Pour l'amour de Pete

Roman gay inédit - Tome II - Brian et Pete

Chapitre 8 - Prises de conscience

– Les garçons ! Il est temps de se mettre en mouvement !
– Hein ? Comment ?

Je suis toujours doué pour la conversation le matin. Mon père frappa énergiquement à la porte de notre chambre.

– Bougez-vous les fesses ! Nous avons de la route à faire !
– D’accord, d’accord ! Nous sommes réveillés !

Papa ouvrit la porte. Heureusement, nous étions encore couverts par les draps.

– C’était juste pour vérifier. Allez vous doucher, les garçons. Je veux être sur la route dans une heure.

Ses yeux s’attardèrent sur nous un moment avant qu’il ne referme la porte. Bizarre.

– Tu es réveillé, mon coeur ?

Pete s’étira comme un chat au soleil, laissant échapper un adorable petit gémissement.

– Oui, je suis réveillé. Et j’étais en train de faire un rêve très agréable.

Je soulevai le drap pour jeter un coup d’œil en dessous.

– Il faudra que tu me racontes ! répondis-je avec un sourire. Je n’ai pas fait un rêve comme ça depuis quelque temps.

Le sourire endormi de Pete s’élargit.

– Je préfère nettement la réalité, dit-il en posant une main possessive sur mon entrejambe, entraînant un réflexe d’autoprotection et un rire de ma part.
– Moi aussi.

Son geste se fit plus caressant.

– Euh, Pete ? J’adorerais m’amuser avec toi, mais nous devons nous préparer.

Je roulai sur le côté dans sa direction, bloquant sa main entre mes jambes. Il se mit à remuer les doigts.

– Pete, arrête ! Il faut vraiment que nous allions… Mmmh

Il m’embrassa pour faire cesser mes protestations.

– Est-ce qu’on ne pourrait pas…
– Je n’ai pas envie qu’on nous surprenne, Pete.
– T’inquiète. Ça ne sera pas long.

Ma résistance fondait comme neige au soleil.

– S’il te plaît ?

Et voilà qu’il me suppliait. Comment résister au plus beau garçon de la terre quand celui-ci vous fait une proposition indécente ? J’en étais incapable.

Un peu plus tard, nous restâmes allongés pendant quelques minutes, reprenant notre souffle. Il me caressait le torse avec la tête posée sur mon épaule, un sourire satisfait éclairant son visage.

– C’était exactement ce qu’il me fallait, Bri.
– Moi aussi.

On toqua doucement à la porte. Tirant le drap sur nous, je répondis « Oui ? ».

La voix de ma mère nous parvint à travers la porte.

– Dépêchez-vous, les garçons. Vous savez dans quel état se met votre père les jours de voyage. Il faut s’activer maintenant.
– D’accord, Maman. Nous sommes levés, de toute façon.
– Plus maintenant ! chuchota Pete à mon oreille.
– Chut ! Elle pourrait nous entendre !
– Je m’en fiche.
– D’accord, continua Maman, semblant ignorer les commentaires de Pete. Prenez une douche rapide.
– C’est comme si c’était fait.

J’entendis ses pas s’éloigner dans le couloir.

– On se douche ensemble ?
– Non, mon coeur. C’est trop risqué. On se ferait prendre à coup sûr.
– Comme je te l’ai dit, je m’en fiche.
– Pas moi ! Je crois que mon père a plus de mal à accepter les choses qu’il ne veut bien le montrer. Je ne veux pas le provoquer.
– Tu es en train de dire que tu ne veux pas que j’exprime mes sentiments pour toi devant lui ?
– Bien sûr que non, Pete. Je veux simplement éviter de prendre le risque qu’on nous sépare de nouveau. Je t’aime trop pour ça. Tu comprends ?

Il plongea son regard dans le mien pendant quelques secondes, puis acquiesça lentement.

– Je comprends. Désolé de te mettre la pression là-dessus. Et tu as raison. C’était sans doute une mauvaise idée. Je me suis bien amusé ce matin, cela dit.
– Oui, répondis-je avec un sourire complice. Ça m’a vraiment fait du bien, mon coeur.
– Merci. Moi aussi.

Je commençai à me lever, mais il me retint dans ses bras quelques instants de plus.

– Je t’aime, Bri.
– Moi aussi, je t’aime, mon coeur.

Je l’embrassai sur le front (l’haleine du matin, vous savez) et me levai pour prendre ma douche.

– J’y vais en premier. Je suis le plus rapide, de toute façon.
– Je peux t’aider à changer ça.
– Tu es le diable en personne.

Il me répondit par un sourire évocateur.

– Comme je disais, il devrait rester de l’eau chaude quand j’aurai fini.
– Reviens vite !
– D’accord, mais je prendrai peut-être quelques minutes supplémentaires pour…

J’esquissai un sourire et sortis de la chambre.

– Et ce serait moi, le diable ?

J’ajustai la température de l’eau et sautai dans la douche. Alors que je commençais à me laver les cheveux, la porte de la salle de bains s’ouvrit. Dawn venait juste de se réveiller.

– Euh, Dawn ? Je suis sous la douche.
– Ah. Et alors ? Ce n’est pas comme si tu avais quelque chose que je voulais voir.
– Je pourrais en dire autant.

