en se tournant vers les filles qui se tenaient juste à l’entrée de notre tente. Quand il vit que je ne réagissais pas, il me poussa si fort que j’eus le choix entre me lever ou tomber par terre. Je pris le parti de me lever. Je l’entendis rire derrière moi, et me dirigeai à contrecœur vers les filles pour les affronter.

– Salut, dis-je avec un sourire forcé.
– Salut, dit la fille la plus âgée, sans l’ombre d’une hésitation. Je m’appelle Allison et voici Kerry et Kirsten, dit-elle en désignant les deux autres filles en ordre de taille décroissant.

Allison était à peu près aussi grande que moi, mais semblait plus proche en âge de Pete. Son maillot de bain une pièce mettait en valeur sa silhouette sportive. Kerry était légèrement plus petite et moins élancée qu’Allison, et devait avoir quinze ou seize ans. Kirsten était un peu plus jeune que Kerry et dépassait à peine un mètre cinquante. Elles étaient toutes les trois agréables à regarder, surtout Allison.

Celle-ci était à l’évidence la meneuse de la bande. Les deux autres restaient sagement en retrait. Kerry croisa mon regard et rougit instantanément. Kirsten pouffait de rire tout le temps, ce qui commençait à me taper sur les nerfs. Ce n’est que quand Allison me fixa d’un air interrogatif que je me rendis compte que je n’avais encore rien dit.

– Ah, euh, je m’appelle Brian, et le gros paresseux là-dedans s’appelle Pete.
– Ravie de faire ta connaissance.

Elle se tourna vers ses deux amies, visiblement agacée par leur timidité. Je ne sais pas pourquoi, mais son attitude me mettait mal à l’aise.

– Moi de même.

Il était clair d’après ses coups d’œil furtifs qu’elle s’intéressait davantage à mon corps qu’à ma personnalité.

– Excusez-moi une seconde.

Je retournai sous la tente, ramassai mon T-shirt et dis à Pete d’une voix forte « Bouge tes fesses, gros feignant ! » en lui commandant des yeux de venir à mon secours. Il fit un signe positif de la tête, et je retournai dehors auprès des filles tout en enfilant mon T-shirt. Allison et Kirsten eurent l’air déçues, mais Kerry esquissa un léger sourire. Je me félicitai intérieurement en me disant que ça leur ferait les pieds. J’entendis Pete s’esclaffer derrière moi.

– Est-ce que vous êtes d’ici ? demanda Allison.
– Non, nous sommes de Portland, répondit Pete en posant une main sur mon épaule.
– Ah. Vous êtes en vacances ?
– Oui. Nous descendons sur Los Angeles.
– Tous seuls ?
– Oui, répondis-je. Nous allons visiter de la famille en chemin.

Pete leur fit signe de nous suivre jusqu’à une table de pique-nique à proximité, et elles prirent place en face de nous. J’étais assis directement en face d’Allison, Pete en face de Kirsten, et Kerry au bout de la table.

– D’où est-ce que vous venez ? demanda Pete, en posant une main sur ma jambe sous la table.
– Moi, je suis d’ici, dit Allison, Kerry est ma cousine de Salem et Kirsten est une autre cousine de Grants Pass. Nous nous retrouvons ici tous les étés pendant un mois.
– Ça a l’air sympa, dit Pete.
– Ça dépend des fois, dit Allison avec un sourire énigmatique.

Je sentis son pied sous la table effleurer le mien, que je retirai instinctivement pour le mettre en sécurité sous le banc.

– Combien de temps est-ce que vous comptez rester ici, Pete ?
– Quelques jours. Nous n’avons encore rien décidé.
– Excellent !

Allison effleura ma jambe avec son pied une nouvelle fois. Je fis semblant de ne pas remarquer, mais agrippai la jambe de Pete si fort qu’il émit un grognement de protestation. Dans un état proche de la panique, je me levai brusquement.

– Bon, je crois que je vais aller me rincer dans la rivière. Je reviens dans quelques minutes.

Pete me jeta un regard inquiet, puis dit :

– Je te rejoins, Brian.
– Nous venons avec vous, enchaîna promptement Allison en se levant, imitée par ses deux cousines.
– Allez-y en premier, les filles. Nous serons avec vous dans une minute.

Affichant une nouvelle fois leur déception, elles se dirigèrent vers la plage en contrebas en jetant des coups d’œil en arrière pour vérifier que nous nous apprêtions bien à les suivre.

Je me précipitai sous la tente et retirai mon T-shirt. Dès qu’elles furent hors de vue, j’enfilai mon maillot de bain. Pete me rejoignit.

– Qu’est-ce qui ne va pas, Bri ?
– Allison ! Elle veut mon corps !
– Moi aussi, je veux ton corps, dit Pete avec un sourire coquin.
– Et tu peux l’avoir, mais pas elle. Elle me faisait du pied sous la table !
– Ah, c’est ça qui t’a perturbé.
– Perturbé, c’est un peu faible ! J’étais hors de moi.

Je fulminais. Comment pouvait-il prendre cette comédie à la légère ?

– Brian, calme-toi. Qu’est-ce qui t’embête vraiment ?
– C’est elle !
– Non, il y a autre chose, j’en suis sûr. Sinon tu lui dirais simplement d’aller voir ailleurs. Respire bien, détends-toi et réfléchis pendant une minute.

Je suivis ses conseils, mais je n’étais pas beaucoup plus avancé.

– Est-ce que c’est parce que c’est une fille ?
– Oui. Non. Je ne sais pas.
– Est-ce qu’une fille t’a déjà dragué avant ?
– Euh… Non.
– Est-ce qu’elle te met mal à l’aise ?
– Oui !
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas. Peut-être parce qu’elle est aussi entreprenante.
– Est-ce qu’elle te plait ?

Je le dévisageai avec surprise.

– Je veux dire, si tu n’étais pas avec moi et que tu avais une ouverture, est-ce que tu coucherais avec elle ?
– Non. C’est une dominatrice.
– Comment est-ce que tu le sais ?
– A la façon dont elle parle de ses cousines et à cause des regards qu’elle leur jette. Tu n’as pas remarqué ? Et je ne coucherais pas avec une fille aussi facilement. C’est comme si elle me l’avait proposé directement !
– Je ne crois pas qu’elle a été jusque-là, mais je comprends ce que tu veux dire.
– Qu’est-ce que je dois faire ?

Il sourit et me prit dans ses bras.

– Dis-lui que tu vois déjà quelqu’un, et si elle insiste, remets-la à sa place ! C’est toi qui décides, pas elle.

Pete enfila son maillot et me regarda pendant que je méditais sur ses propos. Je me détendis quand je me rendis compte que je n’avais aucune raison de m’inquiéter. Mais, juste pour le provoquer, je dis :

– Allison n’est vraiment pas mon genre, mais j’aimerais bien apprendre à connaître Kerry un peu mieux.
– C’est ça, dit Pete en souriant. Apprends à la connaître, mais pas trop quand même.
– Je sais à qui mon cœur appartient, Pete, et ça ne changera pas. Je n’ai envie de personne d’autre que toi.

Il reprit son sérieux et me prit la main.

– Je t’aime, Bri. J’espère que tu en es convaincu. Le fait d’être ici avec toi, pendant ce voyage, compte plus pour moi que tu ne peux l’imaginer.
– Moi aussi, je t’aime, mon cœur.

Nous échangeâmes un baiser profond et passionné, puis sortîmes de la tente juste à temps pour entendre la voix exaspérée d’Allison nous appeler depuis la plage en contrebas. Pete rit à voix basse et retira son T-shirt en esquissant un sourire malicieux, offrant son torse bien dessiné à la vue de tous. J’étouffai un rire et enlevai aussi mon T-shirt, mais franchis un pas supplémentaire en desserrant la ficelle de mon maillot de bain. Je le laissai glisser sur mes hanches, exposant un peu plus de mon intimité que je ne l’aurais fait en temps normal.

– Tu es cruel, Brian.
– Peut-être. On devrait aller acheter des slips de bain moulants demain, qu’est-ce que tu en dis ?

Pete éclata de rire et opina du chef avec conviction.

Quand nous arrivâmes sur la plage, l’expression d’Allison disait « Ce n’est pas trop tôt ! ». Je me contentai de lui faire mon plus beau sourire, tout en suivant son regard qui semblait s’attarder sur mon entrejambe. Maintenant je savais ce que ressentaient les filles quand les garçons fixaient leur poitrine. Je continuai à sourire comme un demeuré. Elle s’humidifia les lèvres d’un air prédateur. Kerry détourna timidement le regard quand je croisai le sien. Kirsten pouffait toujours de rire.

– Alors on reste là à se regarder ou on va nager ? lançai-je, avant de plonger dans les eaux glaciales de la Chetco River.

L’eau était si froide que j’eus le souffle coupé en remontant à la surface. Je ressentis immédiatement une douleur sourde dans l’entrejambe alors que mes testicules remontaient dans mon ventre. Pour ne pas être en reste, Allison plongea à ma poursuite.

Pete entra dans l’eau avec plus de précautions, suivi par Kirsten. Kerry, à n’en pas douter la plus intelligente du groupe, resta assise sur la rive et prit un bain de soleil. De nouveau, Allison sembla en vouloir à Kerry de garder ses distances, ce qui me convainquit de manifester davantage d’intérêt à Kerry qu’à Allison, avec pour objectif inavoué d’irriter cette dernière au plus haut point.

Je m’avançai jusqu’au milieu de la rivière et commençai à remonter le courant. Je ne progressais pas beaucoup, mais je parvenais à ne pas reculer non plus. C’était un bon exercice après mon footing.

Après m’avoir regardé nager sur place pendant dix minutes, Allison vint me rejoindre au milieu de la rivière. Dès qu’elle arriva à mon niveau, je laissai le courant m’entraîner dix mètres plus bas et regagnai la rive. En jurant à voix basse, Allison accosta quelques trente mètres plus bas. Pete discutait avec Kirsten à mi-chemin, dans un creux où l’eau était peu profonde. Il eut toutes les peines du monde à garder son sérieux en voyant Allison se frayer péniblement un chemin entre les rochers pour me rejoindre.

Je m’assis à côté de Kerry, toujours ruisselant. Elle me regarda et rougit légèrement.

