Pour l'amour de Pete

Roman gay inédit - Tome II - Brian et Pete

Chapitre 3 - Dangereuses découvertes

Le lendemain matin, l'alarme retentit beaucoup trop tôt. Après avoir coupé la sonnerie, cependant, je découvris que j’étais plutôt de bonne humeur. Brian était allongé à côté de moi et me tournait le dos. Il respirait profondément, et la sonnerie du réveil n’était pas parvenue à interrompre son sommeil. Mon pauvre chéri devait être épuisé. La soirée de la veille nous avait tous éprouvés.

Une fois que Sharon et Jason avaient été convaincus que Brian allait mieux, ils nous avaient doucement poussés vers le lit, allant même jusqu'à nous border. Sharon avait éteint les lumières et s’était arrêtée sur le pas de la porte pour nous regarder une dernière fois, Jason faisant de même par-dessus son épaule. Leur visage exprimait la tendresse et l’inquiétude que confèrent les responsabilités parentales. Je trouvais amusant que Jason soit devenu aussi protecteur à notre égard, mais je lui en étais reconnaissant en même temps.

Lorsque la porte s’était refermée, Brian s’était blotti contre moi. Il avait été tout entier secoué par des frissons sporadiques, s’agrippant à moi pendant quelques secondes, avant de se détendre de nouveau. Je l’avais gardé dans mon étreinte pendant qu’il s’endormait. J’avais poussé un profond soupir de soulagement avant de trouver le sommeil à mon tour. Cela faisait tellement longtemps que je ne l'avais pas serré ainsi dans mes bras.

Je savais que je devais sortir du lit et me préparer pour aller en cours, mais je n'en avais pas envie. Je voulais rester avec Brian, m'assurer qu’il allait bien et qu'il ne ferait rien de stupide. Mes craintes étaient probablement infondées, mais je ne pouvais m'empêcher de m'inquiéter pour lui. Sa vie était tellement compliquée qu’il devait être stressé en permanence. Je savais qu’il était fort, mais j’avais peur que ses épaules ne soient pas assez solides pour supporter tous ses problèmes. Son exclusion de l’équipe de lutte avait dû beaucoup l’affecter. La compétition avait joué un rôle central dans sa vie depuis notre séparation. Il aurait été exagéré de dire que je me réjouissais de son exclusion, car je savais que cela le rendait malheureux, mais j’étais tout de même content de pouvoir profiter de lui à nouveau.

Je me dégageai à contrecœur de l’étreinte de Brian et me glissai hors du lit. Il roula sur le côté avec un soupir et se blottit à l’endroit encore chaud que je venais de quitter. Il était tellement beau dans l’innocence du sommeil, le visage exempt de toute contrariété. Malgré tout ce qui s’était passé, tout ce qu'il m'avait fait endurer, je l'aimais maintenant plus que jamais.

Laissant mon chéri dormir à poings fermés, je quittai la chambre pour aller prendre ma douche. Il n’avait pas bougé quand je revins m’habiller, et il dormait toujours quand je descendis prendre mon petit-déjeuner. Je dis à Sharon et Kévin qu'il n’avait toujours pas refait surface, et ils ne semblèrent pas étonnés. Ray grommela que ce n’était pas juste que Brian fasse la grasse matinée pendant que les autres devaient aller en cours. Je lui proposai de lui mettre une telle raclée qu’il serait obligé de rester à la maison en compagnie de Brian. Il éclata de rire et me répondit qu’il y réfléchirait. De vrais gamins.

Aucun événement notable ne vint perturber la journée à l’école, à part que la moitié des élèves vint me demander comment s’était déroulée la bagarre.  Je leur répondis que je n'y avais pas assisté. Plusieurs d'entre eux me demandèrent si Brian avait été blessé. Je leur rapportai qu'à part quelques coupures au visage et des contusions, il n'avait pas d’autres séquelles physiques. La seule chose qui me gêna fut que les personnes les plus curieuses étaient des filles. Elles ne s’étaient pourtant jamais intéressées à lui auparavant, autant que je me souvienne. Et maintenant elles s’inquiétaient pour lui. Peut-être que je me faisais des films, mais je crois que certaines d’entre elles essayaient de me draguer, ce que je n’avais jamais remarqué avant. Evidemment, je fis semblant de les ignorer. J'avais déjà tout ce qu’il me fallait à la maison.

J'appris par la bande que Brent s’était fait une déchirure du tendon de l’épaule pendant la bagarre. Il avait été emmené aux urgences immédiatement après avoir vu l'infirmière scolaire. Les rumeurs disaient qu'il allait devoir être opéré, et que sa carrière de lutteur était terminée.

A la fin de la journée, je n’avais qu’une envie : rentrer à la maison. J’avais mal à la tête et j’étais de mauvaise humeur. Quand la sonnerie finale retentit, je dus me retenir de bousculer tout le monde pour être le premier à quitter la classe. Je sprintai dans les couloirs, slalomant entre les groupes. J'étais presque arrivé à mon casier quand j'entendis quelqu'un appeler mon nom derrière moi.  La personne était suffisamment loin pour que je puisse faire semblant de ne pas avoir entendu, et je poursuivis jusqu’à mon casier.

– Patterson!

Je me retournai lentement et fus submergé par une vague d’angoisse. Deux amis de Brent se tenaient devant moi, et leur mine patibulaire ne présageait rien de bon. C’étaient plutôt des gros bras que des intellectuels. Ils faisaient partie de l’équipe de football américain, tous les deux en tant qu’attaquants. Je n'étais pas petit, mais à côté d’eux, j’étais un nain.

– Qu'est ce que vous voulez, les gars ? Je dois y aller. Mon père m'attend.
– On a un message pour ton pédé d’ami. Dis-lui de surveiller ses arrières. Il va payer pour ce qu'il a fait à Brent. Tu peux lui dire que ses jours sont comptés.

Je les écoutai sans broncher, pendant que mon sang se figeait. Ce n'était pas juste des menaces en l'air. Je connaissais ces types. Ils étaient capables de mettre leurs plans à exécution. Puis je vis un éclair de métal dans la main d’un des garçons.

Je ne pus dissimuler le sentiment de terreur qui s’empara soudain de moi.

– Alors, tu flippes ? Tu as bien raison. Dis à ton petit ami que nous l'attraperons quand il s'y attendra le moins. Et si on te trouve sur notre chemin, on s'occupera de toi aussi.

Il pointa son index vers moi et l’appuya sur ma poitrine.

– Compris, tapette ?

Il me fixa des yeux pendant de longues secondes avant d’esquisser un sourire sadique. Puis les deux acolytes tournèrent les talons et s’éloignèrent en se tapant dans la main.

Je relâchai ma respiration, prenant conscience du fait que je l’avais bloquée involontairement. En voyant les amis de Brent disparaître dans la foule, je m'interrogeai sur leurs menaces. Ils avaient traité Brian de pédé et l'avaient appelé mon petit ami. Ils m’avaient aussi traité de tapette. Savaient-ils quelque chose ou avaient-ils utilisé ces mots par hasard ? Quoi qu’il en soit, ils voulaient lui faire la peau. Le couteau en attestait.

– Eh, Pete. Est-ce que ce type avait un couteau?

La présence de Ray me fit sursauter. Je ne l'avais pas vu s’approcher.

– Euh, oui, apparemment.
– Qu'est-ce qu'ils voulaient?
– Brian. Ils voulaient Brian. Ils veulent venger Brent.

Ma voix tremblait. J'étais encore sous le choc.

– Mince alors. Il faut en parler à M. Johnson. Il pourra peut-être les choper avec le couteau. Je vais le chercher !

Mon cerveau n'était toujours pas opérationnel. Je n'arrivais pas à croire ce qui venait de se passer. J'avais été menacé avec un couteau. J'avais la trouille.

Je pris mes affaires dans le casier, fermai la porte et me dirigeai d’un pas rapide vers le bureau du vice-principal. Je tombai sur Ray et M. Johnson à mi-chemin. Je devais être particulièrement pâle, car la première réaction de M. Johnson fut de me demander si j’avais été blessé.

– Non, ça va. Je suis juste un peu secoué, c'est tout.
– Ray m'a mis au courant pour l'arme. Nous sommes à leur recherche. La sécurité surveille toutes les sorties. Qu’est-ce qu’ils vous ont dit ?

Je lui fis un résumé de l’agression, passant sous silence les insinuations sur l'orientation sexuelle de Brian. Son visage s’assombrit au fil de la conversation.

– Nous allons tirer cette affaire au clair. Quelqu'un vient vous chercher ?
– Oui. Ray, est-ce tu sais qui vient nous chercher aujourd’hui ?
– Je crois que c'est Maman.
– Vous vivez dans la même maison, tous les deux ?
– Oui. Peter, Jason, Brian et moi.
– Vraiment? Je ne savais pas. Il faudra m’expliquer tout ça, et comment vos parents arrivent à supporter quatre sauvageons à la maison.
– Peut être plus tard.

La radio que M. Johnson portait à la ceinture se mit à grésiller.

– Sept pour VP.
– Allez-y, sept.
– Nous avons interpelé les suspects.
– Très bien. Amenez-les dans mon bureau, s'il vous plait.
– Dix, quatre, sept, fin de la recherche.
– Allons voir s’ils ont le couteau que vous avez vu.
– M. Johnson, je crois que notre mère nous attend. D’ailleurs, voici notre frère, Jason.
– Bonjour M. Johnson. Que se passe-t-il, les gars ? Maman est furax.
– Dites à Mme Patterson de garer sa voiture et de venir nous rejoindre dans mon bureau, Jason. Nous avons un vrai problème à régler, ici.
– Je t'accompagne, Jason.

Ray et Jason partirent chercher Sharon. J’entendis Ray raconter l’histoire à Jason sur le chemin.

– Allons-y, Peter. Retournons à mon bureau.

Joignant le geste à la parole, il partit d’un pas décidé.

– Ecoutez, M. Johnson, je n'ai pas vraiment envie de me retrouver en face de ces individus maintenant.

Il se retourna et me jeta un regard interrogateur.

– Ils viennent juste de menacer de mort mon meilleur ami.
– Venez quand même avec moi. Nous prendrons votre déposition dans une autre pièce.

Avec quelques secondes d’hésitation, je le suivis. Nous arrivâmes devant le bureau au moment où deux agents de sécurité faisaient entrer mes agresseurs. Frank, le plus grand, m’aperçut avant d'entrer. Il me fusilla du regard. Sharon arriva peu après, suivie de Jason et Ray. Je les attendis avant d’entrer dans le bureau du vice-principal.

– Pete, est-ce que ça va ? s’enquit Sharon.

Je secouai la tête. M. Johnson entra dans le bureau, me laissant seul avec ma famille.

– Qu'est-ce qui se passe?
– J’ai reçu des menaces destinées à Brian. Ils ont dit qu'ils allaient lui faire payer le fait d’avoir blessé Brent.
– Qu'est-ce qu'ils t’ont dit, exactement?

Je rapportai l’agression aussi fidèlement que possible, sachant que j’étais resté pétrifié pendant la majeure partie du temps. Jason et Ray marmonnèrent des propos à voix basse qui firent froncer les sourcils de Sharon. Une fois que j’eus terminé, elle garda le silence. Puis Ray compléta avec ce qu’il avait vu.