J’avais dû la vexer, car elle tira la chasse d’eau. Sachant ce qui allait se produire, je fis un pas de côté pour éviter le jet d’eau qui devenait brûlant.

– Idiote !
– Bâtard !
– Salope !
– Pédé !

Un silence brutal emplit la pièce. J’avais la tête qui tournait. J’entrouvris la porte de la douche pour la regarder. Son visage était figé dans un masque horrifié.

– Brian, je suis désolé. J’ai dit ça sans réfléchir. Je te le promets.
– D’accord, soupirai-je. Je comprends. Tu utilisais souvent cette insulte contre moi, avant. Mais à partir de maintenant, essaie d’éviter d’utiliser ce mot et tous ses synonymes. Les choses ont changé.
– D’accord, répondit-elle dans un souffle, incapable de soutenir mon regard.
– Dawn ?
– Oui, Brian ? dit-elle en relevant la tête, croisant mon regard.
– Ne t’en fais pas.
– Est-ce que tu es gay, Brian ?
– Pour autant que je sache, oui. On me dit que je pourrais changer, mais je n’y crois pas trop.
– Comment est-ce que tu l’as su ?
– Eh bien, je suis simplement davantage attiré par les garçons que par les filles sur le plan, euh, sexuel. Je trouve certaines filles jolies, mais ça n’a rien à voir avec ce que je ressens quand je vois un beau garçon.
– Et Pete, alors ?
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– C’est ton petit ami, non ?
– Oui, c’est ça.
– Alors, lequel fait la fille et lequel fait le garçon ?
– Comment ça ?
– Tu sais, lequel d’entre vous est,  je ne sais pas, la femme ?
– Ni l’un, ni l’autre. Nous sommes tous les deux des garçons. Est-ce que Pete se conduit comme une fille ?
– Non.
– Et moi ? Je fais de la lutte et du foot.
– Non, toi non plus.
– Je crois que je comprends ce que tu veux savoir. Comment est-ce que tu imagines un couple gay ?
– Eh bien, j’ai toujours vu l’un des deux se comporter en homme et l’autre en femme.
– C’est un stéréotype, Dawn.
– Mais c’est ce qu’ils montrent à la télé.
– Ils montrent aussi des dessins animés à la télé. Mais est-ce la réalité pour autant ? Tu as vu des séries comme, je ne sais pas, Babylon 5, par exemple ?
– Oui, et alors ?
– Est-ce que Babylon 5 existe dans la réalité ? Est-ce que c’est pour de vrai ?
– Bien sûr que non ! répondit-elle énergiquement.
– Alors pourquoi est-ce que ce qu’ils montrent à propos des gays serait vrai ?
– Je… Je crois que je commence à comprendre.
– Pete et moi, nous nous aimons. Nous passons du temps ensemble, jouons ensemble, et oui, nous faisons l’amour ensemble, mais nous n’avons pas changé. Nous sommes les mêmes personnes que tu as toujours connues. La seule différence, c’est que je suis plus heureux aujourd’hui que je ne l’ai jamais été.

Dawn intégra ce que je venais de dire, puis tourna des talons sans dire un mot et quitta la pièce.

Je refermai la porte de la douche et terminai mon shampooing. Peut-être que Dawn comprenait mieux ce qu’il en était, à présent. C’était ce que j’espérais. Je fermai le mitigeur après m’être rincé une dernière fois et me séchai, avant de nouer la serviette autour de ma taille. J’ouvris la porte et aperçus mon père qui discutait avec Pete dans la chambre.

– Ça fait un trop grand détour. J’aimerais bien, mais nous avons deux jours de route devant nous. Et la voiture n’est pas vraiment à l’aise sur la neige.
– D’accord. Alors peut-être que nous pourrons y aller cet été. J’aime vraiment cet endroit.
– J’y suis allé une fois, mais je n’ai pas eu l’occasion de voir grand-chose. Oh, bonjour Brian.
– La salle de bains est libre, Pete.
– D’accord, j’y vais.

Je fermai la porte de la chambre derrière moi alors que Papa s’éloignait.

Je fouillai dans mon sac à la recherche d’un caleçon.

– De quoi est-ce que vous parliez ?

Pete arracha ma serviette.

– Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu ne peux plus te passer de moi ?
– Je ne peux pas m’en empêcher. Je ne me lasse pas de te regarder.

J’esquissai un sourire et lui donnai un baiser rapide avant de retourner à mes recherches.

– Je lui ai demandé si nous pouvions nous arrêter à Crater Lake sur le chemin, mais c’est un détour de six heures. Nous n’aurons pas le temps.

Je finis par trouver un caleçon. Je l’enfilai en lui disant :

– Nous pourrons nous estimer heureux si Papa nous laisse faire une pause technique. Je ne parle même pas de faire un tel détour.
– Oui, ça me revient, maintenant.

Quand nous étions en 6ème, Pete était venu avec nous en vacances. Nous avions été obligés d’uriner dans une bouteille parce que Papa ne voulait pas s’arrêter sur une aire d’autoroute. Maman s’était montrée scandalisée, mais n’avait pas trop protesté, enfin pas que je me souvienne. Pete et moi avions trouvé la situation cocasse.