– Salut, dit-elle.
– Salut, ça va comme tu veux ? demandai-je en souriant.
– Ça va. C’est juste un peu tôt pour nager. Elle est trop froide. J’attendrai cet après-midi quand elle sera un peu plus chaude.

Elle ne parlait pas très fort, mais je n’avais pas besoin de tendre l’oreille pour la comprendre. Son visage était doux et rond. Son bronzage était mis en valeur par son bikini, qui semblait paradoxalement moins aguicheur que le maillot de bain une pièce d’Allison. Il y avait quelque chose dans son regard que je trouvais attirant, aussi. Elle sourit, et son visage s’éclaira, révélant des fossettes dans ses joues. Je la trouvais magnifique. Je dus faire un effort pour détacher mon regard de son visage.

– Euh, désolé. Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise, m’excusai-je.
– Moi non plus.

Je n’avais même pas remarqué que son regard s’était attardé sur moi.

– Tu as un corps bien sculpté, dit-elle, me faisant rougir à mon tour.
– Merci. J’ai travaillé dur pour l’avoir.
– Ça se voit, dit-elle en souriant.
– Toi aussi, tu as une belle silhouette.
– Pas vraiment. Pas autant qu’Allison.
– Pourtant, je te trouve très mignonne.
– Merci, dit-elle en arborant un sourire timide.

Son sourire fut de courte durée, cependant, car Allison arriva à notre hauteur avec une expression furieuse.

Je jetai un coup d’œil à Pete, qui riait à une remarque de Kirsten. Il croisa mon regard et me fit un clin d’œil, ce qui voulait dire que la situation était sous contrôle.

– Kerry, retourne dire à Papa où nous sommes, ordonna Allison.
– Je lui ai dit en partant.
– Tu lui as dit que nous allions nous promener. Va lui dire que nous sommes à la rivière.

J’avais du mal à garder une expression neutre pendant qu’Allison tourmentait Kerry. Quelques instant plus tard, Kerry se leva et dit :

– D’accord.

Je me levai et rejoignis Pete. Il leva les yeux avec intérêt, après avoir vu Allison bouillonner.

– Je vais accompagner Kerry voir son oncle pour qu’elle lui dise que nous sommes à la rivière.

Il sonda mon regard pendant quelques secondes, puis esquissa un sourire.

– Bien sûr. Je reste ici pour tenir compagnie à ces demoiselles.
– Super. A tout à l’heure.

Je pris le chemin de notre tente avec Kerry à mes côtés. Je jetai un coup d’œil en arrière vers Allison, qui nous fixait en cherchant une excuse pour nous suivre, en vain.

Quand nous fûmes à l’abri des oreilles indiscrètes, je lui demandai :

– Est-ce qu’elle te traite toujours comme ça ?
– Comme quoi ?
– Comme sa servante attitrée ? On dirait qu’elle passe son temps à te donner des ordres.
– Oui, mais c’est la plus âgée.
– Et alors ? Raison de plus pour qu’elle apprenne la politesse.

Kerry me surprit en étouffant un petit rire.

– Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? demandai-je.
– Toi !
– Comment ça ?
– Elle serait furieuse si elle t’entendait parler d’elle comme ça.
– Peut-être qu’il est temps de lui donner une leçon, alors.
– Quel âge as-tu ?
– Quinze ans. J’en aurai seize en septembre. Et toi ?
– J’ai seize ans, et j’en aurai dix-sept en mai.
– Ça ne te dérange pas de discuter avec un gamin ? plaisantai-je, mais elle fronça les sourcils.
– Tu n’es pas un gamin. Enfin, ce n’est pas comme si tu avais onze ou douze ans. Il n’y a pas d’âge pour devenir amis, tu sais. C’est avant tout une question de feeling, même si Allison ne fonctionne pas comme ça. Elle passe en terminale l’année prochaine et ne s’intéresse qu’aux garçons qui sont dans sa classe ou au-dessus. Sauf si elle veut coucher avec quelqu’un, ajouta-t-elle avec un petit rire.
– Peut-être que je devrais lui dire que je passe en première, alors.

Elle éclata de rire. C’était un rire cristallin et mélodieux.

– Tu devrais faire ça plus souvent.
– Faire quoi ?
– Rire. C’est un son merveilleux.
– Est-ce que tu es sûr que tu n’as que quinze ans ?
– Mon acte de naissance dit que je suis né en 1982, donc j’ai bien quinze ans. Pourquoi ?
– Tu parles comme si tu étais plus vieux.
– Disons que ma vie n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, soupirai-je.
– Désolée, je ne voulais pas…
– Ne t’inquiète pas, dis-je avec un sourire gêné. Ça va mieux, maintenant.

Nous arrivâmes à la route circulaire du camping et nous dirigeâmes vers la tente de son oncle.

– Tu connais Pete depuis longtemps ?
– Je le connais depuis le CM2 ou la sixième, je ne me souviens plus. J’ai l’impression de le connaître depuis toujours.
– Est-ce que vous avez toujours été proches ?
– Il nous a fallu un an au début pour devenir amis, mais depuis, oui.
– Est-ce que tu as une copine ?
– Je suis avec quelqu’un, oui. Et toi, tu as un copain ?
– Non. Mon dernier copain m’a plaquée parce que je ne voulais pas coucher avec lui.
– Tu ne dois pas le regretter, alors.
– Si, pourtant. Mais il n’avait pas le cerveau au bon endroit.

J’éclatai de rire.

– Je connais des gars comme ça, mais je n’en fais pas partie. Pete non plus. Nous ne pourrions pas être amis avec des mecs qui passent leur temps à se vanter d’avoir des relations sexuelles alors qu’en réalité, ils sont puceaux.
– C’est bien ce que je pensais, dit-elle en riant. C’est comme à la pêche. Les mecs, dit-elle en écartant le pouce et l’index de trois centimètres, pensent que ça fait vingt centimètres !

Je ris de bon cœur. J’aimais bien discuter avec Kerry.

– Depuis combien de temps est-ce que vous êtes ensemble ?
– Comment ? sursautai-je, pris de court par le changement de sujet.
– Toi et ta copine.
– Ah ! Environ huit mois.
– Elle doit te manquer, aussi loin de chez toi, dit-elle doucement.
– Non. En fait, elle m’a encouragé à partir.
– Tout va bien entre vous ?
– Bien sûr. Nous avons juste besoin de temps. C’est ce que nous nous sommes dit avant les vacances.
– C’est mignon.
– Oui, c’est ce que je pense aussi.

Nous arrivâmes à un emplacement sur lequel était garée une grande caravane. Un homme s’affairait autour d’un réchaud et une femme chantait à l’intérieur de la caravane.

– Salut Kerry. Où sont les filles ?
– A la rivière. Je te présente Brian. Brian, voici mon oncle Devon.

Nous échangeâmes une poignée de mains virile.

– Enchanté, Monsieur.
– Tout l’honneur est pour moi, Brian.
– Allison voulait que tu saches que nous étions à la rivière, dit Kerry.
– Ah, d’accord. Nous préparons le petit-déjeuner. Il sera prêt d’ici une demi-heure. Est-ce que tu pourrais prévenir les filles ?
– Oui, Tonton.
– Brian, tu es invité, bien entendu, proposa Devon.
– Merci Monsieur, mais j’ai un ami qui m’attend à la rivière.
– Viens avec lui.
– Merci pour l’invitation.

Il nous salua de la main et nous reprîmes le chemin de la rivière. De loin, j’entendis son oncle hurler :

– Mike ! Bouge ton cul de princesse et va chercher du bois !

Un frisson parcourut mon échine.

– Est-ce que tu as froid, Brian ?
– Non, pas vraiment. Qui est Mike ?
– Ah, c’est le frère d’Allison, répondit Kerry. Il a ton âge.
– Ton oncle ne l’aime pas ?
– Si, pourquoi ?
– Il l’a traité de princesse, m’indignai-je.
– Ah oui, mon oncle parle toujours comme ça. Ça te choque ?

Mon visage s’était fermé, et je ne m’en étais même pas rendu compte.

– Un des frères de Pete est gay. Il n’aime pas les homophobes. Moi non plus, en fait.
– Je n’ai rien contre les gays. Il y a un garçon qui a fait son coming-out au lycée l’année dernière. C’est un bon copain.
– Je suis content que ça ne te pose pas de problème. On ne sait jamais qui est gay et qui ne l’est pas.
– Oui, tu as sans doute raison.

Nous fîmes une halte à notre tente, où je récupérai mon T-shirt. Je l’enroulai autour du cou et nous descendîmes vers la plage. Il y avait une pente assez raide entre le camping et la rivière. Je passai en premier et offris ma main à Kerry par courtoisie. Elle l’attrapa en murmurant un remerciement. Le grain de sa peau était si doux, complètement différent à celui de Pete quand nous nous tenions la main. La sienne semblait minuscule et fragile, comme si je pouvais la briser en la serrant trop fort. Elle plongea son regard dans le mien. Elle avait les yeux verts les plus étincelants qui soient. Je faillis me perdre dans son regard.

Je compris ce qui était en train de se passer. Je crois que Kerry s’en rendit compte aussi, mais d’un accord tacite, nous ne fîmes aucun commentaire sur notre attirance l’un pour l’autre. Pour l’instant, nous ne faisions de mal à personne, mais j’allais devoir en parler à Pete rapidement. Je ne voulais rien lui cacher. Je m’éclaircis la gorge et la conduisis jusqu’en bas de la pente sans rien dire, perdu dans mes pensées.

Je retrouvai Pete qui riait de bon cœur avec Kirsten. Allison était assise avec eux et n’avait toujours pas digéré sa récente déconvenue. Un sourire emprunté se dessina sur son visage quand elle m’aperçut.

– Oncle Devon veut qu’on retourne au camp pour le petit-déjeuner, Allison. Brian et Pete sont invités, dit Kerry.
– Ah, d’accord. Viens, Kirsten.

Allison resta à côté de moi en attendant que Pete et Kirsten sortent de l’eau. Quand ils nous rejoignirent, nous reprîmes le chemin du camp. Pete et Kirsten bavardaient avec entrain. Allison s’efforçait de tenir Kerry à distance d’une façon qu’elle pensait discrète, mais que je perçai à jour immédiatement, ce qui eut pour effet de me mettre en rogne. En arrivant au sommet de la pente, je mis un point d’honneur à aider Kerry et lui emboîtai le pas, laissant Allison se débrouiller toute seule. Le sourire de Kerry me toucha en plein cœur.