– Peter, est-ce que vous et Ray pourriez entrer, s'il vous plait ? La police va prendre votre déposition.

Nous nous entassâmes tous les quatre dans l’étroit bureau du conseiller d’éducation, où se trouvait déjà le policier chargé de prendre notre déposition. Je décrivis les faits dans le détail, sans chercher à cacher leur caractère homophobe. Quand j’y fis allusion, Ray devint si nerveux qu'il perdit son sang-froid. Il vida son sac en proférant un chapelet d’injures, jusqu’à ce que le policier, dont le teint s’était empourpré, lui demande de se tenir tranquille ou d'aller attendre son tour dans le couloir. Il fit un effort pour se calmer, mais on l’entendait toujours marmonner des insultes. Je n’aurais souhaité à personne d’être à la place d’un de ces homophobes que Ray avait en ligne de mire.

Je fus interrompu dans ma déposition par l’irruption d’un agent de sécurité dans le bureau. Il tenait un sac plastique dans lequel se trouvait le couteau que j'avais vu plus tôt dans l’après-midi, mais ce n'était pas tout. Dans un autre sac se trouvait un revolver. Je marquai une pause et le regardai déposer les objets sur le bureau devant nous. Nous échangeâmes un regard. Si nos adversaires étaient déterminés à ce point, je ne donnais pas cher de nos vies.

– J'aimerais parler avec Mme Patterson en privé, s’il vous plait, dit M. Johnson sur un ton solennel.

Sharon acquiesça et le suivit dans son bureau. Ils parlèrent pendant un long moment.


J’ouvris les yeux vers dix heures. La maison était vide, mais je trouvai un mot dans la cuisine. Je ne devais pas quitter la maison avant que Kévin ne passe me chercher pour mon rendez-vous de treize heures. Sharon avait fait appel à l’un de ses collègues, spécialiste des adolescents en difficulté, ce qui était mon cas. Kévin passerait me chercher à midi et quart, et me déposerait au cabinet du psychothérapeute. En attendant, je pris une longue douche, qui me fit du bien, mangeai, puis ouvris un livre pour la première fois depuis longtemps. Je perdis la notion du temps. Soudain, j’entendis la voix de Kévin.

– Brian ! On y va !
– J'arrive !

Je me ruai dans les escaliers et sortis devant la maison. Après tout ce qui s'était passé au cours des derniers mois, je n'avais plus envie de décevoir Kévin et Sharon. J'étais assez intelligent pour comprendre que mon avenir auprès de Pete dépendait de leur bon vouloir. S’ils ne voulaient plus de moi dans leur maison, tout était perdu. Et même s’ils acceptaient que je reste, je ne voulais pas m’enfermer dans mon mal-être. Ce n'était pas juste vis-à-vis de Pete.

Je sautai dans la voiture. Kévin prit le volant après avoir verrouillé la porte d’entrée.

– Comment te sens-tu aujourd'hui ?

Il démarra la voiture, recula dans la rue, et nous étions partis.

– Je me sens bien, je crois... Enfin, je ne sais pas vraiment.
– Qu'est-ce que tu ressens ?

Je pris une minute ou deux pour réfléchir avant de répondre. Il ne me pressa pas, me laissant le temps de trouver mes mots.

– Je ressens de la peur, de la honte et de la nervosité. De la culpabilité, aussi. Je ne sais pas trop.
– J’ai l’impression que tu arrives à bien cerner ce que tu ressens, Brian. Tu as déjà été chez un psy?

J’acquiesçai.

– Oui, une fois ou deux, mais ils ne m'écoutaient pas vraiment. C'était juste après ma séparation avec Pete. Ils insistaient sur le fait que j'étais trop jeune pour ressentir le véritable amour.

Il jura à voix basse avant de répondre :

– C'est dommage. J'espère que tu donneras sa chance à celui-ci. Il est vraiment bien.
– S'il m'écoute et qu’il me prend au sérieux, je pense qu'on pourra s'entendre.
– Ça fait plaisir à entendre. Surtout, n’hésite pas à nous dire si tu ne te sens pas à l’aise avec lui. C'est important.
– Promis.

Nous écoutâmes la radio pendant le reste du trajet. Le cabinet du psychothérapeute était situé à Portland, à environ une demi-heure de la maison. Nous prîmes la highway 26 à travers Sylvan pour rejoindre le centre-ville. Nous empruntâmes Market Street jusqu’au croisement avec la 6ème rue, qui nous emmena jusqu’à Duniway Park, où se trouvait l’hôpital universitaire.

Le docteur Wilkins était un homme mince qui mesurait un peu moins d’un mètre quatre-vingt. Sa barbe et sa moustache étaient couleur poivre et sel. Bien que sa ligne de front ait légèrement reculé, il conservait une abondante  chevelure, coiffée en arrière avec soin. Il n’était pas évident de lui donner un âge. Il aurait pu aussi bien avoir quarante que cinquante-cinq ans. Malgré sa chemise et sa cravate, il ne donnait pas l’impression de se prendre au sérieux. Son visage expressif s’illumina d’un sourire quand Kévin fit les présentations.

– Tu peux m’appeler Will, Brian. Je ne m’attache pas aux formalités, sauf pour mes étudiants.

Son sourire était contagieux, et je ne pus m'empêcher de le lui retourner.

– Je pars travailler, dit Kévin. Je serai de retour dans quelques heures, Brian. Si tu as fini avant, appelle-moi.
– D'accord. A tout à l'heure.
– Entre et assieds-toi, Brian. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.

Je le suivis dans son bureau. C'était une grande pièce d’environ cinquante mètre carrés. Des bibliothèques en bois vernis de couleur sombre, probablement du chêne, faisaient le tour de la pièce. Les étagères contenaient essentiellement des livres traitant de psychologie, mais certaines d’entre elles comportaient des bibelots ou des photos encadrées qu’éclairait un spot fixé sous l’étagère supérieure. Sur l’une des étagères était exposée une collection d'aigles, et sur une autre des photos de famille. Le docteur Wilkins avait un fils et une fille, qui devaient avoir à peu près mon âge. Sa femme avait un visage plutôt banal. Je remarquai également une collection de modèles réduits de bateaux, dont le plus ancien était un trois-mâts datant du XVIIIème siècle, et le plus récent un porte-avions moderne.

Son bureau se trouvait au fond de la pièce, devant une baie vitrée qui s’étendait du sol au plafond. Des stores en bois, de la même teinte que les bibliothèques, permettaient de filtrer les rayons du soleil. Il y avait deux fauteuils confortables devant le bureau. Au centre de la pièce trônait un grand tapis persan, sur lequel cinq fauteuils supplémentaires entouraient une table basse. La pièce n’était éclairée que par la lumière du jour, ce qui lui donnait un aspect sombre et froid.

– Assieds-toi où tu veux. Je prends mon bloc-notes et nous pouvons commencer.

Après un moment de réflexion, je choisis un fauteuil adossé à l’une des bibliothèques, d’où je pouvais voir toute la pièce. Le docteur Wilkins m'observa pendant que je prenais place et approuva mon choix d’un hochement de tête, peut-être inconscient. Il sortit un bloc de papier et un porte-mine de son bureau, puis s’assit à son tour, dos à la fenêtre.

– Bien, commençons par ta fiche de renseignements, comme ça, ce sera fait. Je vais te lire la fiche, et tu me corriges si je fais une erreur, d’accord ?

J’acquiesçai.

– Parfait. Tu as quinze ans et tu en auras seize le 22 septembre de l'année prochaine. Tu mesures un mètre soixante-cinq pour cinquante-sept kilos...
– Je n’en pèse plus que cinquante maintenant.
– Ah.

Il me jeta un coup d’œil inquiet.

– Tu es trop maigre, Brian. Tu devrais faire au moins cinquante-cinq kilos.
– Je sais, mais je faisais de la lutte.
– Ce n'est pas sain. Nous en reparlerons plus tard. Bon, où en est-ce que j’en étais ? Ah oui. Tu es en seconde, tu as d'excellentes notes et tu fais beaucoup de sport. Football américain, lutte, athlétisme. Tout est vrai jusqu’ici ?
– Oui, à part mon poids.
– D'accord. Maintenant, je vais te poser quelques questions sur ton entourage proche. Sharon m'a dit que tu avais été en conflit avec tes parents, il y a quelques mois. Est-ce que tu veux en parler?

Ma pudeur et ma réticence habituelle à aborder les sujets familiaux commencèrent à se manifester. Je n'arrivais pas à me faire à l'idée de parler à un psy. Mais j'avais promis de lui donner une chance.

– Je ne sais pas par où commencer, dis-je en haussant les épaules. Pete était – est – mon meilleur ami et nous avons été brutalement séparés. Mes parents étaient au courant, mais ils ne m'ont rien dit, et je n'ai même pas pu lui dire au-revoir. Trois ans plus tard, j'ai découvert qu'ils avaient caché les lettres qu'il m'envoyait, en espérant que je n'apprendrais pas qu'il...

Je me tus.

– Qu’ils n’apprendraient pas quoi, Brian ?

Je laissai le silence se prolonger quelques instants, le regard fixé sur mes pieds qui se tortillaient nerveusement. Le docteur Wilkins attendit patiemment, sans me quitter des yeux.

– Ils espéraient que je n'apprendrais pas qu'il était en vie et qu'il m'aimait toujours.
– Pourquoi est-ce que tes parents t’ont caché les lettres de ton meilleur ami ? Quelle était leur motivation, leur justification ?

Je le fixai droit dans les yeux. Je répondis en soutenant son regard, observant sa réaction.

– Mes parents ne voulaient pas que je sache qu'il m'écrivait, car j'étais amoureux de lui, et ils le savaient. Je suis gay. Ils espéraient que je changerais si Pete ne faisait plus partie de ma vie.
– Et c'est pour cette raison que tu es entré en conflit avec tes parents ? Parce que tes parents savaient que tu l'aimais et qu'ils avaient peur que tu sois gay ?
– Je leur avais dit peu avant son départ.
– Est-ce que Pete est au courant ?
– Au courant de quoi ? Que je l'aime toujours?

Il acquiesça.

– C'est pour ça que je suis ici. Je me suis mal conduit envers lui, et j’ai besoin d'aide pour me sortir de ce merdier – pardon, de ce pétrin. J'ai besoin d'aide pour mettre mon passé derrière moi et sauver mon couple. Ce n’est que comme ça que je pourrai être heureux.
– Tu n'as pas vraiment répondu à ma question.
– Est ce qu'il est au courant que je suis gay et que je l'aime ? Il sait que je suis gay, oui, mais je ne lui ai pas vraiment montré que je l'aimais. J’étais trop absorbé par mes problèmes, dis-je, non sans amertume.
– Est-ce que tu l’aimes ? Est ce qu'il sait que tu l'aimes ?
– Bien sûr que je l’aime. Je pense que je serais mort aujourd’hui s'il n'avait pas été là pour moi. Et je ne suis pas sûr qu’il sache que je l’aime.
– Alors nous travaillerons là-dessus, Brian. Je vais t’aider à affronter ce que tu as enfoui au fond de toi, en commençant par le traumatisme de ta séparation brutale avec Pete. Tu n’as pas besoin de me dire que tu as subi de la maltraitance psychique et émotionnelle. C’est une situation que je vois souvent, et les symptômes ne sont que trop évidents. Je t'expliquerai au fur et à mesure de nos consultations. Si tu as des questions, n’hésite pas à les poser. Tu avanceras d’autant mieux que tu comprendras le processus. D'accord ?
– D'accord. Docteur Wilkins...
– Will.