Pete se leva et s’étira, ce qui me donna l’occasion de l’admirer de la tête aux pieds. Il était magnifique. Je le pris dans mes bras et l’embrassai sur le menton, ce qui correspondait à la hauteur maximum que je pouvais atteindre. Il m’embrassa sur le front, puis enroula ma serviette autour de sa taille et se dirigea vers la salle de bains.

Je finis de m’habiller, sortis quelques vêtements pour Pete, puis bouclai les valises. Papa passa la tête par la porte au moment où je fermai ma valise.

– N’oublie pas de ranger le matelas gonflable, Brian.
– T’inquiète, Papa.

Papa jeta un coup d’œil derrière lui et entra dans la chambre en fermant la porte derrière lui.

– Brian, j’ai quelque chose à te dire, et je ne veux pas que tu t’imagines que je suis fâché, car je ne le suis pas.

Il fit une pause, s’assit sur le lit en se passa une main dans les cheveux en soupirant.

– J’ai du mal à accepter ta relation avec Pete. Ce n’est pas naturel. Les hommes sont censés aimer les femmes, se marier et avoir des enfants.

Son regard me transperça alors que je luttais pour garder mon calme.

– D’un autre côté, je vois bien que vous vous aimez, et je ne peux pas le nier, comme je te l’ai déjà dit avant. Je suis soulagé que tu sois heureux, Brian. Je sais que tu as été malheureux très longtemps.

Il soupira de nouveau.

– J’ai le cœur partagé. Tu comprends ce que je veux dire ?
– Tu as des sentiments contradictoires.

Depuis le début de la conversation, je sentais mon estomac se contracter, comme si j’allais vomir.

– Oui. Je veux que vous soyez heureux, mais j’ai beaucoup de mal à me faire à l’idée que tu sois gay. C’est difficile pour moi de vous regarder flirter ensemble. Mais, encore une fois, ça me fait plaisir de vous voir heureux. Je dois faire des efforts en permanence pour adapter mon système de pensée. J’accepte le fait que vous soyez ensemble, mais il y a toujours une petite voix au fond de moi qui me dit que deux garçons ne doivent pas s’aimer.
– Alors qu’est-ce que tu proposes ? Que j’arrête de l’aimer ?

Je n’aimais pas la façon dont ma voix tremblait, ni le sentiment d’angoisse qui s’emparait de moi.

– Non, Brian. Bien sûr que non. C’est quelque chose que je dois régler de mon côté. Je ne veux pas avoir ces pensées, mais je ne peux pas m’en empêcher. Je vais me faire aider par un psychologue pour y voir un peu plus clair.
– Alors pourquoi m’en parler ? Est-ce que je dois vivre dans l’angoisse que tu essaieras de nous séparer ?
– Je t’en parle parce que j’estime que ce serait injuste d’essayer de te le cacher. Je veux que tu saches ce qui me travaille et ce que j’essaie de faire pour mieux t’accepter. Ta mère et moi avons discuté de ta relation avec Pete, et nous avons décidé de vous soutenir. Nous n’essaierons plus jamais de vous séparer. Je t’aime tel que tu es, mon fils. Tu es un garçon exceptionnel. Je suis fier de toi.
– Alors qu’est-ce que ça veut dire pour Pete et moi ? Nous devons nous abstenir de nous tenir la main ou de nous embrasser quand tu es dans les parages ?

Papa poussa un nouveau soupir et resta assis calmement pendant quelques instants.

– Ce serait injuste pour vous. Si tu avais une petite amie, je ne vous demanderais pas de vous abstenir, dans les limites du raisonnable, bien sûr. Je ne peux pas dire que vous ayez franchi ces limites avec Pete, donc si je vous demandais d’arrêter, ce serait parce que vous êtes deux garçons. Le simple fait d’avoir eu l’idée de vous demander d’arrêter tout contact physique me rend malade.
Je ne veux pas que vous ayez l’impression d’avoir à cacher quoi que ce soit. Peut-être que le fait de vous voir ensemble m’aidera à résoudre mes conflits intérieurs, dit-il en haussant les épaules. Mais en dépit de tout ça, je t’aime, et j’aime Pete. Il a toujours été comme un fils pour nous, et maintenant il est un peu notre gendre.

La porte s’ouvrit. Pete fit un entrechat en entrant avec un sourire malicieux, mais celui-ci s’effaça dès qu’il sentit la tension ambiante.

– Euh, je vous ai interrompus, peut-être ?
– Non, Pete, répondit Papa. J’ai dit ce que je voulais dire. Brian te mettra au courant, et si tu as des questions après, tu pourras me les poser. Dépêchez-vous, les garçons, nous devons profiter de la lumière du jour.

Il se leva et posa une main furtive sur mon épaule en passant. Il évita de croiser mon regard, sans doute par mauvaise conscience. Je fermai la porte derrière lui.

– Qu’est-ce qui se passe ?

Je relatai à Pete la conversation que je venais d’avoir avec mon père. Sa réaction fut une surprise.

– C’est un soulagement. Ton père a le mérite d’être honnête, Brian. J’avais noté quelques-unes de ses réactions quand il nous observait. Je suis content qu’il se l’avoue et qu’il essaie de travailler sur lui-même. Et je suis vraiment content qu’ils nous donnent leur bénédiction.