– Allez-y, les filles. J’ai besoin de me changer. On vous retrouvera là-bas.

Allison nous laissa à contrecœur, suivie par Kerry et Kirsten.

– Qu’est-ce qui se passe, Bri ? Nous aurions pu y aller comme ça.

Je baissai les yeux et dis :

– Je suis désolé.
– Qu’est-ce qui se passe, mon cœur ?
– C’est Kerry.
– Elle ne te laisse pas indifférent, dit Pete sur un ton factuel.

Je relevai brusquement la tête et fixai son regard pénétrant, puis baissai le regard de nouveau, les yeux noyés de larmes.

– Tu croyais vraiment que je ne remarquerais pas ?
– Je ne voulais vraiment pas… C’est arrivé sans prévenir.
– Brian, regarde-moi.

C’était difficile, mais j’obéis. En voyant mon regard paniqué, il dit :

– Assieds-toi.

Je m’effondrai sur le banc de la table de pique-nique, et il s’assit en face de moi.

– Je suis désolé, dit-il.
– TU es désolé ? demandai-je d’un air incrédule.
– Oui, je le suis. Je n’aurais pas dû te mettre dans cette situation.
– Ce n’est pas une situation que j’aurais pu imaginer, dis-je en secouant la tête.
– Je sais, mais…
– J’ai peur, Pete !
– Pourquoi, Bri ?
– Parce que j’ai l’impression d’avoir fait une grosse connerie.
– Est-ce que tu l’as embrassée ?
– Non.
– Est-ce que tu as couché avec elle ?
– Non !
– Alors tu n’as pas déconné. Brian, il y a des moments où j’ai été tenté aussi, mais je n’ai jamais cédé, comme toi.
– Mais je t’ai dit que tu représentais tout ce dont j’avais besoin !
– Et je te crois !
– Et maintenant, j’ai cette attirance pour elle…
– D’accord, elle t’attire. Est-ce que c’est sexuel ?
– Non, pas vraiment.
– Mais tu n’aurais rien contre le fait de tremper ton biscuit ?

Je n’arrivais pas à croire qu’il plaisantait. Les larmes roulaient sur mes joues.

– Brian, mon cœur, tu es un être humain. Un garçon avec ses pulsions hormonales. Des situations comme celle-ci sont inévitables. Je ne t’en veux pas de ressentir une attirance pour Kelly. Qu’est-ce qui te plaît chez elle ?
– Nous avons beaucoup de points communs.
– C’est tout ?
– Non, répondis-je en rougissant.
– Quoi d’autre ?
– Est-ce que je suis obligé de répondre ?

Il hocha la tête.

– J’aime son corps. J’aime son visage. J’aime sa personnalité.

Il sourit.

– J’ai peur, parce que j’ai peut-être fait une erreur.
– En étant avec moi ? En pensant que tu étais gay, alors que tu ne l’es peut-être pas ?

Je l’implorai du regard de ne pas en dire davantage.

– Écoute, je ne suis pas inquiet. Tu feras ce qui te semblera juste.
– Je ne comprends pas.
– Tu gèreras la situation de la façon qui te conviendra le mieux.
– Qu’est-ce que ça veut dire ? J’ai besoin de ton aide. Je ne sais pas quoi faire.
– Chut. Ne t’en fais pas, Bri. Comment est-ce que tu veux t’y prendre ? Est-ce que tu veux lui dire ce que tu ressens ?
– Je ne sais pas !

Je me concentrai pendant quelques instants, le front posé sur mes bras croisés sur la table.

– Peut-être que je devrais lui dire. Pour nous deux, je veux dire.
– Pourquoi ?

Je relevai la tête, m’attendant à voir de l’inquiétude sur son visage, tout au moins de la réprobation, mais je ne vis que l’expression d’un amour confiant et sans réserve.

– Parce que ça mettrait fin à la tension. Si elle sait de façon certaine que je suis pris, alors nous pourrons être amis plutôt que… d’imaginer autre chose.

Pete fit le tour de la table et s’assit à côté de moi.

– Tu vois ? dit-il en cherchant mon regard. Je n’ai pas eu besoin de te dire ce qu’il fallait faire. Tu as trouvé la solution tout seul.
– Mais elle saura pour toi… pour nous !
– Oui, tu lui diras la vérité, et alors ?

Il me prit la main.

– Je te fais confiance, Brian. Si, je t’assure. Si tu penses que c’est mieux de dire à Kerry que nous sommes ensemble, alors fais-le. Et si tu le dis à Allison, ajouta-t-il en riant, préviens-moi avant pour que je puisse assister à la scène, d’accord ?

Après m’être rincé le visage aux sanitaires et avoir enfilé une tenue présentable, je me dirigeai avec Pete vers le campement des filles. Quand nous arrivâmes, le petit-déjeuner avait déjà commencé. Je m’excusai pour notre retard, invoquant une toilette plus longue que prévue, et présentai Pete à Devon, qui à son tour nous présenta sa femme, Beth. Mike se tenait à l’écart et dévorait son repas, sans grand intérêt pour notre présence.

Allison m’avait gardé une place à côté d’elle que la politesse m’interdisait de refuser. Pete s’assit entre Kirsten et Kerry. Nous nous servîmes et restâmes silencieux en vidant nos assiettes. Quand le petit-déjeuner fut débarrassé, Devon engagea la conversation, si tant est que l’on puisse la qualifier ainsi :

– De quel coin est-ce que vous venez, les garçons ?
– De Portland. Nous sommes en route vers Los Angeles, répondit Pete.
– Où sont vos parents ?
– Ma famille est à Portland. Celle de Brian est en cours de déménagement. Nous descendons les aider à faire les cartons.
– Ils déménagent à Portland ?
– Oui.
– Où est-ce que tu habitais, Brian, si ta famille est à Los Angeles ? demanda Devon en fronçant les sourcils.
– Ah, mon père est monté à Portland pour son nouveau travail. Ma mère et ma sœur nous attendent.
– Et vous voyagez tous seuls ? Vos parents doivent vous faire sacrément confiance.
– Nous leur avons donné toutes les raisons de le faire, répondit Pete.

Devon fit une grimace dubitative.

– Dans quelle classe êtes-vous ? demanda Beth.
– Nous passons en première, dis-je en observant la réaction d’Allison du coin de l’œil.

Elle ne remua pas un cil.

– Tu as l’air un peu jeune pour passer en première, Brian.
– Il n’y a pas grand-chose que je puisse y faire, je crois.
– Quel âge as-tu ?

Je jetai un coup d’œil à Pete et vis qu’il était détendu, prenant même du plaisir à suivre la conversation.

– J’ai quinze ans. J’en aurai seize en septembre.

Allison tourna brusquement la tête vers moi et me regarda bouche bée.

– Je viens juste d’avoir dix-sept ans, dit Pete en essayant de garder son sérieux.
– Qu’est que vous pratiquez ? demanda Devon.
– Quels sports, vous voulez dire ? demanda Pete, obtenant un hochement de tête en réponse. Je pratiquais le football américain, le basket et le baseball, mais je vais me concentrer sur le travail scolaire cette année.
– Je fais du foot américain, de la lutte et de l’athlétisme, répondis-je.
– Tu as des bonnes notes ?

Cet interrogatoire commençait à me taper sur les nerfs.

– Assez bonnes pour m’ouvrir les portes de l’université, répondis-je, ce que Pete confirma en opinant de la tête.
– C'est-à-dire ? Quinze de moyenne ?
– Quelque chose dans le genre.

Le regard de Devon se durcit. Il semblait s’attendre à ce que tout le monde lui obéisse, et pas seulement sa famille.

– Ça ne doit pas être terrible s’il ne veut pas nous en parler, murmura-t-il.

Quel connard ! pensai-je.

– Très bien. Ça ne vous regarde pas, mais je vais vous le dire quand même, comme ça vous arrêterez de me bombarder de questions.

L’expression de Devon passa de la surprise à la colère.

– J’ai dix-huit de moyenne depuis trois ans. L’année prochaine, je suivrai des classes avancées dans toutes les matières, et en terminale, je m’inscrirai dans les classes d’excellence. Est-ce que ça vous suffit ?
– Tu es un petit con mal élevé, tu le sais, ça ?
– Devon, c’est notre invité, lui glissa discrètement sa femme.

Je me levai et fis quelques pas en arrière.

– Je prends exemple sur mon hôte.

Je me tournai vers Beth et lui dis :

– Merci pour cet excellent petit-déjeuner, Madame.

Puis je m’adressai au reste de l’assistance :

– Heureux d’avoir fait votre connaissance. C’est dommage de voir partir aussi vite. Bonne continuation. Viens, Pete. Je crois que j’ai une indigestion.

Je m’attendais à ce que Devon hurle quelque chose alors que nous nous éloignions, mais nous n’entendîmes que des commentaires à voix basse.

Pete resta étrangement silencieux pendant notre marche. Ma colère s’était estompée assez rapidement, remplacée par une sensation de malaise nauséeux. Quand nous arrivâmes à notre tente, je m’allongeai sur le lit de camp. Pete s’allongea à côté de moi, la tête posée sur la paume de sa main, rayonnant de fierté.

– Bravo, Bri. Tu lui as cloué le bec !
– Peut-être. C’est juste dommage d’avoir eu un bec à clouer.
– Oui. Je pensais que tu allais lui sauter dessus, dit-il se penchant vers moi pour me déposer un baiser sur les lèvres. Tu as assuré.
– Je t’aime, Pete. J’aimerais simplement ne pas être confronté à ce genre de situation tout le temps.
– Je sais, mon cœur. Tu t’en es bien sorti, pourtant. Est-ce que tu veux faire une sieste ?
– Peut-être. J’ai mal au crâne. Si je me repose, j’espère que ça s’arrêtera. Est-ce que nous avons de l’aspirine ?

Pete se mordit la lèvre inférieure.

– Euh, non, je ne crois pas. Je savais que j’avais oublié quelque chose. Tu n’as qu’à te reposer pendant que je vais en chercher en voiture au magasin à l’entrée de la ville. D’accord ?
– D’accord. Prends aussi quelque chose contre la nausée, s’il y en a.
– C’est noté, mon cœur. Je ferai aussi vite que possible.
– Merci.
– Repose-toi bien.