Je hochai la tête et restai silencieux quelques instants. Il attendit patiemment pendant que je remettais de l'ordre dans mes idées.

– Will, j'aime tellement Pete que parfois, je ne sais plus quoi faire. Je l'ai aimé dès notre première rencontre, mais j’étais incapable de mettre un mot dessus tant que je n’avais pas accepté le fait que j'étais probablement gay.
– Comment est-ce que tu vis le fait d’être gay ?

La question me prit au dépourvu. D’habitude, les gens se préoccupaient davantage de savoir comment mon homosexualité pouvait affecter leur vie. Will sentit mon hésitation et précisa sa question.

– Est-ce que tu ressens de la colère ? De la tristesse ? De la fierté ?
– Rien de tout ça. Je suis gay. C'est un fait, et je ne peux rien y changer, répondis-je en haussant les épaules. J’essaie d’assumer. Bien sûr, parfois je préférerais être hétéro à cause de tous les emmerd.., euh, de toutes les complications...

Will esquissa un sourire.

– ... auxquelles les gays sont confrontés et qu’ils doivent supporter, mais si en devenant hétéro, je perdais Pete, alors je ne changerais rien, même si j’avais le choix.
– As-tu déjà été pris pour cible parce que tu étais gay ?
– Non. Personne n'est au courant en dehors de ma famille proche – ce qui comprend celle de Pete – et de mes deux meilleurs amis.
– Alors, tu n'as jamais été confronté à ces emmerdements, dit-il en souriant de nouveau, auxquels les gays doivent faire face.
– Non, en effet. Mais je n’y tiens pas non plus.
– Non, bien sûr que non. Comment qualifierais-tu la relation que tu entretiens avec tes parents?
– Tendue, c'est le terme qui colle le mieux. Ils avaient prévu de quitter la Californie pour emménager ici, mais ma grand-mère vient d'avoir une crise cardiaque, et maintenant ils doivent s’occuper d’elle. Ils ne déménagent plus ici, et je ne suis pas certain qu'ils me m’autoriseront à rester en Oregon, alors que j’y tiens plus que tout au monde. J'ai besoin de Pete. C'est aussi simple que ça.
– Parlons de tout ce qui c'est passé avant que tu rencontres Pete.

Et c’est ainsi que je commençai le récit de ma vie. Je finis par apprécier Will en tant que psy.  C'était agréable de discuter avec lui, et il avait une bonne écoute. Il m’entraîna dans de profondes discussions au sujet de mon enfance, et de la façon dont je l'avais vécue. Il était attentif à tout ce que je lui disais et me relançait parfois quand il souhaitait que je développe davantage. A la fin de notre premier rendez-vous, après avoir séché mes larmes, j'étais convaincu que je pouvais lui faire confiance et que je reviendrais.

– C'est bon pour aujourd'hui, Brian. J'aimerais que tu réfléchisses à ce que tu viens de me raconter. Tu m’as dis que tu aimais bien écrire ? Alors couche ton histoire sur le papier. Tu peux en faire un roman ou bien écrire comme ça te vient. Tu peux décrire tes émotions aussi. Ne te censure pas. Tu as même le droit de pleurer en écrivant. Tu sais que c'est tout à fait normal de pleurer, n'est ce pas ? demanda-t-il en se penchant vers moi. Ça arrive à tout le monde, à n'importe quel moment de la vie, et surtout quand on doit cicatriser de vieilles blessures. C’est parfois embarrassant, mais tu n’as pas à te sentir gêné devant moi. J'ai versé mon lot de larmes, moi aussi. Compris ?
– Oui.
– Bien. On se revoit la semaine prochaine. J'appellerai Sharon pour convenir du rendez-vous.

Il se leva de son fauteuil, et je le suivis jusqu'à la salle d'attente où Kévin venait de s’asseoir.

– Tout s’est bien passé ?
– Très bien, Kévin. J'aimerais revoir Brian la semaine prochaine. J'appellerai Sharon pour fixer le rendez-vous.
– D’accord. Allez, Brian. Il est temps de rentrer. Merci, Will.
– Pas de problème, Kévin.  Prenez soin de vous. A bientôt, Brian. Ravi d’avoir fait ta connaissance.
– Au revoir, Will. A la semaine prochaine.

Kévin me conduisit jusqu'à la voiture et me questionna sur la séance avec Will pendant tout le trajet du retour. Et avec les embouteillages sur la highway 26, ce fut un long voyage. Je répondis à ses questions sans entrer dans les détails. Je n'étais même pas sûr de les comprendre moi-même. Quand Kévin sentait que je n’étais pas à l’aise, il changeait de sujet.

Nous arrivâmes à la maison vers seize heures trente. Tout le monde était assis dans le salon quand nous franchîmes la porte de la maison. Je devinai tout de suite qu'ils discutaient de quelque chose d'important et qu’ils ne souhaitaient pas m’inclure dans la conversation. Dès que je pénétrai dans la pièce, ils se levèrent d’un bond et se dispersèrent.

Pete cachait une expression inquiète derrière son sourire quand il vint m’embrasser. Je le regardai au fond des yeux.

– Pete, qu'est-ce qui ne va pas ?

Il me serra contre lui. Je le pris par la taille et posai la tête sur son épaule, m’abandonnant à la chaleur de son étreinte et écoutant les battements de son cœur. Il n’y avait rien de tel pour me réconforter.

– Assieds-toi, Brian. Toi aussi, Kévin. Une discussion familiale s’impose.

Je m'assis à côté de Pete, lui tenant la main. Je jetai un coup d’œil autour de la pièce. Kévin semblait aussi inquiet que moi. Jason était visiblement nerveux, et Ray se rongeait les ongles.

– Qu'est-ce qui se passe, Pete ?
– Je vais te dire ce qui se passe, commença Ray, une bande de fils de…
– Raymond ! Dernier avertissement. Encore une fois et tu seras privé de sortie.

Sharon avait visiblement déjà repris Ray plusieurs fois à cause de son langage fleuri. Ce qui signifiait que quelque chose de grave était arrivé.

– Des... bâtards t’ont menacé de mort aujourd'hui, Brian. Voilà ce qui se passe !
– Je t’avais prévenu, Ray. Tu seras privé de sortie pendant deux semaines.
– Menacé de mort ? Qui ? Enfin, comment ? Je ne comprends pas.

Pete prit la parole, devançant Ray.

– Tu te rappelles de Frank et Lance ? Les potes de Brent ? Ils sont venus me voir pour me dire qu'ils allaient te faire la peau à cause de ta bagarre avec Brent. Et pour bien se faire comprendre, ils m’ont agité un couteau sous le nez.
– COMMENT ?
– Ray a tout vu et a prévenu M. Johnson. Les agents de sécurité les ont attrapés avant qu'ils sortent du lycée. Et quand ils ont fouillé leurs casiers, ils ont trouvé le couteau et un revolver.

Je me laissai retomber lourdement en arrière dans le canapé.

– Oh, mon Dieu ! Dans quelle galère est-ce que je vous ai embarqués ? Pete, Ray, je suis vraiment désolé.
– La police les a arrêtés. Je n'en sais pas plus. M. Johnson a dit qu'il allait réunir toute l'école demain.
– Il a également dit qu'il ferait fouiller tous les casiers de l'école et qu’il allait recruter de nouveaux agents de sécurité, interrompit Sharon. Il a promis que vous seriez en sécurité.

Je n'arrivais pas à croire les proportions que prenait la situation. Brent et moi n’étions pas amis, c’était une évidence. Mais ce n’était pas une raison pour me tuer.

– Qu'est ce que je dois faire ?

Pete s’éclaircit la gorge.

– Ce n'est pas tout. Leurs menaces étaient explicitement homophobes. Ils ont utilisé les injures habituelles, et ensuite ils ont laissé entendre que nous étions ensemble.

Personne ne parla pendant au moins une minute. Ce fut Kévin qui brisa le silence.

– Ecoutez, les garçons, je ne sais pas comment c'est arrivé. Je sais que vous êtes vigilants, mais il semblerait que votre vie privée ne le soit plus vraiment. Nous allons prendre des mesures pour assurer votre sécurité. Nous ne savons pas s’il y a d'autres personnes à l'extérieur qui en ont après vous, donc nous n’allons pas prendre de risques.
– C'est vrai. Attends un peu qu’ils viennent me voir. Je vais les démonter.
– Raymond, c'est ce genre de comportement qui attire les ennuis. C’est notre défense que nous devons organiser.

Jason nous interrompit en toussant légèrement.

– Qu'est-ce qu'on va faire, Papa ? La seule façon d’être protégés en permanence serait d’avoir des gardes du corps.
– Eh bien, nous avons deux semaines pour trouver quelque chose. Pendant ce temps, vous n’irez pas au lycée, malgré les promesses de M. Johnson. Laissons le temps à la police de faire son travail. Pete, je vais m’arranger avec M. Johnson pour que tu récupères les devoirs de la semaine prochaine pour tout le monde, et vous les ferez à la maison.

Etonnamment, personne n’y trouva rien à redire.

– Autre chose?
– Nous devrions mettre Jared au courant, dit Jason. Il est tout autant en danger que nous.
– Je vais l'appeler, dit Ray. Je dois lui parler de toute façon, j'étais censé dormir chez lui ce soir.
– Tu peux quand même y aller, Ray, mais ta mère et moi voulons parler à ses parents. Et tu es toujours privé de sortie à partir de demain.
– Vous me déposerez, alors ?

Kévin acquiesça.

– Je dirai à Jared de prévenir ses parents.

Ray se leva et partit téléphoner à Jared dans la cuisine.

– Bien. Ecoutez, les garçons, je ne plaisante plus. Je sais que vous faites attention, mais je veux que vous soyez encore plus vigilants.

Kévin prit la main de Sharon et la conduisit à l'étage. Je restai assis quelques instants, encore un peu sonné par la nouvelle tournure des événements. Pete essayait de me détendre en me massant la nuque et les épaules.

– Vous tenez le coup, les gars ? demanda Jason.
– Je suis juste inquiet pour Brian. Ces gars lui voulaient du mal, et je ne veux pas le perdre.
– Il ne va rien m’arriver. Mais je n'arrive toujours pas à comprendre comment ils ont pu penser à faire quelque chose comme ça. Je ne leur ai rien fait, pourtant. Brent et moi étions en désaccord, et nous nous sommes battus pour ça. Je suis même désolé qu’il se soit blessé à l’épaule. Mais de là à vouloir me tuer ?

Je secouai la tête pour marquer mon incompréhension. Certaines personnes n’arrivaient pas à assumer leurs responsabilités. Brent était autant à blâmer que moi pour ses blessures. Force était de constater que Frank et son acolyte Lance ne le voyaient pas de cette façon.