Il me prit dans ses bras et me serra contre lui, collant son front contre le mien.

– Maintenant, tu m’appartiens officiellement.

Son baiser langoureux me procura des frissons dans le dos. Je lui rendis son baiser tout aussi tendrement.

– Je ferais bien de m’habiller, non ?
– Oui. J’ai sorti des affaires pour toi et bouclé ta valise.

Je relâchai Pete et dégonflai le matelas pneumatique pendant qu’il s’habillait. J’emmenai les draps dans le garage à côté de la machine à laver et retrouvai Pete à la table du petit-déjeuner. 

Maman se plaignit pendant tout le temps que nous passâmes à table. Papa l’abandonnait pour la première fois depuis qu’ils étaient mariés. Je crois surtout qu’elle avait nerveuse et qu’elle essayait de cacher sa peur en jouant la mère poule. Papa en prit pour son grade autant que nous.

Quand le petit-déjeuner fut enfin terminé, Pete appela Kévin et Sharon pour les prévenir de notre changement de programme, puis emmena nos valises à la voiture pendant que je pliais le matelas pneumatique et le rangeais dans le garage.

Maman sortir pour nous dire au-revoir et embrassa mon père comme si elle n’allait pas le revoir avant plusieurs semaines. Pete s’assit à l’arrière et me fit signe de monter devant. Quand les parents eurent fini leurs adieux, Papa fit le tour de la voiture et ouvrit brusquement la portière de Pete.

– Mais qu’est-ce que tu fais à ma place, Peter ? Sors de là et prends le volant !

Papa éclata de rire et ébouriffa la tête de Pete quand il sortit de la voiture.

– Evitez simplement de me réveiller en parlant trop fort, et tout se passera bien.

Pete démarra la voiture et fit marche arrière dans l’allée. Papa et moi fîmes un signe de la main à Maman, qui menaçait de s’effondrer d’un moment à l’autre.

– Quel route devons-nous prendre ? I-5 ou 101 ?
– I-5. C’est une longue route et j’aimerais avoir le temps de m’installer avant de commencer le travail lundi.
– D’accord. Tu peux dormir, maintenant.
– Génial ! Nous déjeunerons à Weed. Réveille-moi quand nous serons arrivés.

Et Papa s’endormit sur le champ. J’avais du mal à y croire !

Nous suivîmes l’I-80 jusqu’à l’I-505, qui longeait Sacramento, puis elle fusionna avec l’I-5 au bout d’un moment, et la limite de vitesse passa à 120 km/h. Alors que nous filions sur l’autoroute, je contemplai le paysage rural qui défilait. Pete semblait détendu au volant, mais nous demeurâmes silencieux. Je posai une main sur sa jambe, profitant simplement de sa présence.

Environ quatre heures plus tard, nous atteignîmes Weed, au Nord de la Californie. C’était une petite ville universitaire à l’ombre du Mont Shasta. La montagne présentait un relief original, ceinte de basses collines avec un sommet enneigé qui avait l’air de sortir de nulle part. C’était un beau spectacle, cependant.

Papa avait dormi pendant tout le trajet de la maison jusqu’à Weed. Je le réveillai doucement.

– OHE PAPA !

Il fit un tel bond que la ceinture de sécurité le retint. Pete et moi éclatâmes de rire, pendant que Papa marmonnait des jurons au sujet de ces « sales gosses » et de la crise cardiaque qu’il avait failli avoir.

– Où est-ce que vous voulez manger ? Chez Taco Bell ou au Mac Do ?
– Pas chez Taco Bell. La nourriture me traverse de part en part.
– D’accord, alors au Mac Do. On s’arrête au drive-in ?
– Non, j’ai envie d’étirer mes jambes un petit peu. Je vous invite.

Nous émergeâmes de la voiture et fûmes immédiatement saisis par le froid glacial de l’hiver. Nous traversâmes le parking gelé pour entrer dans le restaurant chaud et accueillant. Il était midi, mais l’endroit était pratiquement désert. Papa commanda un menu double cheese, Pete un menu maxi Big Mac et moi un menu maxi Mc Chicken.

Malgré le peu d’affluence, nous attendîmes une éternité avant d’être servis. La personne derrière le comptoir semblait nous en vouloir de l’avoir obligée à se mettre au travail. Je me contentai de secouer la tête en prenant le plateau.

Nous nous installâmes à une table et Papa déclara qu’il conduirait de Weed à Medford.

– C’est le passage le plus enneigé, avec le franchissement des montagnes qui mènent en Oregon. D’habitude, il suffit de deux heures, mais on ne sait jamais en hiver. Nous dormirons sans doute à Medford.
– Ça fera seulement sept heures de route aujourd’hui, Papa.
– Je sais, mais je veux en profiter pour passer un peu de temps avec vous, tant que je vous tiens.

Papa nous adressa un sourire. Je voyais des signes de tension autour de ses yeux, mais il faisait visiblement des efforts. Je lui rendis son sourire.

Après avoir terminé notre repas quelque peu écœurant, nous retournâmes à la voiture, non sans que je me vautre sur le parking, me retrouvant sur le derrière. Pete éclata de rire, et je formai une boule de neige fraîche que je lançai dans sa direction. Il esquiva, et la boule de neige atteignit mon père en pleine tête.