Pete s’éloigna au volant de la voiture, et je me laissai absorber par mes pensées. Je détestais ces situations conflictuelles. C’était grisant au début à cause de la montée d’adrénaline, mais j’avais toujours une migraine quand elle redescendait. Pourquoi est-ce que ça tombait toujours sur moi et jamais sur Pete ?

J’avais dû m’assoupir, mais je me réveillai en entendant quelqu’un appeler mon nom. Allison. Génial. Quelle putain de bonne surprise.

– Brian ? Est-ce que tu es là ?

Je jetai un coup d’œil à travers un œillet et vis qu’elle était seule. Evidemment. J’hésitai à l’ignorer, mais elle s’approcha de la tente et s’apprêtait à ouvrir la fermeture éclair.

– Va-t’en, Allison.
– Est-ce que Pete est là ?
– Non, il est parti faire une course en ville.

Je sus que je venais de faire une erreur en terminant ma phrase.

– Est-ce que je peux entrer ? J’aimerais discuter avec toi.
– Non. Je ne me sens pas très bien. Peut-être une autre fois.

Sans hésiter, elle ouvrit la fermeture éclair de la porte, s’assit à côté de moi et commença à se déshabiller !

– Dépêche-toi. Nous n’avons pas beaucoup de temps.

Je me relevai en position assise et me reculai précipitamment.

– Qu’est-ce que tu fous ?

Elle retira son T-shirt et son soutien-gorge.

– Arrête de poser des questions.

Elle se précipita sur mon entrejambe, mais je la repoussai brusquement et saisis ses poignets pour les bloquer.

– Sors d’ici, lui ordonnai-je.
– Allez ! Lâche-moi. Tu nous fais perdre du temps !
– Tu fais une grossière erreur.
– Si tu t’inquiètes pour la protection, j’ai des préservatifs. Maintenant, enlève tes vêtements.

Malgré ses mains entravées, elle essayait de dénouer la ficelle de mon short.

– Dégage, Allison. Maintenant !
– Tu ne veux pas ? Je ne te plais pas ? Tu ne veux pas de moi ? Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu es pédé ?

L’adrénaline monta en flèche vers mon cerveau, et mon visage devint livide de colère.

– Ce qui m’arrive, c’est que tu me dégoûtes, sale pute !

Elle réussit à dégager ses mains et me regarda avec un air horrifié.

– D’abord, je ne couche pas avec quelqu’un si je n’ai pas un minimum de sentiments, et je n’en ai aucun pour toi. Ensuite, tu crois que tu es un cadeau du ciel, et que tu peux te jeter sur le premier venu comme une chienne en manque. Enfin, tu traites les autres comme de la merde, en t’attendant à ce qu’ils cèdent à tes moindres caprices, comme ton père ! Eh bien, c’est raté, cette fois-ci. Tu crois que tu es exceptionnelle ? Si j’avais le choix entre toi et Kerry, je prendrais Kerry sans hésiter. Elle est bien élevée, intelligente, et me plaît bien plus qu’une pute en devenir qui n’a rien dans la tête. Rhabille-toi ou pas, je m’en fous, mais dégage de ma tente !

Elle n’en croyait pas ses oreilles. Son visage était tordu dans une grimace haineuse. Elle leva le poing comme pour me frapper, mais je la poussai en arrière hors de la tente et lui jetai ses vêtements. Me rendant compte que je n’étais pas dans une très bonne position défensive, je sortis de la tente à sa poursuite. Elle se releva tant bien que mal en me jetant des éclairs avec ses yeux. Mon regard s’attarda sur sa poitrine pendant quelques secondes.

– Tu es bien foutue. Dommage que le ramage ne soit pas à la hauteur du plumage.

Elle poussa un cri si strident que je crus qu’elle avait déchiré mes tympans.

– Va te faire foutre, connard !
– Avec plaisir, mais pas par toi !

Elle pivota sur ses talons et s’éloigna sur la route en proférant des obscénités. Elle semblait avoir oublié qu’elle était nue au-dessus de la taille, ou peut-être qu’elle s’en fichait.

Je m’assis sur le banc de la table de pique-nique, la tête entre les mains, tremblant comme une feuille après cette nouvelle montée d’adrénaline. J’entendis une voix derrière moi.

– Brian ?
– Salut Kerry, dis-je sans lever la tête.
– Tu l’as repoussée.
– Tu as entendu ?
– J’ai tout entendu.

Un silence inconfortable s’installa entre nous. Elle s’approcha du banc et s’assit à côté de moi.

– C’était vrai, ce que tu lui as dit ? demanda-t-elle en posant une main amicale sur ma jambe.
– Quelle partie ?
– Que tu me choisirais plutôt qu’elle ?
– Bien sûr.

Elle me prit dans ses bras et me serra contre elle. Je sentais sa poitrine appuyée contre la mienne. Quand elle me relâcha, elle laissa une main sur ma jambe.

– Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?
– Ton honnêteté méritait d’être récompensée. Et tu as fait quelque chose dont je rêvais depuis longtemps.
– C'est-à-dire ?
– Lui tenir tête. Personne ne lui avait jamais résisté auparavant.
– Elle a déjà fait ça avec d’autres garçons ?
– Tous les étés depuis quatre ou cinq ans.
– Oh, la vache, dis-je avec incrédulité.
– Oui, tu l’as dit.
– Et toi, Kerry ?
– Moi ? J’ai toujours été la cousine transparente qui jouait les seconds rôles, surtout parce que je ne mise pas tout sur la provocation comme elle.

Elle étouffa un rire, comme si c’était à la fois drôle et pathétique.

– Tu es une fille très mignonne, Kerry. Tu n’es pas obligée de vivre dans son ombre.
– Je sais, dit-elle en haussant les épaules, mais la plupart des garçons qui lui plaisent ne m’intéressent pas, de toute façon. Sauf toi. Tu es gentil et attentionné. Tu as le sens de l’humour. Tu sais, j’avais remarqué que tu essayais de la repousser depuis le début. C’était amusant à regarder. Tu es intelligent, et tu me plais physiquement, dit-elle en plaçant son autre main autour de mon biceps. Tu n’es pas comme les autres. J’aimerais apprendre à mieux te connaître. En tant qu’ami.

Je contemplai son doux visage et vis une lueur d’espoir dans ses yeux.

– Tu sais que je suis pris.

Elle hocha légèrement la tête.

– J’aimerais aussi être ami avec toi, Kerry, mais je ne pourrais jamais être plus que ça.

Elle me regarda avec perplexité, et je soupirai.

– Allons nous promener au bord de l’eau. Les murs ont des oreilles, ici.

Elle se leva en même temps que moi. Mon cœur palpitait encore un peu, mais je plissai les yeux et décidai de l’ignorer. Le soleil éclatant n’arrangeait rien. Je l’aidai à descendre la colline, toujours émerveillé par la sensation de sa petite main dans la mienne. Nous avançâmes jusqu’au milieu du banc de sable et nous assîmes sur les rochers chauffés par le soleil.

– Kerry, je t’aime beaucoup. Je crois que tu as le droit de savoir pourquoi nous ne pourrons jamais être plus que des amis.

Elle scruta mon visage à la recherche d’un indice.

– Je t’ai dit que j’étais avec quelqu’un, et c’est vrai. Nous sommes heureux tous les deux et avons pour projet de rester ensemble jusqu’à la fin du lycée et même au-delà. Nous avons été séparés pendant deux ans et demi juste après avoir découvert nos sentiments l’un pour l’autre, et nous ne sommes réunis de nouveau que depuis huit mois.
– Waouh. Je ne connais pas son nom, mais elle a beaucoup de chance.
– Non, c’est moi qui ai de la chance. J’ai fait beaucoup d’erreurs qui auraient pu me coûter ma relation et me laisser tout seul au bord du chemin, mais il ne m’a jamais laissé tomber.

Elle cligna des yeux avec surprise.

– Il ?
– Pete. C’est mon copain.
– Vous êtes gays ?
– Oui, nous sommes gays.

Je m’attendais à une réaction négative de sa part, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que j’avais toujours redouté une telle réaction.

– Waouh ! Sans blague ? J’aimerais bien voir la tête d’Allison si je lui disais. Elle hallucinerait ! dit Kerry en éclatant de rire.

Sa réaction me mit du baume au cœur. Mes angoisses s’évanouirent.

– Pourquoi ?
– Elle est contre les gays. Elle est contre tout, en fait.
– J’aimerais autant que tu n’en parles à personne.
– Promis, je le garderai pour moi. Pourquoi est-ce que tu m’en as parlé ?
– Parce que je te le devais. C’est le prix à payer pour être ton ami. Tu sais, Kerry, je n’ai jamais été attiré par une fille avant toi. Ça me rappelle l’époque où Pete et moi sommes devenus plus que des amis. Je crois que… Non, j’en suis sûr. Je pourrais tomber amoureux de toi.
– Je pensais que tu avais dit que tu étais gay.

Elle ne manifestait pas le moindre soupçon d’hostilité. Sa réaction dépourvue de préjugés me donnait les larmes aux yeux.

– Je le suis, mais avec toi ce n’est pas pareil. Je n’avais jamais ressenti ça avant. Ce qui me fait mal, c’est que j’ai l’impression d’être infidèle à Pete.
– Brian, je ne pourrais jamais… Pas maintenant que je sais que Pete est ton copain.
– Moi non plus, mais que je le veuille ou non, tu me plais.

J’entendis le klaxon de la Malibu au loin.

– Pete est de retour. Je dois y aller.

Nous nous levâmes dans un silence embarrassé. Je passai un bras autour de ses épaules alors que nous remontions au camping.

– Nous pouvons être amis, mais c’est tout. Si nous allions plus loin, je ne me le pardonnerais jamais.
– Moi non plus, Brian. Ne t’inquiète pas. Je n’essaierai pas de te draguer, dit-elle avec un sourire qui me laissait néanmoins un goût amer.

Nous fîmes une pause au milieu de la montée, à l’ombre d’un arbre au milieu des taillis.

– Depuis que j’ai retrouvé Pete, je pensais que je ne voulais rien changer à ma vie, mais maintenant, je me demande si je ne changerais pas certaines choses, ne serait-ce que pour quelques instants.