J’étais également troublé par leurs allusions au fait que Pete et moi étions gays. Je me creusai la tête en essayant de comprendre comment nous aurions pu nous trahir, mais je ne me souvenais d’aucune maladresse de notre part. Je me serrai de nouveau contre Pete, cherchant son réconfort. Il m'entoura de ses bras protecteurs.

Jason m'avait observé pendant toute la discussion, notant mes réactions au fur et à mesure. Il deviendrait sans doute un très bon psy, un jour.

– Comment te sens-tu ?

Je levai les yeux vers Pete, et un petit sourire se dessina sur mon visage.

– Je me sens bien, pourquoi ?

Jason sourit à son tour.

– Et toi, frérot ?
– Ça va aller. J'ai juste un peu de mal à me remettre de mes émotions.

Pete me serra plus fort en répondant à Jason. Je tapotai son bras pour le réconforter.

– N’oubliez pas que je suis là, si vous voulez parler.
– Merci, frérot.
– Oui, merci Jason.
– De rien, les gars.

Pete et moi suivîmes Jason des yeux pendant qu’il montait dans sa chambre. Il croisa Sharon et Kévin dans les escaliers. Ils s’étaient changés pour mettre une tenue plus formelle.

– Ray ! On y va !
– J’arrive. Je dois juste prendre mes affaires.
– Dépêche-toi !
– D’accord ! Il n’y a pas le feu, quand même !
– Nous partons dans deux minutes, avec ou sans toi.

Nous entendîmes Ray raccrocher brutalement le téléphone.

– Pourquoi est-ce que vous êtes si pressés ?
– Nous avons faim, et je suis certaine que tes frères aussi.
– Ils peuvent se débrouiller.
– Pas depuis que tu as fait un raid sur le frigo. Il est quasiment vide.
– Très drôle, Pete. Laissez-moi prendre mes affaires. Il m'a invité à passer le week-end chez lui, c'est d'accord ?
– Non, tu es puni.
– Ah, zut alors !

Quelques instants plus tard, ils étaient partis. Pete et moi nous étirâmes en nous levant.

– J'ai besoin d'une douche, dit-il.
– Bonne idée, dis-je avec un sourire.

Il essaya de s'éloigner de moi, mais je m’accrochai à lui. Il inclina la tête vers moi, et son regard croisa le mien.

– Pete ?
– Oui ?
– Tu sais que je t'aime, pas vrai ?

Son visage s'adoucit, et il me serra plus fort contre lui.

– Je sais. Moi aussi, je t'aime.

Nous restâmes enlacés quelques instants et nous séparâmes à contrecœur pour monter les escaliers jusqu'à notre chambre. Après avoir retiré nos habits, ne gardant que nos sous-vêtements, nous partîmes main dans la main vers la salle de bains. Jason sortit la tête de sa chambre juste à temps pour nous voir entrer ensemble.

– Faites attention de ne pas glisser, les gars. Je ne tiens pas à vous amener aux urgences.

Je lui adressai un sourire ironique et refermai la porte derrière moi.

Pete fit couler l'eau à la bonne température et nous entrâmes sous la douche. Nous restâmes silencieux pendant que la vapeur d’eau brûlante nous enveloppait. Je levai les yeux vers Pete, réalisant soudain que je n’avais plus besoin de les lever aussi haut que quelques mois auparavant. Je laissai mes mains glisser dans son dos jusqu'à ses fesses. Il fit un pas en arrière et m'observa des pieds à la tête. Je tournai sur moi-même lentement, les bras au-dessus de la tête.

– Verdict ?

Son baiser ne laissa aucun doute sur le résultat, et nous ne glissâmes pas une seule fois.


Kévin et Sharon appelèrent vers dix-huit heures pour nous prévenir qu'ils dînaient avec les parents de Jared. Ils nous laissaient nous débrouiller pour le repas. Jason et Pete préparèrent une salade de tacos qui me rassasia. Après le repas, nous nous installâmes sur le canapé pour regarder un film. Je ne me souviens plus du titre, mais Mel Gibson était l’acteur principal.

A la fin du film, Pete bâilla bruyamment.

– Je suis claqué, les gars. Je vais monter me coucher. Tu viens?
– Oui, mais je ne me sens pas trop fatigué. J'ai un peu de travail à faire pour Will.

Je me levai et le suivis dans l’escalier.

– J’ai parlé de notre relation pendant ma séance avec Will aujourd’hui, Pete. Ça ne te dérange pas ? Que je parle de toi à un inconnu ?
– Si ca peut t'aider, dis-lui tout ce que tu veux, Bri. Ne t'inquiète pas pour moi.
– Tout justement, je ne veux rien faire sans que tu sois d’accord.
– Encore une fois, ça ne me dérange pas que tu lui parles de notre vie privée. Ce n'est pas comme s’il allait la répéter à tout le monde. Nous pouvons lui faire confiance.
– Tu es sûr?
– Yep.
– Alors d’accord.
– En quoi consiste le travail que tu dois faire ?
– Je dois écrire sur tout ce qui s'est passé avant et après notre rencontre. Il veut que je décrive tout ce que j’ai ressenti et ce que j’en ai pensé.
– Il t’a demandé d’écrire ? Je vois. J'ai essayé aussi. Mais je ne suis pas très doué. Moins que toi, en tout cas.
– Mouais, on verra. Peut être que tu pourras m'aider.
– Je ne suis pas sûr de t’être très utile, mais je ferai de mon mieux.
– D’accord, merci. Va te changer, je vais allumer l'ordinateur.

Pete alla se coucher dès qu’il revint dans la chambre. Il me tournait le dos et s’endormit presque aussitôt.  Je le contemplai pendant un long moment, perdu dans mes pensées. Il était simplement beau, et une aura de paix rayonnait autour de lui. Je ne savais pas où commencer mon récit. A ma première rencontre avec Pete ? Avant? Je me dis qu’une description des faits antérieurs permettrait de planter le décor. Je commençai à écrire.

« Pete avait un an de plus que moi, mais nous étions dans la même classe. De taille et de carrure moyennes, il était plutôt mignon. Toutes les filles l’avaient déjà remarqué. Il était plus populaire que moi, comme il jouait dans l’équipe de football américain et dans l’équipe de basket du collège. »


Je me levai tôt en dépit de l’heure tardive à laquelle je m’étais endormi. Je crois que j’avais arrêté d'écrire vers deux heures du matin, puis j'avais eu du mal à trouver le sommeil. Mon regard se posa sur le réveil, qui indiquait six heures et demie. Je me sentais plutôt en forme malgré ma courte nuit. Pete dormait encore, le dos contre moi, ronflant doucement. Je me glissai hors du lit, enfilai un survêtement et descendis.

Le samedi matin, c’était grasse matinée chez les Patterson. Tout le monde en profitait pour rattraper ses heures de sommeil. Je supposais que Kévin et Sharon se consacraient à des activités plus... agréables, disons. Pete et moi n’avions pas partagé ce plaisir jusqu’à présent, parce que j’avais été un sale égoïste. Je pris la résolution de ne plus gaspiller ces précieux samedis matins en faisant bande à part. Il y avait des tas de choses que je pouvais faire avec Pete et le reste de sa famille qui me permettraient de garder la forme tout en passant du temps avec eux.

Plus j'y pensais, plus je me rendais compte que ma vie était ici, et non chez mes parents. Mais ils devaient s'occuper de mes grands-parents maintenant, et voulaient que je rentre les aider. La dernière fois que j'avais eu ma mère au téléphone, il n’était plus question de déménager dans l’Oregon, malgré le poste intéressant que mon père y avait trouvé. Je soupirai. Il fallait que je trouve un moyen de rester à Portland.

Je m'assis sur un tabouret dans la cuisine. J'étais sûr que mon père serait debout, donc je décrochai le téléphone et composai le numéro. J'avais raison, mon père était en train de prendre son petit déjeuner. J’entendais le bruit des assiettes en fond sonore.

– Allo ?
– Salut Papa. C'est Brian.
– Salut, fils. Comment vas-tu ? Tu es déjà debout ?
– Je vais bien, je crois. Je n’arrivais pas à dormir.
– Pourquoi pas ?
– Je suis inquiet, Papa.

J’allai directement à l’essentiel. Je n'avais pas l’habitude de tourner autour du pot.

– Je sais que vous vous occupez de Papy et Mamie depuis la crise cardiaque, et je sais que vous voulez que je rentre à la maison pour vous aider. Mais c’est au-dessus de mes forces, Papa. Je ne supporterais pas de les voir dans cet état.

Les larmes me montèrent aux yeux et ma voix se brisa.

– Je veux rester ici, Papa !
– Je sais, Brian. Je sais. J'ai reçu un appel de M. Patterson hier soir. Il m'a raconté ce qui s'était passé au lycée et m'a dit ce qu'il pensait être le mieux pour toi. Sais-tu ce qu'il m’a dit ?

Je pleurais à chaudes larmes maintenant, et la tessiture de ma voix oscillait entre le ténor et le soprano.

– Il a probablement dit que je mettais sa famille en danger et qu'il serait mieux pour tout le monde que je rentre ?

Il y eut un silence à l'autre bout du fil.

– Brian, crois-tu vraiment que Kévin aurait dit ça ?
– Qu’est-ce qu’il pourrait dire d'autre ? C'est la vérité. C’est après moi que ces gars en ont, pas après eux.
– Brian, la dernière chose qu’il souhaite serait que tu rentres à la maison.

Je restai bouche bée, incapable de croire ce que disait mon père. Il poursuivit néanmoins.

– Je vais te répéter d’autres choses qu’il m’a dites. Corrige-moi si c’est faux. D’abord, tu as fait une percée sur le plan émotionnel.
– Oui, on pourrait dire ça.
– Il m’a dit que tu voyais un psy.
– J'en ai vu un hier.
– Il m’a dit que tu avais été exclu de l'équipe de lutte après une bagarre.
– Oui, murmurai-je, certain de m’attirer les foudres de mon père.
– Brian, je n’ai pas d’autre choix que d’endosser mon rôle de père. Ce n’était pas très malin de te battre et de te faire renvoyer de l’équipe, mais à l’échelle de tout ce qui se passe dans le monde, ce n’est finalement pas si grave. Je suis davantage préoccupé par les menaces qui pèsent sur toi, mais nous faisons confiance à Kévin et Sharon pour ta sécurité.
– Mais j'ai peut être perdu ma bourse d'étude de lutte !
– Tu n’auras pas besoin d’une bourse sportive si tu maintiens tes résultats. Ne t'inquiète pas, Brian. Nous trouverons un moyen de payer tes études supérieures.

Mon père marqua une nouvelle pause.

– Kévin m’a également confié que tout n’allait pas pour le mieux entre toi et Pete, dernièrement. Que tu avais repris le même rythme qu’à l’époque où tu vivais ici, quand nous te… cachions les lettres de Pete.
– Oui.
– Maintenant que tu passes moins de temps sur les tapis, je te conseille d’accorder plus de temps à Pete et d’essayer de recoller les morceaux. Ne le prends pas pour acquis. Crois-moi, c’est comme ça que je me suis comporté avec ta mère pendant trop longtemps, et j’ai failli la perdre pour cette raison.
– Je vais essayer.