Il se retourna et me jeta un regard de défi.

– Ah oui ? Tu veux jouer à ça ?

Il ramassa de la neige pour faire une boule et fit mine de me la lancer, mais au dernier moment, la jeta sur Pete !

– Alors, ça t’amuse d’esquiver ?

J’eus un tel fou rire que je fus incapable de me relever. Papa poursuivit son chemin vers la voiture, et Pete s’approcha de moi avec méfiance. Il m’aida à me relever, puis glissa de la neige dans mon dos.

– Enfoiré !

Il éclata de rire en me voyant me dandiner pour évacuer la neige. Il se réfugia dans la voiture au moment où je finissais de me secouer. En me jurant de me venger, je pris place à l’arrière à côté de Pete, qui riait encore sous cape. Je lui frottai la tête avec le poing par principe, mais il continua à pouffer de rire. Nous étions vraiment des gamins.

– Est-ce que vous êtes bien attachés à l’arrière ?
– Oui. Allons-y.

Pete s’était calmé et il étendit le bras pour me tenir la main. Je l’écartai brusquement en lui jetant un regard noir, ce qui relança son fou rire. Au bout d’un moment, je ne pus résister et éclatai de rire à mon tour. Je pris sa main dans la mienne et la serrai doucement. Il se pencha vers moi et me déposa un baiser rapide, avant de repartir pour un tour.

– Allez, Bri, tu dois reconnaître que c’était drôle. Pas vrai, Ben ?
– Hilarant !
– Papa ! Tu n’es pas censé prendre parti dans notre couple ! Et il ne perd rien pour attendre !
– Dieu me préserve de jouer les arbitres entre vous, dit Papa en riant. Et je n’ai pas spécialement envie d’être mêlé à vos règlements de compte. Laissez le vieil homme que je suis en dehors de tout ça.

Pete et moi échangeâmes un regard, puis répondîmes en chœur :

– Oui, Papy !

Puis nous éclatâmes de rire. Papa se contenta de secouer la tête en esquissant un sourire.

Je me reculai dans la banquette, essayant de trouver une position confortable sans y parvenir vraiment. Après quelques contorsions, je me penchai vers Pete, reposant ma tête sur son épaule. Il changea de position pour que nous reposions l’un sur l’autre. Je poussai un soupir de satisfaction, enfin confortablement installé. J’aperçus Papa qui nous regardait dans le rétroviseur, mais son visage ne laissait rien transparaître.

Je me sentis soudain fatigué. Je fermai les yeux et sombrai dans un sommeil paisible.


Je me réveillai quelques heures plus tard. Nous étions en train de gravir un col, ce qui signifiait que nous traversions les montagnes en direction de l’Oregon. La neige formait des murets de chaque côté de la route, et la circulation était fluide. Pete reposait toujours contre moi, la tête légèrement en arrière sur l’appuie-tête. Sa bouche était entrouverte, et je l’entendais respirer. Papa jeta un coup d’œil dans le rétroviseur et s’aperçut que j’étais réveillé, mais garda le silence, comme Pete dormait encore. Je pris une position confortable et attendis tranquillement que Pete se réveille.

Il bâilla et s’étendit autant qu’il le pouvait dans l’enceinte confinée de la voiture. D’un air endormi, il demanda :

– Où sommes-nous ?
– Nous arrivons tout juste en Oregon. Nous serons à Medford dans trois quarts d’heure.
– Quelle heure est-il ?
– Environ quinze heures trente. Vous avez dormi pendant plus de deux heures.
– Waouh. Et je n’étais même pas fatigué, commenta-t-il. Est-ce qu’il y a quelque chose à la radio ?
– Je ne crois pas. Nous devrons sans doute attendre d’être sortis de la montagne.
– Ah. Alors nous dormons à Medford ?
– Oui, sauf si vous voulez pousser jusqu’à Roseburg.
– Non, Medford, ça ira très bien. Je commence à avoir faim, de toute façon. Je n’ai pas mangé grand-chose à midi.
– Moi non plus, ajouta Pete.
– Bande de goinfres. Qu’est-ce que vous voulez manger ?
– Euh, je dévorerais bien un steak.
– Des fruits de mer ! s’exclama Pete.
– Pete, tu sais très bien que je ne mange pas de poisson.
– Alors cherchons un endroit qui propose les deux.
– Ça me convient. Nous trouverons bien quelque chose. Peut-être que le motel a un restaurant.

Nous profitâmes de la descente pour admirer le spectacle de la vallée qui s’ouvrait devant nous. Elle ressemblait à un immense tapis d’arbres parsemés de neige. En traversant Ashland, je vis des panneaux indiquant un IUT. Peut-être que Pete et moi pourrions étudier dans un établissement comme celui-ci, pensai-je, mais je me souvins que je voulais m’inscrire dans une université qui proposerait les spécialités que nous aurions choisies, Pete et moi.

Pete me tapota la jambe. Son expression était inquiète.