Elle plongea ses yeux dans les miens et mon regard se brouilla. Je baissai la tête. Elle me déposa un baiser tendre et affectueux sur le front, puis s’éloigna, me laissant sécher mes larmes dans l’intimité.

Quelques instants plus tard, Pete descendit la colline à ma rencontre. Il suivit mon regard jusqu’à la silhouette de Kerry qui disparaissait au loin, puis m’enlaça par derrière. Je fis demi-tour dans ses bras et mes larmes redoublèrent.

C’était des larmes d’angoisse. L’attirance que je ressentais pour Kerry me terrifiait. Je n’avais jamais imaginé pouvoir être tenté comme je l’avais été ce jour-là, alors que Pete était tout ce dont j’avais toujours rêvé.

C’était aussi des larmes de culpabilité, puisque j’avais trahi la confiance de Pete par le simple fait d’avoir pu m’imaginer dans les bras de Kerry.

C’était finalement des larmes d’adieu, car une personne qui aurait pu devenir une véritable amie s’était éloignée sans se retourner, peut-être à jamais.

Je maudissais ces émotions contradictoires qui me retournaient le cerveau et me faisaient regretter d’avoir rencontré Kerry tout en me donnant envie de la revoir.

Un peu décontenancé, Pete se contenta de me tenir dans ses bras en attendant que je reprenne le contrôle. Il me chuchotait à l’oreille de ne pas m’inquiéter et que tout allait s’arranger. Quelques instants plus tard, je parvins à reprendre suffisamment mes esprits pour rentrer au camping.

Nous nous installâmes l’un en face de l’autre sur le banc de la table de pique-nique, et je pris ses mains dans les miennes. Je lui ouvris mon cœur et lui racontai tout ce que j’avais pensé et ressenti au cours de la matinée. Je parlais en gardant les yeux clos, de peur de voir ses réactions. Quand j’eus terminé ma confession, Pete se pencha en avant et m’embrassa sur le front, exactement au même endroit que Kerry. Je frissonnai.

– Est-ce que tu m’aimes, Bri ?
– Oui, plus que jamais !
– Alors rien n’a changé, sauf qu’une partie de ton cœur était occultée et qu’elle est de nouveau disponible. Je t’aime. Rien n’a changé, Brian.

Il leva les yeux vers moi.

– Merci de m’avoir dit ce que tu ressentais. Tout ce que je te demande, c’est d’être honnête avec moi. D’accord ?
– Je n’ai pas l’intention de te quitter, Pete.
– Et je n’ai pas envie que tu me quittes, dit-il en m’embrassant sur les lèvres. Je t’aime. Rien ne pourra changer mon amour pour toi.
– Moi aussi, je t’aime.

Je l’enlaçai, reposant ma tête sur son épaule. Ses bras m’entourèrent et il me caressa doucement la nuque. Je me sentais tellement en sécurité dans ses bras. Rien ne pouvait m’atteindre quand j’étais sous sa protection. Rien, sauf les peurs qui vivaient enfouies au fond de moi.

Il n’était pas encore midi, et la journée avait déjà été riche en émotions. J’avais toujours aussi mal à la tête et le nez qui coulait à cause de ma crise de larmes. Pete me relâcha et partit chercher un petit sac en papier dans la tente. A l’intérieur se trouvaient les médicaments que je lui avais demandés.

– Merci.
– Je t’en prie, Bri.

J’ouvris la boîte avec soulagement et détachai deux comprimés. Pete me tendit une bouteille d’eau minérale, et j’avalai les comprimés d’une traite.

– Je ne comprends pas, dis-je.
– Qu’est-ce que tu ne comprends pas ? demanda Pete, perplexe.
– Pourquoi est-ce que tu continues à me supporter ?
– Est-ce qu’il faut encore que je t’explique, Brian ? Tout ce que je t’ai dit avant tient toujours, dit-il avec une pointe d’exaspération dans la voix.
– Non, répondis-je doucement. C’est juste que je ne comprends pas que tu ne m’en veuilles pas.
– Pourquoi ? Parce que tu as des sentiments ?
– Non, parce que j’ai eu ces sentiments-là. Pour elle.
– Tu te souviens de ce que je t’ai dit tout à l’heure ? Sur le fait qu’une partie de ton cœur était occultée ?

Je hochai piteusement la tête.

– Je vais te le dire autrement. Depuis combien de temps est-ce que tu essaies de reprendre contact avec tes émotions ?
– Depuis la première fois que j’ai consulté Will.
– Donc ça fait un peu plus de six mois.

Je hochai la tête de nouveau.

– Je crois que tu as vraiment mis le doigt sur quelque chose. Je suis désolé que ce soit aussi douloureux, mon cœur. Je ne t’en veux pas. Je n’en veux pas non plus à Kerry. En fait, je lui suis reconnaissant d’avoir réussi à te faire progresser dans ta guérison émotionnelle.

Je plongeai mon regard dans le sien, au plus profond de son âme et de son cœur. Quelle chance j’avais de partager la vie d’un garçon qui savait analyser une situation avec autant de recul et de maturité. N’importe qui d’autre aurait sans doute mal réagi, mais d’un autre côté, je ne me serais jamais confié à personne d’autre que Pete.

– Je ne te mérite pas…

Je devançai les objections de Pete en posant un doigt sur ses lèvres.

– … mais je suis bien content de t’avoir.

Je l’embrassai et entendis un cri de surprise derrière moi.  

Je me retournai et découvris Allison, Kerry et Devon. Kerry affichait un sourire timide, mais Devon et sa fille étaient bouche bée. Mon cœur tomba dans ma poitrine. Une nouvelle confrontation en perspective.

Devon retrouva ses esprits le premier.

– Tu as essayé de violer ma fille, espèce de dégénéré !

Pete et moi restâmes immobiles et silencieux. Devon fit un pas dans ma direction, ce qui réveilla mes instincts défensifs. Je poussai Pete du banc afin de l’éloigner de Devon. Je m’écartai de l’autre côté de la table, ce qui me donnait de l’espace pour manœuvrer si nécessaire. Rassemblant mon courage, je me redressai de tout mon long et confrontai mon assaillant. Il me dominait d’une tête et pesait deux fois mon poids.

– Non, Monsieur. Je n’ai pas essayé de violer votre fille. Elle a essayé de m’imposer une relation sexuelle dans la tente alors que je lui ai demandé plusieurs fois de partir. Je ne coucherais jamais avec elle, même avec votre bénédiction, et ce pour deux raisons.

Je vis Pete se placer derrière moi du coin de l’œil.

– Est-ce que vous voulez les connaître ?

Sans attendre la réponse, je poursuivis.

– D’abord, votre fille est une enfant gâtée et arrogante qui s’imagine que tout le monde est à ses ordres et devrait se mettre à genoux devant elle. Elle croit qu’elle est irrésistible. Quand elle est entrée dans ma tente, elle avait déjà les seins à l’air et elle a essayé de retirer mon short. Je lui ai dit de partir, mais elle a refusé.
– Tu n’es qu’un sale menteur ! hurla Allison.
– Ferme ta gueule ou c’est moi qui vais te la fermer ! s’écria Devon.

Je fis comme si je n’avais rien entendu.

– La deuxième raison pour laquelle je ne coucherais pas avec elle, c’est que je suis fidèle à celui que j’aime, et que je n’ai aucune envie de le tromper, même avec la plus belle femme du monde, ce qui n’est pas le cas de votre fille.
– Tu es pédé, mon garçon ?

Je souris et passai le bras autour de la taille de Pete.

– Vous êtes homophobe ? Ah, attendez, je crois que vous avez déjà répondu à la question.

Devon fit un pas dans ma direction.

– Il n’y a que la vérité qui blesse. Vous n’arrivez pas à digérer le fait que je sois heureux avec un garçon et que je ne sois absolument pas attiré par votre fille. D’ailleurs, ce n’est pas seulement parce que je suis gay. Kerry me plaît beaucoup. Mais comme je l’ai déjà dit, je ne tromperais pas Pete, même avec Kerry, aussi jolie soit elle.

Pete passa le bras autour de mes épaules et me serra affectueusement contre lui.

– Vous brûlerez en enfer !
– Ah, je vois. C’est parti. Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre. Est-ce que vous n’avez jamais péché ? Est-ce que vous prétendez être parfait ?

Il bafouilla pendant un instant, puis répéta :

– Tu as quand même essayé de violer ma fille.
– Il faudrait déjà qu’elle me donne envie de bander. Maintenant, je vous invite à retourner à votre campement, et nous resterons chez nous. Nous ne vous dérangerons pas, et je vous demande de faire de même.
– Je vais appeler les flics !
– Allez-y. J’ai un témoin oculaire qui confirmera tout ce que j’ai dit.
– Menteur.

Je plissai les yeux et esquissai un sourire méprisant.

– Essayez, pour voir.

Devon se contenta de me fixer, le visage empourpré de colère. J’en avais assez entendu, cependant.

– Je comprends votre colère. Ce n’est pas tous les jours qu’on apprend que sa fille est une trainée.

Allison hurla quelque chose d’inintelligible et fonça sur moi, mais elle n’atteignit jamais sa cible. Devon la projeta au sol.

– Magnez votre cul. On rentre au camp, ordonna Devon, les mâchoires serrées.

Kerry nous lança un sourire amical. Nous avions gagné.

– Tu ferais bien de surveiller tes arrières, petit pervers. Tiens-toi à distance de ma famille.
– Vous feriez bien d’en faire autant, semeur de haine, répondis-je avec le même sourire de mépris.

Devon cracha à mes pieds et quitta les lieux, tirant Allison derrière lui par le bras. Je les suivis du regard jusqu’à ce qu’ils tournent au coin de l’allée, puis je m’effondrai dans les bras de Pete, tremblant comme une feuille.

Pete me caressa doucement les cheveux et m’embrassa sur le sommet de la tête.

– Tu es mon héros, chuchota-t-il.

Je levai la tête et vis qu’il ne plaisantait qu’à moitié.

– Brian, tu sais quoi ? Tu as des nerfs d’acier.

Je souris faiblement.

– Je ne sais pas. Je suis mon instinct. J’espère vraiment que l’aspirine fera son effet rapidement.