Je devais vraiment être long à la détente, ce matin-là.

– Papa, est-ce que tu es en train de me dire que je peux rester ici ? Que je ne suis pas obligé de rentrer à la maison ?
– Brian, autant cela nous attriste, autant nous devons admettre que nous ne sommes pas en mesure de te donner toute l’affection et le soutien dont tu as besoin, alors que Kévin et Sharon font des merveilles. Nous t'aimons, et tu nous manques, mais nous voulons le meilleur pour toi.

J'entendis ma mère au loin.

– Ben ! J’ai besoin de toi !
– Je dois y aller, fiston. Je te rappellerai pour discuter plus longuement.
– D’accord, Papa. Merci.
– Bye.

Je fouillai dans les placards de la cuisine pour trouver de quoi préparer un petit déjeuner. Je n'étais pas franchement doué pour la cuisine, donc je me contentai de quelques toasts et d'un gros bol de corn-flakes. J’avais presque fini quand Jason me rejoignit. Il était plutôt présentable pour quelqu’un qui venait d’émerger.

– Salut, Brian. Pourquoi est-ce que tu t’es levé aussi tôt ?
– Je ne pouvais pas dormir. J'ai appelé mon père.
– Ah bon ? Qu'est-ce que vous vous êtes dit ?
– Est-ce que tu savais que ton père avait appelé le mien hier soir ?
– Je ne suis pas surpris, après tout ce qui s'est passé. Laisse-moi deviner. Ils ont évoqué la possibilité que tu rentres chez toi, et ils ont finalement décidé que tu resterais chez nous.
– Comment le sais-tu ?

Jason esquissa un sourire.

– Papa et Maman en ont longuement discuté jeudi dernier, et encore hier soir après que Pete et toi soyez montés vous coucher. Je suis étonné que tu n’aies rien entendu ; je sais que tu étais encore debout. Je me suis senti obligé de me mêler à la conversation. Ils disaient qu'ils allaient appeler tes parents et...

Le téléphone sonna. Jason décrocha avant la deuxième sonnerie.

– Allo ? Ah, bonjour M. Kellam. Oui, il est juste là. Attendez une seconde.

Il me tendit le téléphone.

– Oui Papa, que se passe-t-il ?

Il ne répondit pas de suite, prenant le temps de choisir ses mots.

– Brian, j'ai une mauvaise nouvelle. Ta grand-mère a eu une nouvelle attaque pendant la nuit. Nous n'avons rien entendu, et ton grand-père dormait. Elle est partie dans son sommeil. Elle n’a pas souffert.
– Ah. Je vois. J’aurais dû m’y préparer. Merci de m'avoir prévenu, Papa.
– Tu es sûr que ça va, Brian ?
– Oui, ça va très bien, Papa. Ce n'est pas franchement une surprise.
– Brian... Nous te tiendrons au courant pour l'enterrement. Est-ce que tu peux me repasser Jason ? Je t'aime, mon fils.
– Je t'aime aussi, Papa. Je te passe Jason.

Je lui passai le combiné et retournai à mon petit déjeuner. Je n'entendis pas ce que Jason dit à mon père. Quand il raccrocha, il s'assit à côté de moi.

– Brian, parle-moi. Dis-moi à quoi tu penses.
– Je pense que j'ai faim. Comme je le disais à mon père, ce n'est pas une surprise. Je savais que ça allait arriver.
– C’était ta grand-mère, Brian. Tu as le droit d’être triste.
– Je sais, et je le suis. Arrête de me psychanalyser, Jason. Je vais très bien.

Il me jeta un regard sceptique.

– Si tu as besoin de moi, viens me voir. Je ne bouge pas de la maison aujourd’hui.
– D'accord, c’est promis.

Je terminai mon petit-déjeuner pendant que Jason se faisait cuire des œufs. Je me levai pour débarrasser mes plats dans le lave-vaisselle. Mamie était morte. Partie. Je ne la verrais jamais plus vivante. Mes mains se mirent à trembler quand je posai mon bol dans le tiroir du bas. Quand je pris mon verre pour le mettre dans la machine, je me rendis compte que j'étais incapable de le tenir. Il glissa de mes mains et explosa par terre en mille morceaux. J'entendis un cri, mais les mots ne parvinrent pas jusqu’à mon cerveau. Je m’effondrai lourdement sur le sol de la cuisine, vaguement conscient de la douleur des éclats de verre qui pénétraient ma chair.

Un hurlement strident retentit dans la cuisine. Je sentis Jason me ramasser à bras-le-corps. Puis il m'emmena dans le salon et s'effondra sur le canapé, me serrant contre lui pendant que je pleurais.

– Maman ! Papa ! J'ai besoin d'aide en bas !


 Je fus le premier à descendre.

– Que s’est-il passé ?
– Mets tes chaussures et va chercher la trousse de premiers secours dans la salle de bains, vite ! Je t'expliquerai plus tard !

J’aperçus des traces rouges sur le survêtement de Brian et des taches sur la moquette. Je remontai mettre un pantalon et des chaussures, avant de foncer vers la salle de bains.

Sharon descendit à son tour.

– Jason, tu peux m’expliquer ce qui se passe ? Tu saignes !
– Je sais, Maman. Brian aussi. Il a fait tomber un verre dans la cuisine et s'est assis dessus. J'ai quelques éclats de verre dans les pieds aussi.

Je descendis les escaliers quatre à quatre avec la trousse de premiers secours et la tendis à Sharon. Brian avait du sang à l'arrière de son survêtement et je voyais de gros morceaux de verre plantés dans ses fesses. Jason saignait des pieds, mais je ne voyais rien dépasser, ce qui voulait dire qu’il avait dû marcher sur des petits éclats.

Sharon sortit de la gaze et une pince à épiler, qu'elle utilisa pour retirer les éclats des pieds de Jason. Il tressaillit à plusieurs reprises, mais resta stoïque pendant toute l’opération, caressant la tête de Brian. Ses pieds saignaient abondamment quand Sharon eut terminé. Kévin était parti appeler une ambulance dans la cuisine pendant que Sharon prodiguait les premiers soins. Ray était descendu voir ce qui se passait, mais Joanne dormait toujours.

– Ray, va t'habiller, mets tes chaussures et donne un coup de balai dans la cuisine. Fais bien attention à ne rien oublier. Après, tu passeras la serpillère trois ou quatre fois par précaution.
– Oui, Maman.
– Je vais attendre que les infirmiers retirent les morceaux de verre des blessures de Brian. J’ai peur qu’une artère soit sectionnée. Ils jetteront un coup d’œil à Jason aussi. Je ne suis pas sûre d’avoir tout enlevé.

Kévin approuva de la tête.

– L'ambulance est en chemin. Donne-moi Brian, Jason.
– Je m’en occupe, Papa. D’ailleurs, c’est mieux ne pas le déplacer, au cas où il aurait une hémorragie.
– Tu as raison, Jason.

Brian était toujours agrippé à Jason. Ses pleurs s'étaient estompés, mais pas ses larmes. Je m'assis à côté d'eux, là où je pouvais voir le visage de Brian.

– Bon, maintenant, est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ce qui s’est passé ?

C’est Jason qui répondit.

– Brian a laissé tombé un verre, a perdu l’équilibre et a atterri par terre. Quand je l'ai aidé à se relever, j'ai marché sur le verre à mon tour.
– Pourquoi est-ce que tu ne l'as pas laissé par terre pour aller chercher de l'aide ?
– Parce que je ne pouvais pas le laisser tout seul, répondit Jason avec véhémence, comme s’il cherchait à se défendre.
– Pourquoi pas ? Quel était le problème ?
– Il ne pouvait pas me laisser, intervint Brian, d’une voix effacée et plaintive. J'avais besoin de lui.

Tous les regards convergèrent vers lui, mais le sien resta fixé sur mon visage, des larmes dans ses beaux yeux.

– Ma grand-mère est morte la nuit dernière.
– Oh Bri, je suis tellement désolé.

Je serrai Brian et Jason très fort, Brian à cause de sa douleur et Jason pour la solidarité dont il avait fait preuve à l’égard de Brian.

Kévin s'éclaircit la gorge. Un silence embarrassé s'était installé après que Brian ait annoncé la mauvaise nouvelle. Sharon passa un bras autour de la taille de Kévin et posa sa tête sur son épaule en nous regardant. Ses yeux reflétaient l’empathie qu’elle ressentait pour nous.

Nous entendîmes la sirène de l’ambulance au loin, qui se rapprochait de seconde en seconde. Elle s’interrompit au bout de la rue. Kévin ouvrit la porte et fit signe aux infirmiers d’entrer. Ils nous demandèrent de quitter la pièce et se mirent au travail. Les pieds de Jason ne présentaient pas de blessures profondes, selon eux, et il aurait juste besoin d’un nettoyage en profondeur aux urgences. Puis ils se tournèrent vers Brian.

Ils découpèrent son pantalon de survêtement, comme il y avait plusieurs gros morceaux de verre à retirer. Une fois que ses habits furent retirés, les éclats de verre apparurent nettement. Je comptai au moins cinq larges morceaux et plusieurs autres plus petits. Les infirmiers les retirèrent un par un, désinfectant les plaies avec du sérum physiologique, avant d’appliquer des compresses de gaze. Les médecins termineraient les soins à l’hôpital.

Jason fut transporté dans le minivan, et il fut convenu que Kévin l'emmènerait aux urgences pendant que l’ambulance suivrait avec Brian. Son état n’était pas préoccupant, mais il serait plus facile de le transporter sur une civière.

– Je veux que Pete vienne avec moi.

Les infirmiers échangèrent un regard, puis se tournèrent vers Kévin, qui me fit signe de l’accompagner. S’ils trouvèrent la requête de Brian étrange, ils n'en laissèrent rien paraître.

Ce serait trop long de vous raconter en détail notre visite aux urgences. Sachez simplement que nous attendîmes trois heures avant que Brian et Jason soient pris en charge, et encore, uniquement parce que Jason déclara qu’il allait tourner de l’œil à cause de tout le sang qu'il avait perdu. Leurs plaies furent désinfectées de nouveau, ils furent vaccinés contre le tétanos, et Brian reçut des points de suture. Les médecins leur prescrivirent des antalgiques et leur interdirent tout contact avec leurs blessures pendant deux ou trois jours, avant de les expédier dehors. Quelle merveilleuse façon de passer son week-end, n’est-ce pas ?

Il était déjà une heure de l’après-midi quand Sharon vint nous chercher. Elle était rentrée à la maison après avoir déposé Jason, comme il n’y avait personne pour s'occuper de Joanne et Ray. Quand elle se fut garée devant l’hôpital, j’observai Jason boitiller jusqu'au minivan, et je souffris pour lui. Brian et lui n'avaient pas voulu prendre leurs pilules antidouleur tout de suite, mais en les regardant, il n’était pas difficile de comprendre qu’ils le regrettaient amèrement. Stoïque, comme à son habitude, Brian prit place à l’arrière à côté de moi en esquissant à peine une légère grimace. Seules la pâleur de son visage et la fine pellicule de sueur sur son front trahissaient sa souffrance.