– Qu’est-ce qui ne va pas ? articula-t-il silencieusement.
– Rien, chuchotai-je en réponse. Je pense à l’avenir, c’est tout.
– Tu es sûr ?
– Oui, confirmai-je en lui pressant affectueusement la cuisse. Tout à fait sûr.

Pete posa la tête sur mon épaule et continua à me caresser la jambe. Je savais qu’il réfléchissait aussi. Nous restâmes silencieux pendant le reste du trajet.

Nous sortîmes de l’autoroute après avoir traversé une partie de Medford sur l’I-5. Papa trouva un motel bon marché et prit deux chambres contigües. Dieu soit loué, car je ne voulais pour rien au monde dormir dans la même chambre que lui. Il ronflait comme un sonneur.

Alors que nous nous installions dans notre chambre, Pete passa les bras autour de ma taille par derrière. Je me laissai faire, agréablement enveloppé dans la chaleur de son corps. Il m’embrassa dans le cou et me demanda :

– Est-ce que tu es sûr que tout va bien ? Rien ne te tracasse ?
– J’en suis certain, bébé.

Je fis demi-tour dans ses bras, et faillis me noyer dans son regard pendant quelques secondes.

– Je réfléchissais à l’endroit où nous pourrions aller à l’université. Je n’ai toujours aucune idée de ce que je veux étudier, or la matière sera déterminante dans mon choix. Bien entendu, ce que tu voudras étudier sera déterminant aussi. Je veux trouver une université qui fera notre bonheur à tous les deux.
– Moi aussi, Bri. Mais nous avons une année entière pour nous renseigner avant de devoir faire un choix. N’oublie pas que tu pourrais changer d’avis en cours de route, aussi. La plupart des étudiants ne se spécialisent qu’après leur deuxième année de fac. C’est dans quatre ans. Ne te tracasse pas, bébé. Nous avons tout le temps pour décider.

Je me blottis contre lui, et il resserra notre étreinte. Nous nous embrassâmes tendrement, échangeant dans un regard la profondeur de notre amour l’un pour l’autre.

On frappa violemment à la porte, ce qui nous fit sursauter. Nous entendîmes Papa s’exclamer :

– Eh, remettez vos pantalons là-dedans ! J’ai faim !

Je fis une moue dégoutée et secouai la tête. Pete m’embrassa sur le bout du nez.

Je me dirigeai vers la porte.

– Ça va, ça va, il n’y a pas de quoi s’exciter, dis-je en laissant entrer mon père.
– Est-ce que nous allons manger ou est-ce que nous nous laissons mourir de faim ?
– Euh, nous avons besoin de manger, mais je crois que tu pourrais sauter quelques repas, Papa.
– Héhé, un point pour Brian, dit Pete, en faisant semblant de marquer un point sur un tableau.
– Très bien, fit Papa, imperturbable, restez ici, les garçons. Je vais aller me trouver de la viande fraîche.

Oh, mon Dieu, je n’arrivais pas à croire que mon père ait dit cela. Pete et moi éclatâmes de rire, pendant que Papa roulait des yeux.

– De la viande en mini-jupe ? suggéra Pete.

Et nous repartîmes de plus belle, riant aux éclats. Papa nous jeta un regard  intrigué avant qu’un sourire n’apparaisse sur son visage. Il gloussa même un peu.

– C’est ça, moquez-vous de votre paternel. Il n’en reste pas moins que j’ai l’argent sur moi et que j’y vais maintenant, avec ou sans vous.

Toujours hilares, Pete et moi suivîmes Papa vers la voiture. Nous trouvâmes un restaurant Red Lobster à proximité.

Un jeune homme plutôt mignon nous guida vers notre table. Il devait avoir environ seize ans. Je surpris Pete en train de le regarder. Quand il s’aperçut que j’avais intercepté son regard, il rougit instantanément. J’esquissai un sourire et lui tapotai l’épaule. Le jeune homme nous laissa à notre table sans se retourner.

En consultant le menu, nous fîmes rapidement notre choix. Papa et Pete jetèrent leur dévolu sur le homard, et je choisis un steak New York Strip. Nous bavardâmes en attendant qu’une serveuse prenne notre commande. C’est alors que la conversation prit un tournant plus sérieux.

– Qu’est-ce que vous comptez faire au sujet du lycée ?
– Je ne sais pas, dis-je en laissant échapper un soupir. Je ne peux pas éternellement rester à la maison, et je ne veux pas que ces petits caïds aient le dernier mot. Ce serait une victoire pour eux.
– Je ne crois pas qu’ils soient réellement dangereux, de toute manière, ajouta Pete. Brent et sa bande sont peut-être des crétins, mais je ne crois pas qu’ils iraient plus loin qu’une simple bagarre. Je suis sûr que Brian pourrait s’en sortir tout seul.
– Mais je ne veux pas avoir à me battre. J’ai horreur de ça. La lutte est un sport – qui mêle la technique et la force. La bagarre est une question de survie. Je ne veux faire de mal à personne et encore moins être blessé. Mais si quelqu’un commence une bagarre, je ne me laisserai pas faire.
– Est-ce que tu en as parlé à Kévin et Sharon ?
– Un peu. Nous ne partageons pas forcément le même point de vue sur tout. Certains disent que faire profil bas est une forme de courage. J’ai tendance à penser que la meilleure défense, c’est l’attaque, quand on ne peut pas faire autrement. J’essaie toujours de m’en sortir par le dialogue. Mais je ne veux pas passer pour un faible et me laisser marcher dessus. Je ne supporterais pas qu’on me colle cette étiquette de nouveau.