Soudain, je me retournai et vomis dans le foyer du feu de camp. Je tombai à genoux et mon estomac se souleva encore à trois reprises. Pete me massait la nuque et les épaules pendant ce temps.

Quand ce fut terminé, il dit :

– Va t’allonger, mon cœur. Tu te sentiras mieux.

Il me conduisit jusqu’à la tente et m’aida à m’étendre sur le matelas gonflable. Il retira mon T-shirt et me retourna sur le ventre. Je fis une sieste d’une demi-heure pendant laquelle Pete détendit mes muscles contractés par le stress. Puis il s’allongea à côté de moi en me tenant la main, alors que mon esprit vagabondait dans un état de semi-conscience. Quand je sortis de ma torpeur, je lui serrai la main et le remerciai.

– Je t’en prie, Bri. Je t’aurais bien détendu davantage, mais nous n’avons pas assez d’intimité, ici.
– Mmmh. Tu t’en es très bien sorti.

Je roulai sur le côté et soutins ma tête avec la main.

– Je t’aime, Pete. Plus que tout.
– Je sais, dit-il en souriant. Moi aussi, je t’aime.

– Brian ? Pete ?

Nom d’un chien, on ne pouvait pas nous laisser tranquilles !

– Est-ce que vous êtes là ? Je peux m’en aller si vous ne voulez pas être dérangés.

C’était la voix de Kerry.

À ma grande surprise, Pete répondit :

– Attends une minute, on arrive.

Je poussai un soupir.

– Viens, Bri. Je voudrais la remercier.
– D’accord.

Je me levai péniblement pour enfiler mon T-shirt, mais Pete m’interrompit.

– J’aime te voir torse-nu, Bri. Reste comme ça, d’accord ?

Je n’étais pas vraiment d’humeur, mais consentis néanmoins à lui faire plaisir. Je jetai mon T-shirt sur le lit.

Kerry était assise à la table de pique-nique et semblait détendue, suivant du doigt les graffitis gravés dans le bois. Elle leva la tête à notre approche et je sentis ses yeux détailler mon corps. Pete sourit en observant la scène et s’assit en face d’elle en disant :

– Il est beau, non ?
– Oui, très beau. Tu as de la chance de l’avoir.
– Je sais. Je suis simplement content qu’il ait décidé de rester avec moi.

Pete serra ma main dans la sienne. Je ne savais plus où me mettre, ni comment réagir à leurs propos. Remarquant mon malaise et comprenant que je n’allais pas répondre, Pete poursuivit :

– Je voulais te remercier, Kerry.
– Ah bon ? Pourquoi ?
– Pour l’amitié que tu portes à Brian. Il n’a pas beaucoup d’amis.
– Je sais. Je l’avais senti. Nous sommes tellement semblables que c’est flippant.
– C’est ce que m’a dit Brian. Il a raison, tu sais. Tu es très jolie.

Elle rougit et baissa le regard.

– C’est vrai. Je comprends pourquoi il est attiré par toi. Je le suis aussi, mais pas comme Brian.

Kerry commença se tortiller nerveusement, ne sachant pas où Pete voulait en venir.

– Brian ne se confie pas facilement, Kerry. Il a vécu des choses difficiles.

Pete me caressa affectueusement la tête et sourit.

– Mais parfois, ça lui arrive d’ouvrir son cœur. Pas souvent, mais de temps en temps, quand il se sent en sécurité. Il t’a parlé de nous parce qu’il te fait confiance et qu’il sentait qu’il ne risquait rien, Kerry. Il faut le prendre comme un compliment. Il n’accorde pas sa confiance facilement. Il m’a raconté ce qu’il s’était passé entre vous parce qu’il me fait confiance. Je te suis reconnaissant de lui avoir permis d’ouvrir son cœur un peu plus. C’est pour ça que je voulais te remercier.
– Tu ne devrais pas être avec ton oncle ? lui demandai-je.
– Non. Il se comporte comme un idiot. Il m’a dit que de ne pas quitter le camp, donc je suis partie, dit-elle en étouffant un rire. J’appellerai mes parents quand je trouverai un téléphone, et ils viendront me chercher. Je n’ai plus trop envie de rester avec mon oncle. Ni avec Allison, d’ailleurs.
– Et Kirsten ?
– Elle est sympa, mais elle n’arrête pas de pouffer de rire. Ça finit par me rendre folle.

Pete claqua des doigts.

– Nous avons un portable. Est-ce que tu veux appeler tes parents maintenant ?
– Ils doivent être au travail à cette heure-ci, mais peut-être que je pourrais les appeler plus tard ?
– Bien sûr, répondit Pete avec un sourire. Pas de problème. Il suffira de me demander.
– Qu’est-ce que ton oncle te dira s’il te voit avec nous ?
– Rien. Je l’ai engueulé en le traitant de vieux con réactionnaire. Il m’a donné une gifle et je me suis tirée.

Maintenant qu’elle en parlait, je voyais la trace de la main de son oncle sur sa joue. Mon sang ne fit qu’un tour. Ce connard l’avait frappée ! Sentant ma colère monter, Pete me tapota la jambe en essayant de me calmer.

– Brian, ça ne sert à rien de t’énerver. Kerry, est-ce que tu seras en sécurité si tu retournes là-bas ?
– Je ne sais pas. Ma tante n’a rien dit quand il m’a giflée.

Je regardai Pete, le visage toujours crispé de colère.

– Appelle la police. Ils te protègeront en attendant que tes parents viennent te chercher.
– Est-ce que tu peux essayer d’appeler tes parents au travail ?
– Je pourrais essayer, mais je n’ai pas leur numéro sur moi. Il est dans ma tente.
– C’est pour ça qu’ils ont inventé les renseignements.

Pete sortit le téléphone de la voiture. Je restai assis, ruminant ma colère. Kerry étendit son bras à travers la table et posa sa main sur la mienne.

– Ne t’inquiète pas, Brian. Il ne m’a pas fait mal.
– Je m’en fous ! Il n’aurait jamais dû lever la main sur toi !
– Laisse tomber. S’il te plaît ? Il n’y a pas de quoi en faire toute une histoire, je t’assure. Ce n’est pas la première fois.
– Il t’a déjà frappée ? demanda Pete en lui tendant le téléphone.
– Oui.
– Une gifle ?
– Oui, en général.
– Combien de fois ? demandai-je.
– Pas très souvent. Deux ou trois fois chaque été. Rien de grave.
– Et tes parents te laissent revenir ? m’étonnai-je.
– Ils ne savent pas. Je ne leur ai jamais dit.

Je pris une profonde respiration.

– Pourquoi pas ? demanda Pete.
– Je ne voyais pas l’intérêt d’en faire tout un plat, dit-elle en haussant les épaules.
– Eh bien, cette fois-ci, c’est moi qui vais en faire tout un plat, dis-je, bouillonnant encore intérieurement.

Pourquoi ne voulait-elle pas en parler à ses parents ?

– Est-ce que tes parents sont comme ton oncle ?
– Oh non ! J’adore mes parents, et ils m’adorent. Ils ne m’ont jamais traitée comme Oncle Devon.
– Appelle tes parents, Kerry.

Elle étudia mon visage, mes veines gonflées au niveau des tempes, mes yeux plissés et ma mâchoire contractée.

– D’accord, chuchota-t-elle.

Pendant qu’elle était au téléphone, Pete et moi discutâmes calmement des choix qui s’offraient à nous. Nous pouvions demander l’aide de la police pour récupérer ses affaires en expliquant qu’on lui en interdisait l’accès alors qu’elle voulait rentrer chez elle, ou bien simplement décrire les faits tels qu’ils s’étaient produits. Nous pouvions aussi l’accompagner pour qu’elle récupère ses affaires et trouver un endroit où passer la nuit en attendant que ses parents viennent la chercher. Aucune de ces solutions ne me plaisait.

– Je n’ai vraiment pas envie de me retrouver face à Devon encore une fois.
– Je sais, mon cœur, dit Pete.

Kerry raccrocha et dit :

– Mes parents arriveront dans la soirée. Ils partent dans une heure. Je les rappellerai vers huit heures. Ils ne devraient pas être loin.

Pete hocha la tête et demanda :

– Est-ce qu’il y a quelque chose dont tu as absolument besoin ?
– Pas d’ici ce soir. J’ai un peu d’argent en cas d’urgence.
– Brian, je crois que ce n’est pas une bonne idée de camper ici ce soir.

Je soupirai et marmonnai :

– Putain d’homophobes.

Pete ajouta :

– Il y a un autre camping où nous pourrions nous installer, près de la plage.
– Sinon vous pouvez faire du camping sauvage un peu plus haut au bord de la rivière, suggéra Kerry.

Je réfléchis pendant quelques secondes.

– Essayons de trouver un endroit près de l’océan. J’aimerais bien courir sur la plage, de toute façon. Nous pourrons toujours revenir ici demain.
– D’accord, mon cœur, dit Pete en souriant. Faisons comme ça. Tu viens avec nous, Kerry ?
– Bien sûr. Mais il fera plus frais au bord de la mer.
– J’ai quelques vêtements qui pourraient t’aller, si ça ne te dérange pas de les porter.
– Ce serait parfait. Merci, Brian.
– Bon, alors c’est décidé, dit Pete. On remballe tout.

En travaillant de concert, nous fûmes prêts au bout d’une demi-heure. Kerry monta à l’arrière de la voiture, et je pris place devant à côté de Pete. En nous éloignant, nous entendîmes Devon derrière nous qui criait après Kerry.

– Continue, Pete, soupira-t-elle. Fais comme s’il n’était pas là.
– Nous ferions bien de nous arrêter au commissariat pour expliquer ce qui se passe avant qu’on nous accuse d’enlèvement, dit Pete.
– Oui, ce serait une bonne idée. Peut-être que nous devrions appeler la police maintenant pour leur annoncer notre arrivée ? Je n’ai pas spécialement envie d’avoir une arme pointée sur moi ce soir, dit-elle en riant nerveusement.

Je suivis son conseil. La police n’avait pas l’air d’accorder beaucoup d’importance à notre cas.

La route qui menait à la ville était magnifique. Nous roulions le long de la Chetco River, dominée çà et là par une maison construite sur la berge. À notre droite se trouvaient des collines parsemées de maisons et de mobile-homes. Ce n’était peut-être pas un paysage de rêve, mais il me procurait une grande paix intérieure.