Ray, sur ordre de Sharon, avait préparé des sandwichs et des grands verres de jus d'orange pour Jason et Brian pour leur redonner des forces à cause de tout le sang qu'ils avaient perdu. Ils mangèrent rapidement et prirent leurs médicaments avec le jus d’orange. Sharon les regarda manger, et quand ils eurent fini, leur ordonna d'aller s’allonger pour se remettre de leurs émotions.

Jason s’appuya sur mon épaule pour gravir l’escalier en sautillant, et Kévin se plaça derrière nous, au cas où il tomberait. Brian nous suivit, silencieux et pensif. Une fois sur son lit, Jason se tourna vers nous.

– Brian, viens ici.

Il ouvrit les bras, faisant signe à Brian de le rejoindre. Observant mon petit ami, je vis des larmes se former dans ses yeux pendant qu'il hésitait à répondre à l’invitation. Il se décida finalement et plongea dans les bras de Jason, le serrant contre lui de toutes ses forces, la tête sur son torse. Jason lui chuchota quelques mots à l’oreille, et Brian releva la tête pour le regarder dans les yeux, semblant questionner ce qu'il venait d'entendre. Jason approuva de la tête.

– Ce n'est pas ta faute. Tu n’y es pour rien, Bri.

Je fus surpris d'entendre Jason l'appeler « Bri ». D’habitude, Brian ne laissait personne d’autre que moi utiliser ce surnom, à l’exception de ses parents. Mais s'il faisait confiance à Jason et qu'il le considérait comme un frère, je n’y voyais pas d’inconvénient. J’étais heureux que Jason se sente plus proche de Brian. Bri avait toujours été un peu solitaire. Cela lui ferait du bien de pouvoir compter sur d’autres personnes.

– Je dois aller m'allonger. J'ai la tête qui tourne. Je te parlerai plus tard.

Jason serra de nouveau Brian contre lui, avant de s'asseoir sur le bord du lit pour se déshabiller. Quand Brian se leva pour quitter la chambre, son regard croisa le mien, et je sentis de la douleur derrière ses yeux remplis de larmes.

Je passai un bras autour de ses épaules et le conduisis jusqu'à notre chambre, où je le déshabillai. Il resta debout pendant que je lui retirais sa chemise, et s’appuya sur mes épaules tandis que j’ôtais le pantalon que Sharon lui avait amené aux urgences. Quand il fut en caleçon, je me déshabillai à mon tour et me plaçai en face de lui.

– Brian, si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là pour toi.

Il soupira profondément.

– Je sais, mon coeur. Qu'est ce que je ferais sans toi ?

Il fit un pas en avant et me prit par la taille. Je passai les bras autour de son cou et me penchai pour l'embrasser doucement sur les lèvres.

– Tu te débrouillerais très bien sans moi, mais je suis content que d'être là pour toi. Comme ça, tu es là pour moi aussi. Je t'aime, Brian Andrew. Ne l’oublie jamais.

Ses yeux se remplirent de larmes, qui coulèrent le long de son visage.

– J'ai perdu ma grand-mère, Pete. Elle est partie. Je ne pourrai plus jamais lui dire au-revoir.

Il ne retenait plus ses larmes à présent, et me faisait penser à un pauvre petit chiot perdu. Je pris sa tête contre ma poitrine, le laissant pleurer pendant que je le guidais vers le lit. Je l’installai doucement sous la couette et pris place à côté de lui. Dès que je fus allongé, il vint se plaquer contre moi sur toute la longueur de mon corps. Malgré la souffrance que je percevais en lui, la sensation de son corps contre le mien me réchauffa le cœur. Il m’avait tellement manqué.

Alors qu’il commençait à se calmer, il se mit à me raconter des anecdotes sur sa grand-mère, qui remontaient à sa petite enfance. Il me parla des balades inoubliables qu’ils avaient faites ensemble dans les collines boisées qui entouraient leur grande propriété, et des valeurs qu'elle lui avait transmises avec patience et gentillesse. Il rit un peu en me racontant les choses amusantes qui leur étaient arrivées, et pleura de nouveau en évoquant la prise de distance de ses grands-parents après son coming-out.

Il finit par s'endormir, épuisé. Kévin ouvrit la porte un peu plus tard pour s’assurer que tout allait bien et me réveilla par la même occasion. Je répondis à son air interrogateur par un léger hochement de tête, et il se retira, me laissant m’endormir dans les bras de Brian.


Quand je me réveillai le lendemain matin. Brian avait disparu. J'enfilai des habits et sortis dans le couloir, écoutant les bruits de la maison. J'entendis une voix étouffée en provenance du bureau. Avançant à pas feutrés vers la porte entrebâillée, j'entendis Brian parler à l’un de ses parents. Sa voix était mal assurée, mais il avait l'air de tenir le coup.

– Tu m'envoies les billets ?  Oui... Non, je ne pense pas que ça sera un problème... Ce n’est pas comme si je devais rater l'école pour venir... Non, j’y arriverai... Ah, vraiment ? C’est dans vos moyens ? Je peux me passer de lui pendant quelques jours s'il le faut... Tu es sûr ? Merci papa ! Je vais lui demander et je te rappelle. Je t'aime aussi. Bye.

Brian raccrocha et soupira bruyamment. Il me tournait le dos. Il ne me vit pas entrer, ni ne m’entendit. Poussant un autre soupir, il se leva et se retourna. Il laissa échapper un petit cri en m’apercevant.

– Ne me fais plus jamais ça, Pete! Tu m'as donné la peur de ma vie !

Je lui adressai un grand sourire.

– Désolé, je ne voulais pas te faire peur.

Il secoua la tête et s'avança dans mes bras.

– L'enterrement aura lieu mercredi. Mon père va envoyer les billets. Je serai de retour dimanche. Il a proposé de te payer le voyage pour que tu puisses m’accompagner, mais tu n'es pas obligé si tu n’as pas envie.
– Brian, je tiens à y aller avec toi. Et je vais acheter mes propres billets.
– Tu n'es pas obligé.

Je pris son visage entre les mains et l'embrassai sur le front.

– Je sais que je ne suis pas obligé. Mais j’en ai envie. Tu es mon petit ami, et je t’aime. Pourquoi est-ce que je ne te soutiendrais pas dans cette épreuve ?
– Mais Kévin et Sharon...
– N'ont rien à y redire. Je suis émancipé, souviens-toi. Et je sais quels sont les devoirs de la semaine prochaine. Nous pourrons les emmener avec nous. Je vais appeler ton père et lui demander de réserver pour nous deux. Je le rembourserai plus tard.

– Pete, je... je ne sais pas quoi dire.

Il leva le regard vers moi, les yeux remplis d’amour et de gratitude.

– Tu pourrais commencer par me dire comment tu te sens ?
– Il y a bien quelque chose qui me vient à l’esprit, mais il n’y a pas de mots assez forts pour le décrire.

Il attira ma tête contre la sienne et posa ses lèvres sur les miennes. Ce ne fut pas un baiser passionné, mais plutôt un témoignage de la profondeur de son amour. Quand il s'acheva, Brian posa sa tête sur mon épaule et me caressa le dos tout en se serrant contre moi.

– Je ne peux pas te dire combien je t'aime. Il n’y a pas de mots assez forts.

Je le serrai dans mes bras, m'imprégnant de sa présence. Je collai ma joue sur son front, savourant chaque instant. Brian grandissait. Il ne tenait plus dans mes bras aussi facilement que quelques semaines plus tôt. Mon chéri devenait un petit homme.

Nous descendîmes à la cuisine, où nous trouvâmes Ray en train de se gaver de céréales sucrées. Il avait rempli un saladier assez grand pour contenir toute la boite de céréales et les avait arrosées d’une bouteille de deux litres de lait. Imaginez un enfant de cinq ans avec du lait qui dégouline sur son menton, et vous saurez à quoi ressemblait Ray ce matin-là. Nous échangeâmes un regard avec Brian et éclatâmes de rire.

– Quoi ?

Son expression de confusion totale ajoutait du comique à la scène. Je n'arrivais plus à reprendre ma respiration. Brian avança une chaise pour que je puisse m’asseoir, sans quoi je me serais retrouvé par terre. Il arrivait mieux que moi à contenir son hilarité, comme d'habitude, se contentant de sourire en secouant la tête.

– Tu avais faim, Ray, c’est ça ?
– Il se trouve que oui. Ça vous pose un problème ?
– Ray, je me suis déjà battu une fois cette semaine, commença Brian, et je n'ai pas envie d’avoir à recommencer.

Un sourire diabolique éclaira le visage de Ray.

– Essaie pour voir.
– Si je te réduis en bouillie ici, je serai obligé de gratter le sol pour le nettoyer. Ça n’en vaut pas la peine.

Ray s’esclaffa.

– Est-ce que tu nous as laissé quelque chose à manger ?
– Euh, j’espère que vous ne vouliez pas de céréales ou de lait.

Ray commençait une nouvelle poussée de croissance. Son visage s’affirmait et perdait son air pincé. Son corps se développait aussi, aussi bien en taille qu’en carrure. Il ne serait jamais vraiment beau, mais il ne serait pas laid non plus.

– Comment te sens-tu, Brian?

Jason entra dans la pièce et pressa amicalement l'épaule de Brian au passage, tout en contemplant la gloutonnerie de Ray.

– Je me sens bien. Comme je n’arrivais pas à dormir, je me suis levé vers cinq heures. J'ai appelé mon père. Il va m’envoyer des billets d'avions pour assister à l'enterrement. Je partirai mardi et serai de retour dimanche.
– Et je pars avec lui, ajouta Pete
– Hum, qu'est ce qu'en disent Papa et Maman ?
– Ils n’ont rien à dire. C'est ma décision.
– Est-ce que je peux savoir ce sur quoi nous n’avons rien à dire ?

Kévin était entré à pas de loup, et je sentis Brian sursauter quand Kévin prit la parole.

– Pourquoi est-ce que tout le monde s'amuse à me faire des frayeurs, aujourd'hui ?
– Désolé, Brian. Je ne voulais pas te faire peur. Alors, quel est le sujet sur lequel je n’ai pas voix au chapitre ?
– Je descends en Californie avec Brian pour l'enterrement de sa grand-mère la semaine prochaine. J’irai chercher nos devoirs de la semaine au lycée avant le départ, comme ça nous pourrons les faire pendant le voyage.
– Ça m'a l'air raisonnable. Est-ce que vous allez acheter vos billets ?
– Non. Ben s'en occupe, et je le rembourserai.
– D'accord. Est-ce que tu veux que je t'emmène à la banque ?
– Non, mais j’aimerais bien t'emprunter la voiture un peu plus tard, j'ai quelques courses à faire.
– Pas de problème.

Le regard de Kévin s’arrêta sur Ray et son petit-déjeuner gargantuesque.

– Nous ne te nourrissons pas assez, Ray ?

Il répondit avec la bouche pleine de céréales.

– Apparemment pas ! Pourquoi est-ce que tu crois que je suis en train de vider cette boite de céréales ?
– Euh, parce que tu es un cochon ?

La remarque de Brian prit tout le monde par surprise, et nous éclatâmes de rire, à l’exception de Ray, qui nous fusilla du regard.

– Non, pas parce que je suis un cochon. Je n'ai pas de queue en tire-bouchon. Je mange parce que je mourrais de faim.