Pete me pressa affectueusement la cuisse sous la table, pendant que Papa hochait la tête pensivement.

– J’ai beaucoup d’amis, dit Pete. Jason et Jared aussi. Nous sommes tous prêts à faire la guerre à Brent et sa bande s’ils ne se comportent pas de façon civilisée.
– Tu vois, c’est exactement ce que je voulais dire. Je préfère largement trouver une porte de sortie par la discussion, et si ce n’est pas possible, alors je veux que ça reste en un contre un. Je ne veux pas entraîner toute l’école derrière moi.
– Mais Brian, parfois certaines personnes s’invitent dans une bagarre. Tu ne peux pas les en empêcher.
– Je sais. Mais je peux essayer.
– Est-ce que vous avez réfléchi à prendre des cours d’arts martiaux ?
– Non, pas vraiment. Ça coûte cher.
– Je peux vous aider, Brian.

Papa proposait de payer pour que nous apprenions à nous défendre.

– En fait, Ben, j’aimerais autant payer moi-même. Mes revenus sont suffisants pour le faire, et j’en ai envie. Je ne sais pas pourquoi je n’y avais pas pensé avant.
– Sans doute parce que je me comportais comme un connard, dis-je un peu sèchement. Je n’étais jamais là et je ne pensais qu’à ma gueule.
– Brian… commença Pete, avec un regard menaçant.
– D’accord, d’accord. Je suis désolé.
– Pete, est-ce que tu peux vraiment te le permettre ?
– Affirmatif.
– Alors d’accord. Je vous aiderai à trouver un club quand nous serons installés.
– Ce serait sympa, Papa. Eh, peut-être que tu pourrais prendre des cours aussi ?
– Je ne crois pas, Brian. Ça… ça me rappellerait trop de mauvais souvenirs.
– Ah. Désolé, Papa.
– Ne t’en fais pas, fiston. Ça ne vous empêche pas de vous inscrire. Ça vous fera du bien à tous les deux.
– Je suis assez impatient de commencer les cours, dit Pete avec un sourire enthousiaste. Je n’ai jamais rien fait dans le genre depuis que j’ai quitté les scouts.
– Pour moi, ce sera un peu comme la lutte. Je suis plutôt impatient aussi.

Un sourire se dessina sur le visage de Papa, mais il y avait aussi une ombre dans son regard.

– Euh, Papa ? Est-ce que je peux te poser une question ?
– Bien sûr.
– Qu’est-ce qui te dérange dans les arts martiaux ?

Il plissa légèrement les yeux et son regard me transperça. Après environ dix longues secondes, il se ressaisit et soupira.

– Après tout, c’est peut-être le bon moment d’aborder le sujet. De quoi exactement est-ce que tu te souviens de ce que je t’ai raconté sur la guerre ?
– Je sais seulement que tu as été posté au Vietnam.
– Oui. En fait, parfois le combat était rapproché. Tellement rapproché qu’il n’était pas possible d’utiliser un fusil. Nous nous battions à mains nues, dit-il en soupirant.
– D’accord. Tu n’as pas besoin de m’en dire plus, murmurai-je. Désolé de t’avoir posé la question, Papa, ajoutai-je à voix basse.
– Il faudra que je t’en parle un jour, mais pas tout à la fois. Certains souvenirs sont douloureux.
– Je crois que nous comprenons tous ce que tu ressens, Ben, dit Pete.
– Oui, je crois aussi, dit Papa en souriant.

La serveuse nous apporta nos salades et nos boissons, et à partir de ce moment, la conversation se fit sporadique. Je finis en premier, suivi de près par Pete. Papa finit quelques minutes après nous. Quand la serveuse revint avec nos plats, la conversation cessa complètement jusqu’à ce que nous ayons terminé. Il ne restait plus que quelques légumes dans l’assiette de Papa.

– Un dessert ? demanda Pete.
– Pas pour moi, répondit Papa, mais allez-y si vous avez encore faim.
– Je ferais sans doute mieux de m’arrêter là aussi, Pete.
– Quelle bande de rabat-joie. Très bien, je ne prendrai pas de dessert. Il faudra que je trouve une autre forme de nourriture, dit-il en me jetant un regard enjôleur.

Mon Dieu, je n’arrivais pas à croire qu’il ait dit cela devant mon père. Papa n’avait pas l’air de s’offusquer, mais il avait parfaitement compris les allusions de Pete. J’essayai de frotter la tête de Pete avec mon poing pour le rappeler à l’ordre, mais j’échouai.

– Pas à table, les garçons. Vous n’êtes vraiment pas sortables, dit-il en souriant.

Notre serveuse revint avec l’addition, que Papa régla par carte. Après qu’il ait signé le reçu, nous nous levâmes et reprîmes le chemin du motel. Il était environ dix-huit heures trente.