Quand nous arrivâmes au commissariat en centre-ville, nous fûmes accueillis par le policier de permanence. Kerry lui raconta toute l’histoire, en omettant de préciser que Pete et moi étions ensemble, et expliqua au policier que ses parents venaient la chercher.

Au milieu de son procès-verbal, l’agent fut interrompu par un appel urgent. Il revint quelques instants plus tard et nous posa encore quelques questions. Nous restâmes sur place pendant près d’une heure, puis le policier nous demanda d’attendre dans son bureau.

Une demi-heure plus tard, il fut de retour et nous autorisa à repartir à condition que Pete laisse son numéro de portable. Sur le chemin de la sortie, j’aperçus Devon assis sur une chaise dans un autre bureau. Je secouai la tête et suivis Pete et Kerry vers la voiture.

– Alors ? demanda Pete en mettant le contact. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
– J’ai faim, dit Kerry. Qui a envie de pizza ?
– Ça me va bien, dis-je en haussant les épaules.
– D’accord, alors pizza pour tout le monde.

La voiture s’ébranla et Kerry guida Pete jusqu’à la route principale en direction du Sud.

Je ne revenais pas de l’aspect désuet de la ville. Les seuls repères de modernité étaient le Pizza Hut et le McDonald’s. Tout le reste semblait dater des années soixante.

Nous empruntâmes la sortie vers la berge Nord de la rivière et traversâmes le pont vers une autre petite ville du nom de Harbor. La pizzeria Wild River se trouvait en face d’un vieux centre commercial construit sur une petite colline. Derrière se trouvaient d’autre magasins que je n’arrivais pas à distinguer.

Le restaurant était presque vide quand nous fîmes notre entrée. Kerry commanda une pizza peppéroni moyenne et une assiette de frites. Pete et moi payâmes notre part et nous dirigeâmes vers le bar pour commander les boissons. Nous trouvâmes une table près de la baie vitrée côté rue, par laquelle le soleil de l’après-midi commençait à s’infiltrer dans la pièce.

Kerry s’assit en face de nous et aspira longuement sur sa paille, vidant la moitié de son Coca.

– Je me sens déjà mieux, dit-elle. Alors racontez-moi, comment est-ce que vous vous êtes rencontrés ?

Nous lui fîmes le récit de notre rencontre. Nous étions désormais bien rodés : chacun savait ce qu’il allait dire et à quel moment. Je ne comptais plus les fois où j’avais raconté mon enfance. Comme si j’étais déjà un adulte, pensai-je.

À mi-chemin de notre récit, notre numéro de notre commande fut appelé, et Pete se leva pour aller la chercher. Kerry me regarda en souriant et dit :

– Vous méritez vraiment d’être ensemble après tout ce que vous avez vécu.
– Peut-être. Tout ce que je sais, c’est que Pete m’aime pour une raison que je n’arrive pas à m’expliquer, et que je l’aime en retour. Mais nous ne t’avons pas encore tout raconté, et la suite est tout sauf un conte de fées.

Pete revint avec notre pizza et une assiette de frites maison. Kerry en prit une et la trempa dans la sauce ranch servie à part. Un grand sourire se dessina sur son visage. Elle avait l’air de se régaler. J’en pris une à mon tour et la trempai dans la sauce. Je fus agréablement surpris par le goût.

La conversation laissa place à la dégustation pendant les quinze minutes suivantes. Quand nous eûmes terminé, je partis acheter un pichet de Coca et nous livrâmes nos derniers secrets à Kerry. Elle épongea quelques larmes au fur et à mesure que nous déroulions notre récit. Je ne me rendis compte de ma propre émotion qu'au moment où Pete me tendit une serviette pour que je puisse m’essuyer les yeux. Je lui souris et posai la tête sur son épaule pendant un court instant.

Nous restâmes assis dans un silence méditatif pendant quelques minutes. Je réfléchissais au chemin que j’avais parcouru depuis le jour où j’avais failli me laisser mourir de faim. Le garçon qui avait rejeté sa famille et s’était coupé du monde avait trouvé l’amour, se sentait aimé, et caressait l’espoir d’un avenir meilleur. Et ce changement, je le devais au garçon à côté de moi. Sans lui, je ne serais devenu personne. Peut-être même n’aurais-je pas survécu. Un frisson parcourut mon échine à cette idée.

– Tu as froid, mon cœur ?
– Non, j’étais juste en train de réfléchir.

Pete me regarda avec insistance, s’attendant à ce que je lui donne des précisions, mais Kerry vola à mon secours :

– Ça vous dit d’aller faire un tour sur la plage, les garçons ?
– Bonne idée ! répondis-je sans hésiter. J’ai bien envie d’aller faire un footing.
– Pourquoi pas, mais il y a un peu de vent. Il risque de faire froid.

Pete était toujours inquiet, mais je fis semblant de ne pas remarquer. J’étais certain d’en entendre parler ce soir-là.

– Sans doute, dit Kerry. Et j’ai laissé mon blouson chez mon oncle.
– Tu peux mettre le mien, proposai-je. Je vais courir en survêt, de toute façon.
– Merci, Brian.
– Est-ce que tu viens courir avec moi, Pete ? lui demandai-je avec un regard séducteur, en mordant ma lèvre inférieure.

Je vis Pete commencer à rougir alors qu’un sourire embarrassé apparaissait sur son visage.

– Il est temps d’y aller ! dit-il d’une voix forte.

Kerry éclata de rire.

– Vous êtes trop mignons !

L’expression de Pete était impayable. Il ne pouvait pas cacher l’effet que je lui faisais, et devint encore plus rouge. Pete se pencha au-dessus de la table, le regard pétillant, et dit à Kerry :

– Je n’y peux rien s’il me fait craquer. Je dois être un peu en manque.

Elle rit de plus belle.

– Bien sûr. Je te comprends. Comment pourrais-tu résister à la vue de ce dieu grec ?

Ce fut à mon tour de rougir.

Nous quittâmes la pizzeria et traversâmes le pont dans l’autre sens pour rejoindre la ville. Nous dépassâmes Harris Beach State Park et longeâmes Lone Ranch State Park, une longue plage qui avait l’air presque déserte. Nous quittâmes la Highway 101 en empruntant la bretelle qui descendait en pente raide vers le parking. Celui-ci n’était pas très grand, mais il était plein, ce qui était surprenant compte tenu de la faible fréquentation que nous avions observée depuis la route.

Pete trouva une place de parking sauvage, et nous sortîmes de la voiture. Kerry attrapa mon blouson sur le siège arrière et l’enroula autour de ses épaules pour se protéger du vent glacial. Pete ouvrit le coffre, et nous fouillâmes dans nos affaires pour trouver nos vêtements de sport. Je n’avais pas imaginé qu’il puisse faire aussi froid. Nous étions censés être en été, mais il faisait dix degrés à tout casser.

Je tendis un sweat de rechange à Kerry, et nous partîmes nous changer avec Pete dans les sanitaires. Nous fîmes une pause juste assez longue pour partager un baiser passionné. Nous retournâmes à la voiture pour déposer nos affaires et descendîmes vers la mer. Après avoir escaladé quelques amas de bois flotté, nous arrivâmes sur la plage.

La bande de sable s’étendait sur près d’un kilomètre et demi. Des mouettes volaient au-dessus de nous, progressant contre le vent pour rejoindre le large. Je m’immobilisai et fermai les yeux. L’air marin était pur et frais. Les cris des mouettes étaient presque étouffés par le fracas des vagues. J’inspirais à pleins poumons puis expirais doucement, profitant de cette sensation de bien-être. Quand je rouvris les yeux, Pete m’observait avec un sourire alors que Kerry me dévisageait avec perplexité. Je me contentai de sourire, et nous poursuivîmes notre chemin vers la plage.

– Est-ce que tu vas attendre ici, Kerry ? lui demandai-je.
– Pendant que vous courez, tu veux dire ? Ne t’inquiète pas, je trouverai un endroit pour m’asseoir sur un tas de bois. Allez-y, défoulez-vous bien, mais ne faites pas trop de folies avec votre corps ! dit-elle d’un air malicieux.

Comment une fille aussi timide pouvait-elle se montrer aussi extravertie ? Je pense que c’est parce qu’elle se sentait en confiance avec nous, et peut-être aussi parce qu’elle savait que nous ne serions jamais plus que des amis, ce qui retirait toute tension sexuelle à notre relation. Je n’en étais pas certain.

– Nous serons bientôt de retour.
– Ne vous pressez pas. J’ai tout mon temps.

Son sourire s’accompagna d’un regard complice.

Alors que nous nous éloignions à petites foulées vers l’autre extrémité de la plage, je commentai :

– Elle est flippante.
– Pourquoi ? demanda Pete en riant. Parce qu’elle sait comment fonctionnent les garçons ?
– Euh, oui, en quelque sorte. Elle était pratiquement en train de nous suggérer de… Tu sais, d’avoir un rapport sexuel.
– Et c’est mal ?
– Non, bien sûr. Il y a pire dans la vie. Alors on va se traîner encore longtemps ou on fait un vrai footing ?

Je forçai l’allure et pris quelques mètres d’avance, obligeant Pete à me rattraper ou à rester en retrait.

Nous croisâmes un groupe d’une dizaine de garçons qui jouaient au football américain un peu plus loin. Je leur jetai un coup d’œil en passant, ce qui n’échappa pas à Pete. Je crois que le plus âgé devait avoir dix-huit ans, et le plus jeune treize. Il y avait un ou deux garçons mignons de notre âge.

– Allez, dit Pete, légèrement essoufflé, finissons-en.
– Tu as perdu la forme, mon cœur ?
– Oui, dit-il en haletant, je devrais courir plus souvent.

Il parvint à rester à ma hauteur jusqu’à la fin de la plage, où nous fîmes demi-tour et ralentîmes le rythme pour revenir à la partie de foot. Quand nous arrivâmes, nous vîmes Kerry assise sur le côté, qui suivait le match.