Toujours hilare, je sortis des œufs et du fromage du réfrigérateur et les donnai à Jason, qui prépara des omelettes. Ray et Brian se lancèrent encore quelques piques amicales pendant le repas, semblant avoir oublié les mésaventures de la veille. C'était un immense soulagement de retrouver Brian tel qu’il était quand  j'étais tombé amoureux de lui.

La journée de dimanche fut éprouvante. Brian et moi restâmes à la maison pour permettre à ses blessures de cicatriser. Nous décidâmes d’aller faire les boutiques le lendemain s’il était suffisamment remis afin d’acheter des costumes pour l’enterrement et quelques autres bricoles.

Kévin et Sharon avaient discuté avec mon avocat sur la façon de gérer l'argent que je percevais tous les mois. Ils avaient convenu de verser l’argent sur un compte d’épargne et de mettre en place un transfert automatique vers mon compte courant. Une fois que mes factures étaient payées, je pouvais disposer de ce qui restait. J’avais été plutôt économe jusqu’à présent, donc je pouvais donc me permettre quelques extras pour Brian et moi.

Ce fut plus difficile de convaincre Brian de me laisser dépenser de l’argent pour lui. Nous eûmes une longue discussion à ce sujet. Il avait l'impression de vivre à mes crochets et voulait participer aux dépenses. Je lui répondis que cela me faisait plaisir de lui acheter de nouveaux habits, et qu'il les méritait.

– Je te dois déjà trop, Pete. Comment pourrais-je te rembourser un jour ?
– On trouvera bien quelque chose, lui répondis-je avec un air suggestif.

Il esquissa un léger sourire avant de froncer les sourcils de nouveau.

– Je suis sérieux ! Je ne veux pas que tu gaspilles ton argent pour moi. Tu devrais mettre de l’argent de côté pour te payer l’université ou un appartement.
– Qui a dit que c'était du gaspillage ? Brian, mon chéri, mes grands-parents m'ont laissé assez d’argent pour me mettre à l’abri pendant un long moment. En attendant, j’ai une rente que je peux dépenser comme je veux. Et je veux la dépenser pour toi. Pour nous.

Il resta silencieux quelques instants, réfléchissant à ce que je venais de dire.

– Est-ce que c’est pour la vie, nous deux ? lui demandai-je.
– Aussi longtemps que tu voudras de moi.
– Arrête avec ça. Réponds-moi. Est-ce que nous sommes ensemble pour la vie ?
– Oui, nous le sommes. C'est juste que...
– Juste quoi, mon coeur ?

Brian dansait d’un pied sur l’autre, le regard baissé.

– C'est juste que je te suis déjà tellement redevable. J'ai l'impression que je ne pourrai jamais te rendre la pareille. Tu me donnes déjà plus que tu ne devrais. Je ne te mérite pas.
– Merde, Brian. Ce n'est pas une compétition.
– Laisse-moi finir ! Je sais que je ne te mérite pas et je mesure la chance que j’ai de t’avoir à mes côtés. C'est dur pour moi de comprendre pourquoi tu restes avec moi, parce que je ne sais pas ce que tu vois en moi. Ça me trotte dans la tête depuis ma séance avec Will. Au fond de moi, je n’arrive pas à croire que ce que tu vois est vrai. C’est vrai que je me débrouille bien en lutte, que j’ai un modeste talent d’écrivain et c’est logique que tu sois sensible à certaines de mes qualités, mais mon cœur refuse d’y croire. Je ne me sens pas à la hauteur de ton amour, et c'est difficile pour moi de concevoir que tu puisses me donner encore davantage. Est-ce que tu comprends ?
– En partie. Mais comment est-ce que je pourrais te faire comprendre que je ne fais pas semblant ? Que je veux vraiment être avec toi pour le reste de ma vie ?

Une larme coula sur sa joue.

– Si seulement je pouvais te répondre. Mon cerveau veut y croire. Mais mon cœur... n’est pas encore prêt.
– Ne t’inquiète pas, mon chéri. Nous finirons bien par y arriver.

Il acquiesça et je serrai sa tête contre ma poitrine. Pendant que je le tenais contre moi, une idée germa dans mon esprit. Il faudrait juste que je trouve le moyen de la mettre en œuvre.

– Bri, j'ai quelques courses à faire. Est-ce que je peux te laisser seul pendant un moment ?
– Pourquoi ? Qu'est-ce que tu dois faire ?
– Je dois aller au centre commercial et à la pharmacie. Je vais bientôt manquer de certaines choses et je voudrais être sûr de ne manquer de rien pour le voyage.
– D’accord. Je pense que je devrais pouvoir m’en sortir tout seul pendant quelques heures.

Il leva les yeux vers moi.

– Désolé d’avoir ruiné ton week-end.
– Ruiné mon... Brian, tu es ici avec moi, et ça le rend parfait. J'aurais aimé pouvoir te mettre ça dans le cœur.

Il reposa sa tête sur mon épaule pendant quelques secondes. Ces moments de complicité me rapprochaient de lui. 

– Je vais te laisser à tes occupations, maintenant. Je dois écrire un peu, de toute façon.
– Très bien.

Je relâchai mon étreinte.

– Je serai bientôt de retour.
– Je sais.
– Je t'aime, Bri.

Je fus récompensé par un sourire, et il m'embrassa doucement sur les lèvres en murmurant :

– Je t'aime aussi.

Souriant toujours, il fit un pas en arrière et laissa glisser un doigt sur mes lèvres encore frissonnantes.  Il recula encore d’un pas, laissant retomber sa main, et marcha à reculons vers l’escalier sans me quitter des yeux. Son sourire sensuel m’électrifiait. Déjà que je portais un pantalon serré, il devint encore plus inconfortable !

– A très vite, mon amour.

Brian fit demi-tour et monta les escaliers en boitant légèrement. Blessé ou pas, il gardait toutes ses qualités de séducteur.

Le reste de la journée se déroula sans incident. Je fis quelques courses, dont une dans une boutique spécialisée. Je passai environ une demi-heure à choisir exactement ce que je voulais, puis donnai des instructions au vendeur. Grâce à ses conseils, le résultat fut à la hauteur de ce que j’espérais. La dépense excéda mon budget initial, mais c'était pour Brian, et il fallait que je trouve une façon de lui faire comprendre que je n’allais pas l’abandonner. L'employé me dit que la commande serait prête dans une semaine. Je lui demandai si je pouvais passer la chercher le samedi suivant, et il me répondit que cela ne posait pas de problème. Je le remerciai et sortis de la boutique pour continuer mes courses.

Je fus de retour à la maison trois heures après être parti. Jared faisait un somme sur le canapé, la tête posée sur les genoux de Ray, pendant que celui-ci regardait un film. Il me fit signe de ne pas faire de bruit. Je souris et les observai quelques instants. Ray commença à gigoter. Mon regard semblait le mettre mal à l’aise.

– Désolé, chuchotai-je. Est-ce que tu as déjà remarqué combien son visage est paisible quand il dort ? Il me rappelle un peu Brian quand il est comme ça.

Ray caressa tendrement les cheveux de Jared, et soudain l’adolescent dissipé et maladroit qu’il était m’apparut davantage comme un père dorlotant son fils, ou plutôt comme un jeune homme amoureux caressant sa moitié.

– Oui, chuchota-t-il en retour, ça m’arrive à chaque fois que je suis avec lui. J’adore l’avoir auprès de moi. Son contact me fait énormément de bien.
– Je sais de quoi tu parles. Je vais vous laisser tranquilles.

J’ouvris la porte de notre chambre et aperçus Brian sur le lit, couché sur le ventre, la tête tournée vers le mur. J’entendais le bruit de sa respiration. Il devait avoir un léger rhume. En m'approchant, je m’aperçus que l'oreiller était trempé et que le sol était jonché de mouchoirs roulés en boule. Il s’était endormi en pleurant. Le pauvre. C’était si difficile pour lui de se montrer courageux devant moi alors qu'il se débattait avec sa douleur à l'intérieur.

Je m'assis sur le bord du lit. Brian se réveilla immédiatement.

– Oh, salut.

Il bâilla à se décrocher la mâchoire. J’attendis qu’il ait terminé.

– Comment ça va, Bri ?
– On va dire que ça va, dit-il en haussant les épaules.

Son regard quitta mon visage pour se poser sur les mouchoirs au sol et sur l'oreiller trempé.

– Pas si bien que ça, en fait. Je pensais avoir repris le dessus, mais il s’avère que non. Je m’en veux d'être aussi faible, dit-il en secouant la tête.
– Arrête d’être aussi dur avec toi-même, Bri. Tu as le droit de te laisser aller de temps en temps. Je te comprends, tu sais. Moi aussi, j'ai pleuré quand mes grands-parents sont morts. Je suis passé par là. Je peux t'aider, si tu veux. Si tu me laisses faire.

Il frissonna et descendit du lit, vêtu de ses seuls sous-vêtements. Il me serra contre lui à m’en faire craquer les côtes.

– Qu'est ce que je ferais sans toi ? Où serais-je à présent ?
– Nous n'avons pas besoin de répondre à ces questions, si ? Et pour être franc, je suis plutôt content de ne pas avoir à y répondre.

Le sourire qui se dessina sur son visage et son soupir de satisfaction me réchauffèrent le cœur.

Nous prîmes place ensemble sur le lit, et je lui racontai ce que j'avais ressenti quand mes grands-parents étaient morts, en espérant que cela l’aiderait à comprendre ce qu’il était en train de traverser. Il pleura un peu, mais finit par reprendre le dessus.

Son père nous avait envoyé les billets d'avion par mail, et je pris les dispositions nécessaires pour que nous arrivions à temps à l’aéroport. L’avion ne décollait pas avant cinq heures de l'après-midi. Sharon prit rendez-vous avec Will le lendemain. Je trouvais qu’il était important que Brian puisse voir Will avant son départ, compte-tenu de ce qui s’était passé au cours des derniers jours.

Ray avait invité Jared à dîner. Après le repas, nous nous installâmes dans le salon pour discuter tous les cinq, pendant que Joanne aidait Kévin et Sharon à débarrasser la table. Brian était allongé sur le canapé à cause de ses blessures, alors que nous étions assis.

– Vous rentrez dimanche ?

Jared venait d’être mis au courant de notre voyage en Californie.

– Non, mon père a changé d'avis. Nous rentrerons samedi matin.
– Ah bon ? intervint Ray. Tes parents te détestent à tel point qu’ils ne voulaient pas te garder un jour de plus ?
– Tais-toi, Ray. C'était nul, même venant de toi.

Jason lui jeta un regard réprobateur. Ray eut la délicatesse de paraître embarrassé.

– Ça va, Jason. Je ne sais pas pourquoi mon père a changé le programme. Peut être qu’il a besoin de se retrouver seul avec ma mère. Je sais que ma sœur va passer quelques jours chez une amie.

Il était évident que Jason s’inquiétait pour Brian.

– Et comment est-ce que tu vis tout ça, Brian ?

Il haussa les épaules.

– J’essaie de relativiser. Je n’étais plus aussi proche de mes grands-parents depuis le départ de Pete. Ils n’arrivaient pas à accepter le fait que je sois gay. Je ne les voyais plus très souvent, et à chaque fois que je leur parlais, je sentais une distance. Certes, je les aimais toujours autant, mais ce n’était plus comme avant. C’est peut-être pour ça que c’est moins dur que je ne l’avais imaginé. Mais je suis quand même triste.

Il caressa ma jambe doucement.

– Je comprends ce que tu veux dire, dit Jared en hochant la tête. Mes grands-parents ont réagi de la même façon. Je ne leur parle plus. Quand mes parents vont les voir, ils me laissent à la maison.
– Et les tiens, Jason ? Je n’entends jamais parler d’eux.
– C’est normal, nous évitons d’aborder ce sujet. Je n'ai revu aucun de mes grands-parents depuis mon enfance. 
– Et tu ne t'es jamais posé de questions ?
– Pas vraiment, dit-il en haussant les épaules.
– A ta place, ça fait longtemps que j’aurais posé des questions à mes parents.
– Je sais, Ray. Mais je ne suis pas comme toi.

Un silence s’installa, et nos pensées dérivèrent dans différents directions. Mes grands-parents avaient été des personnes formidables. Ils avaient été jusqu'à déshériter ma mère à cause de son homophobie, me laissant sa part de leur patrimoine. C'était grâce à eux que j'étais avec Brian et que je pouvais m’assumer financièrement.

La soirée toucha à sa fin et Jared rentra chez lui, mais pas avant que Ray ne l’embrasse fougueusement sur la bouche devant tout le monde. Kévin se racla la gorge au bout d'un moment, mais Ray fit comme s’il n’avait pas entendu. Joanne ne put s’empêcher de chanter « Oh les amoureux », laissant une chance à Jared de s'échapper, ce qui eut pour effet de mettre Ray en colère. Il monta bouder dans sa chambre, ce qui amusa tout le monde. J'entendis Sharon dire que tout crime méritait un châtiment.


Je me rendis au lycée le lendemain pour prendre nos devoirs de la semaine. Je ne vis aucun des amis de Brent. Je fis un arrêt au bureau du vice-principal. M. Johnson m’informa que Frank et Larry avaient été arrêtés pour agression à l’arme blanche et qu'ils avaient été renvoyés définitivement du lycée pour détention d’armes. Je trouvai la sanction appropriée et cela me rassura un peu, dans la perspective de notre éventuel retour dans l’établissement.


Kévin me déposa devant le cabinet de Will, puis se rendit à son bureau, qui se trouvait en centre-ville. Cela faisait un moment qu’il travaillait sur une affaire depuis la maison, mais le procès était imminent, et il devait maintenant passer du temps avec son équipe pour préparer les dépositions.

– Bonjour Brian. Comment vas-tu aujourd'hui ?
– Ça peut aller. La mort de ma grand-mère m’a affecté plus que je ne le pensais. C'est dur, même si nous n’étions plus aussi proches qu’à une époque.
– Que s'est-il passé ?

Je répondis par un haussement d’épaules.

– Mes grands-parents ont appris que j'étais gay.
– Et quel effet cette nouvelle a-t-elle eu sur votre relation ?
– Un effet dévastateur. J'ai été les voir deux ou trois fois après, mais il y avait toujours de la tension. Ils me regardaient de travers et leur attitude avait changé. Au final, je dirais notre relation s’est plutôt détériorée après mon coming-out.
– Comment est-ce que tu as vécu ce changement ?
– Leur changement de comportement ?

Il acquiesça.

– J’ai ressenti de la colère. Ils n’arrivaient pas à m'accepter tel que je suis.
– D'autres sentiments ?
– De la tristesse aussi, je crois. Notre complicité me manquait beaucoup. Je ne sais pas exactement comment exprimer ce que je ressens.
– Est-ce que tu t'es senti trahi ?

Je pris quelques secondes pour réfléchir.

– Oui, d'une certaine façon. Je crois que je n’avais jamais vu les choses comme ça.
– Est-ce que tu t'es senti coupable d'avoir dénaturé la relation que tu avais avec eux ? Est-ce que tu aurais préféré ne pas être gay ?
– Bien sûr. Ça arrive à la plupart des gays, non ?
– Pas tous. Mais est-ce que tu y as pensé précisément à cause de la réaction de tes grands-parents ?
– Non. Pas tout de suite. J'étais juste en colère.
– Et qu’est-ce que tu ressens, maintenant que ta grand-mère n’est plus là ?
– La même chose. Non, je ressens encore plus de colère. J’en veux à mes grands-parents de ne pas m’avoir accepté tel que je suis.
– Tu n'as pas à te sentir coupable d'éprouver ces sentiments, tu sais. C'est parfaitement normal. Si tu ne ressentais pas de colère, je serais inquiet pour toi. C’est bien, tu t’ouvres à tes émotions et tu apprends à les ressentir, plutôt que de les refouler.
– Euh, peut être. Mais comment faire pour ne plus me sentir coupable ?

L’entretien se poursuivit pendant environ une heure. Nous explorâmes les sentiments que j’éprouvais à l'égard de mes grands-parents, et particulièrement de ma grand-mère. A la fin, je me rendis compte que je l'aimais profondément, mais que je me sentais rejeté. La douleur de ce rejet remontait à la surface, et je n'avais aucune chance de me réconcilier avec elle. Will me conseilla de continuer à écrire.  Je devais écrire une lettre à ma grand-mère pour lui dire ce que je ressentais et la réaction que j’aurais souhaitée de sa part. Je lui donnerais la lettre en guise d’adieu. Will me laissa rester dans son bureau pendant qu'il prenait son déjeuner afin que je puisse commencer à écrire la lettre et lui poser les questions qui me viendraient à l'esprit. Je savais que ses autres patients n’avaient pas ce privilège, ce qui me laissa penser qu’il était proche de Sharon.

Elle vint me chercher peu de temps après. Kévin était encore coincé au bureau. Je saluai Will, le remerciai pour son aide, et nous prîmes le chemin du retour.

– Ta séance s’est bien passée, Brian ?
– Oui, très bien. Will est quelqu’un d’abordable. Je l'aime bien.
– J’avais le pressentiment que tu l’aimerais bien. Est-ce que tu es prêt à rentrer chez toi demain ?
– Il le faut bien. Merci de laisser Pete venir avec moi. Je vais avoir besoin de son soutien.
– Il a pris sa décision tout seul. Nous n’avons pas le droit de le retenir. Mais s’il nous avait demandé la permission de t’accompagner, nous lui aurions donnée.

La voiture s’arrêta à un feu rouge, et Sharon me regarda dans les yeux.

– Nous savons combien vous tenez l'un à l'autre. Quand vous êtes ensemble, cela saute aux yeux que vous êtes en couple. Je le vois même parfois dans ses yeux quand tu n'es pas là.
– Sharon, je ne vois pas de quoi tu veux parler, dis-je en esquissant un sourire.
– Bien sûr que tu ne vois pas, dit-elle en retournant mon sourire.

Le feu passa au vert.

Pete n'était pas encore rentré quand Sharon me déposa. Je montai à l'étage et allumai l'ordinateur. J'avais envie d'écrire. J’avais l’impression que c’était souvent le cas après une séance avec Will.

« Il me regarda droit dans les yeux, son regard pénétrant mon âme. Son intensité ne faiblit pas une seule fois quand il me dit :

– Bri, je t’aime. Je voulais que tu sois plus qu’un ami. Je le voulais depuis longtemps. Mais ensuite je me suis rendu compte de ce que ça voulait dire. C’est pour cette raison que je suis sorti avec Ashley. Je ne voulais pas être gay.

Il détourna les yeux et fixa ses chaussures. Un autre grand soupir et un reniflement.

– Mais je suis gay et je n’y peux rien. Je sais que tu risques de me détester et que tu ne voudras peut-être plus me voir, mais je dois te le dire, et je ne peux pas continuer à faire semblant. Je veux que tu sois mon petit ami, Brian. Je veux sortir avec toi.

Il donna un coup de pied dans le gravier sur lequel nous étions assis, faisant voler des cailloux. Je ne pouvais pas en croire mes oreilles. Il m’aimait. Il m’aimait, MOI ! Je ne comprenais pas pourquoi il m’avait choisi. Je le regardai en silence, étudiant son apparence. Ses cheveux étaient en bataille, et ses yeux gonflés par les larmes. Son magnifique visage trahissait son inquiétude. Je le fixai pour ce qui sembla être une éternité. Il commença à s’agiter nerveusement, mal à l’aise sous mon regard. Je crus qu’il allait se lever et partir en courant, et je mis une main sur son épaule pour le retenir. Il leva les yeux vers moi, la peur du rejet se lisant dans son regard.

– Pete, je ne veux pas être gay non plus.

Plusieurs émotions passèrent sur son visage. La peur, l’incrédulité, le soulagement,  la joie, l’amour, tout cela à quelques millisecondes d’intervalle. Je me tournai vers lui.

– Je t'aime depuis le début, mais j’étais trop stupide pour m’en apercevoir. Et si je dois être gay pour être avec toi, lui dis-je avec conviction, alors qu’il en soit ainsi.

Je me rapprochai de lui et posai mes lèvres sur les siennes. Il eut un mouvement de recul, mais quand il se rendit compte de ce qui était en train de se passer, il se pencha vers moi et nous nous embrassâmes pour la première fois. Ce fut un doux baiser, plein de tendresse, et qui confirmait ce que nous ressentions l’un pour l’autre. Il dura une éternité, mais s’arrêta bien trop vite. »


Quand je rentrai à la maison, je trouvai Brian à l'étage en train de pianoter sur le clavier de l'ordinateur. Il était tellement concentré qu'il ne remarqua pas ma présence, jusqu’au moment où je me glissai derrière lui pour lui masser les épaules. Il commença par sursauter, puis leva les yeux vers moi en souriant.

– Tu te souviens du jour où nous nous sommes retrouvés derrière les gradins ?
– Oui, c’est comme si c'était hier. C'est ce que tu es en train d'écrire ?
– Oui. Tu veux voir ?

Je lus ce qu'il avait écrit, et même si je ne m’en souvenais pas exactement de la même façon que lui, c'était assez proche. Je passai les bras autour de son cou et le serrai contre moi.

– J’étais mort de peur. Je n’aurais jamais imaginé que tu m'aimerais aussi. Je m'apprêtais à faire une croix sur notre amitié. Je suis tellement content que tu sois resté auprès de moi.

Je resserrai notre étreinte.

– Moi aussi, mon coeur. J'ai quelques regrets dans ma vie, mais pas celui de t’avoir avoué mes sentiments.

Il se dégagea pour pouvoir se lever, puis revint se blottir dans mes bras. Quand il leva son regard vers moi, ses yeux semblèrent scintiller de mille feux, cherchant à pénétrer mon âme. Son amour était si pur et si intense que j’en restai sans voix. 

– Je t'aime Pete. Plus que tout au monde.

Il posa ses lèvres sur les miennes, doucement au début, puis il m’embrassa profondément. Nous nous laissâmes tomber sur le lit, toujours enlacés, plus amoureux encore qu’au premier jour.


Un grand merci à Camille pour son aide précieuse dans la traduction de ce chapitre !


Chapitre 4

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