– Ça te dit de jouer ? demanda Pete.
– Avec plaisir, s’ils veulent bien de nous.
– Cool. Je n’ai pas joué au foot depuis un moment. Dites, les gars, vous avez de la place pour deux joueurs supplémentaires ?
– Bien sûr ! dit le plus âgé. Nous sommes en nombre pair, donc chacun rejoint une équipe.
– D’accord. Quelles sont les règles ?
– On est censés jouer sans plaquage, mais c’est une version un peu plus physique. Disons qu’on joue au contact.
– Ça, je sais faire, dis-je en souriant, faisant sourire Pete à son tour.
– Je me mets dans ton équipe…
– Bobby, enchanté, dit-il en lui serrant la main, puis la mienne.

Je rejoignis mon équipe et Pete prit place dans le camp d’en face. L’instant d’après, le ballon avait été lancé. Pete s’élança au quart de tour, et je bondis dans son sillage. Il se fraya un passage au milieu du terrain. Je parvins à frôler le ballon du bout des doigts, juste assez pour le détourner des mains de Pete qui s’apprêtaient à le saisir. Puis je retombai lourdement au sol, tête en avant, et avalai du sable.

Pete se précipita vers moi et me tendis la main.

– Ça va, rien de cassé ?

Je souris jusqu’aux oreilles et recrachai un peu de sable.

– Je ne me suis jamais senti aussi bien ! La prochaine fois, j’attraperai le ballon.

Pete éclata de rire et m’aida à me relever.

– Si tu arrives avant moi !

Il passa son bras autour de mes épaules alors que nous retournions à nos positions de départ. Le ballon fut lancé de nouveau, et Pete se précipita en avant, essayant de me prendre de vitesse. Au lieu de se faufiler entre les joueurs comme précédemment, il courut en ligne droite. Je me concentrai sur ses épaules, observant le moment où il tournerait pour attraper le ballon.

Quand il tourna, je levai les yeux et vis que c’était serré. Il continua sa course pour se placer au point d’impact, et je ne le quittai pas d’une semelle. Nous regardâmes en l’air, et je vis que le ballon allait atterrir pile dans ses mains. Je fis un dernier effort pour rattraper Pete et sautai le plus haut possible. Le ballon me heurta en pleine poitrine. Je le bloquai avec les bras, mais je n’avais aucun espoir de retomber sur mes pieds. Me cramponnant au ballon par instinct, je laissai mes pieds se dérober, prêt à toucher le sable. Je sentis Pete s’accrocher à moi, et nous tombâmes ensemble. Quand nous eûmes fini de rouler dans le sable, Pete émit un grognement. Je me débattis pour me relever.

– Oh, la vache ! Est-ce que ça va, Pete ? Tu es blessé ?
– Je vais bien, Bri, mais il va falloir qu’on parle de ton poids, plaisanta-t-il. J’ai cru que j’avais été  renversé par un camion.

Les autres garçons nous rejoignirent, nous demandant si nous allions bien et nous félicitant pour notre jeu.

– Je crois que je vais me lever, maintenant.

Bobby et moi l’aidâmes à se remettre sur pied.

– Je vous avais dit que c’était du foot sans plaquage ! Vous essayez de vous tuer ou quoi ? dit Bobby avec un sourire qui nous rassura sur le fait qu’il n’était pas fâché.
– Non, j’ai laissé tomber cette idée depuis longtemps, répondis-je.

Bobby me jeta un regard intrigué, puis haussa les épaules.

– Si tu le dis. Est-ce que vous voulez toujours jouer ?
– Bien sûr, dit Pete.
– Super. À toi d’engager, Brian.

Nous jouâmes pendant encore une heure environ avant que la fatigue ne nous rattrape. Kerry suivit toute la partie, nous regardant faire les idiots et nous encourageant avec son rire cristallin.

Nous nous étions bien amusés. J’avais oublié que le foot pouvait être aussi plaisant. Pete aussi, visiblement. Nous retournâmes à la voiture et retirâmes nos vêtements de sport en secouant un maximum de sable.

– Il nous faut une chambre pour ce soir, Bri.
– Est-ce que c’est faisable ?
– Sûrement.
– Il y a plusieurs hôtels dans le centre-ville et près du port, dit Kerry en se rinçant l’œil. Je ne sais pas s’ils sont chers, ni s’ils vous donneront une chambre. Certains endroits exigent d’avoir dix-huit ou vingt-et-un ans pour être client.
– Ça craint, dis-je. J’ai vraiment besoin de prendre une douche.
– Moi aussi. Quelle heure est-il, mon cœur ?
– Cinq heures environ.
– D’accord. Allons voir si nous pouvons prendre une chambre au Best Western au Nord de la ville.
– Bonne idée, mon cœur.

Kerry gloussa quand je refermai la portière.

– Qu’est-ce qu’il y a ?
– C’est juste bizarre d’entendre deux garçons s’appeler « mon cœur ».
– Tant mieux si tu trouves ça drôle, dis-je en me tournant vers elle avec bienveillance.

Elle éclata de rire, et Pete me lança un sourire qui me fit fondre le cœur.

Nous arrivâmes au motel que Pete avait mentionné. Il dut montrer sa pièce d’identité pour prouver qu’il était émancipé, mais ils nous donnèrent une chambre. Nous nous y rendîmes, et Kerry s’installa sur l’un des deux lits doubles en regardant la télévision pendant que Pete et moi prenions une douche ensemble. Elle ne put s’empêcher de sourire quand je fermai la porte de la salle de bains.

Nous ne perdîmes pas de temps, mais c’était suffisant pour ce que nous avions à faire. Le temps de sortir de la douche, de nous habiller et de nous préparer pour le dîner, il était déjà six heures et quart.

Nous décidâmes de marcher jusqu’au fast-food A&W en bas de la rue. Nous bavardâmes en dégustant nos hamburgers et en buvant notre bière sans alcool, partageant des anecdotes de nos vies respectives. Plus nous discutions ensemble, plus j’avais l’impression de la connaître depuis toujours. Même Pete semblait ressentir la même chose.

Nous restâmes dans le restaurant aussi longtemps que possible avant de rentrer. Kerry appela ses parents. Ils n’étaient plus qu’à quinze kilomètres au Sud de la ville et remontaient la Highway 199 depuis Grants Pass. Elle leur donna rendez-vous à la réception du motel vingt minutes plus tard.

Pendant le temps qu’il nous restait, Kerry se montra moins joviale. Elle se replia sur elle-même comme si elle essayait de cacher ses émotions. C’était un spectacle étrange. Est-ce que je donnais cette impression quand j’arborais mon propre masque ?

Juste avant que nous ne descendions à la réception, Pete me surprit en donnant une accolade chaleureuse à Kerry, avant de la relâcher pour que je puisse la serrer dans mes bras à mon tour. Notre étreinte fut maladroite, comme des sentiments refoulés remontaient à la surface. Nous échangeâmes nos numéros et nos adresses avant de faire la connaissance de ses parents.

Il était évident qu’ils ne nous faisaient pas confiance, et malgré les protestations de leur fille, ils l’emmenèrent aussi vite que possible.

Nous restâmes plantés devant l’entrée en regardant la voiture s’éloigner sur la route principale.

– Elle va me manquer, dit Pete. C’était vraiment une fille sympa.

Je me contentai de hocher la tête.

Notre chambre semblait vide maintenant que Kerry était partie. Un sentiment d’abandon me nouait le ventre.

– Viens ici, Bri.

Pete avait retiré le couvre-lit sur le lit le plus proche de la salle de bains et enlevé ses chaussures. Il tapota la place vide à côté de lui. Je restai debout à le regarder pendant quelques instants, puis me déchaussai et m’allongeai à côté de lui, me réfugiant dans ses bras.

– Est-ce que ça va ?
– Oui, soupirai-je, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression d’avoir perdu une amie.
– Tu n’as pas perdu une amie, Bri, elle a simplement rejoint sa famille. Tu pourras l’appeler quand nous rentrerons à la maison. Peut-être même qu’on pourra descendre lui rendre visite.
– Comment est-ce que j’ai pu m’attacher autant à elle alors que je ne la connais que depuis hier ?
– Tu as décidé que tu m’aimais en moins de quatre jours, me rappela Pete.
– C’était différent. Je te connaissais depuis presque deux ans à ce moment-là.
– C’est vrai. Brian, tu as le droit d’avoir des sentiments pour elle, tu sais.
– C’est ce que tu n’arrêtes pas de me répéter. Alors pourquoi est-ce que j’ai l’impression de t’avoir trahi ?
– Parce que tu as une fâcheuse tendance à vouloir culpabiliser pour rien, voilà pourquoi !

Je fis glisser ma tête pour la faire reposer sur son ventre.

– Tu crois ?
– J’en suis sûr.
– Désolé.
– Il n’y a pas de quoi être désolé, Brian. Vraiment pas.
– Tu n’étais pas du tout jaloux ?
– Bien sûr que si !
– Alors pourquoi est-ce que tu n’as rien dit ?

Pete poussa un profond soupir.

– Nous ne serons peut-être pas toujours ensemble en permanence. J’aurai peut-être besoin de voyager et toi aussi, d’ailleurs. Je n’ai jamais voulu que tu deviennes complètement dépendant de moi, et que tu n’aies pas d’autres amis.
– J’ai d’autres amis.
– Autres que les miens ?

J’étais incapable de répondre. Il devait avoir raison.

– Nous pouvons nous aimer plus que tout au monde, Brian, mais nous ne pouvons pas être tout l’un pour l’autre. Kévin et Sharon m’ont appris ça. Ma mère aussi. Nous devons avoir nos propres vies : notre vie ensemble, et notre vie avec les autres. Je veux que tu aies des amis, Bri. Et je veux en avoir aussi.
– Mais pourquoi est-ce que mes amis ne pourraient pas être les mêmes que les tiens ?
– Ils pourront l’être, mais ils seront avant tout tes amis avant d’être nos amis. Ce sera pareil pour moi.
– Je ne comprends pas.

Il me caressa le visage du revers de la main, puis la laissa reposer sur mon torse.

– Ce n’est pas grave, Brian. Tu n’as pas besoin de comprendre tout de suite. C’est juste quelque chose dont je parle parfois avec Jason. Le problème se posera surtout quand nous serons à l’université et que nous suivrons des cours différents.
– Ah, tu veux dire que j’aurai des amis dans mes cours d’ingénieur et que tu auras des amis dans ton cours de tricot ?

Il me donna une tape sur le ventre et esquissa un large sourire alors que j’éclatais de rire.

– De tricot ? Enfoiré ! Je vais te montrer comment je tricote !


Chapitre 18

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