– Eh, Papa, j’ai vu un cinéma dans le centre commercial là-bas. Est-ce qu’on peut y aller ?
– Je suis trop fatigué, mais je vous laisse la voiture si vous voulez y aller. J’ai besoin de m’allonger pour digérer ce homard et je dois appeler votre mère.
– Tu es sûr que tu ne veux pas venir ? demandai-je, un peu déçu.
– Pas ce soir. Mais nous irons ensemble quand nous serons installés à Portland, d’accord ?
– D’accord.
– Ne rentrez pas après onze heures et faites-moi signe en arrivant.
– D’accord. A tout à l’heure, Papa.

Nous déposâmes Papa et nous garâmes au centre commercial. Le Rogue Valley Mall n’était pas très grand comparé à ce que nous connaissions, mais il était quand même de taille raisonnable. Nous regardâmes les films à l’affiche, mais aucun d’entre eux ne nous plaisait vraiment. Nous décidâmes de rentrer au motel avoir exploré le centre commercial et dégusté une crème glacée. Que dire pour ma défense ? J’étais insatiable.

Quand nous arrivâmes, nous toquâmes à la porte de Papa comme il nous l’avait demandé. Il était au téléphone avec Maman et s’interrompit juste assez longtemps pour nous souhaiter bonne nuit.

De retour dans notre chambre, nous allumâmes la télévision et tombâmes sur des rediffusions de New York Section Criminelle. Notre chambre avait un grand lit. Tant mieux, parce qu’un lit standard est toujours trop étroit pour deux. Nous nous déshabillâmes et prîmes place dans le lit. Je posai la tête sur l’épaule de Pete. L’épisode n’était pas passionnant. Je crois que je l’avais déjà vu. Pete était captivé, cependant, et je regardai jusqu’au bout pour lui faire plaisir.

– Brian ?
– Oui ?
– Je suis désolé de ce que j’ai dit au dîner.
– Hein ?
– La blague sur le dessert. Je n’aurais pas dû.
– Ne t’en fais pas, bébé. Papa n’a eu l’air de se formaliser et il nous a pris une chambre à part, non ? Il doit se douter qu’il se passera quelque chose. Il n’est pas idiot. Il sait que nous sommes un couple d’adolescents avec des poussées d’hormones.
– Tu m’as demandé de ne pas le provoquer, et j’ai fait exactement le contraire !
– Pete, arrête de te prendre la tête. N’en parlons plus. Tu me le revaudras, c’est tout.
– Tu es sûr que tu n’es pas fâché ?
– Pas le moins du monde.
– D’accord. Et comment suis-je censé me racheter ?
– Surprends-moi ! dis-je en esquissant un sourire charmeur.


Le lendemain matin, Papa tambourina à la porte vers sept heures. Il ne cessa que lorsque nous ouvrîmes la porte pour lui dire que nous étions réveillés.

– Bien. Je veux que nous soyons sur la route à huit heures.
– Pas de petit-déjeuner ?
– Seulement si vous vous dépêchez. Sinon vous attendrez que nous arrivions à Eugene.
– D’accord, dis-je en lui claquant la porte au nez.

Pete était encore allongé au lit, en train d’émerger. Je lui sautai dessus.

– Eh, qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?
– Je m’assurais simplement que tu étais réveillé, bébé.
– Comment est-ce que je pourrais ne pas être réveillé ? Ton père a réveillé tout l’étage.
– Je crois que je sais ce qui pourrait éveiller tes sens, dis-je avec un sourire malicieux.
– Prouve-le !

Et c’est ce que je fis.

Après notre douche, nous nous habillâmes. Il restait encore vingt minutes. Le froid nous assaillit pendant la courte marche vers la réception. Notre souffle formait des petits nuages de vapeur. Le petit-déjeuner continental était en fait un buffet. Nous attrapâmes des beignets et des muffins pour la route et traînâmes nos sacs jusqu’à la voiture, dont nous avions rendu les clés la veille à Papa.

A huit heures passées, Papa était encore dans sa chambre. Je décidai de lui rendre la monnaie de sa pièce et tambourinai à sa porte jusqu’à ce qu’il l’ouvre, le visage à moitié couvert de mousse à raser.

– Tu es en retard !
– J’étais au téléphone avec ta mère.
– Pas d’excuses ! Nous devrions déjà être partis ! Nous aurions pu prendre un petit-déjeuner tranquillement, mais noooooon, il fallait que nous soyons prêts à huit heures.

Papa retourna dans la salle de bains pour finir son rasage.

– D’accord, d’accord, vous m’avez eu. Est-ce que tu peux sortir ma valise ?
– Bien sûr, Papa. Ce serait dommage pour une personne de ton âge d’attraper un lumbago.
– Tu me cherches, toi, aujourd’hui.
– Je me suis réveillé de mauvais poil à cause de toi, et tu en subiras les conséquences toute la journée.

Papa me regarda dans le miroir, et je vis un sourire se dessiner sur son visage.

– D’accord, peut-être que j’étais un peu trop enthousiaste.
– Un peu ?
– D’accord, un peu beaucoup.
– C’est mieux.
– Attrape les clés et mets le chauffage dans la voiture. Elle doit être congelée.
– Je te le confirme. Les vitres sont gelées.
– Alors démarre le moteur et mets la ventilation à fond.
– D’accord, Papa.

J’emmenai la valise de Papa jusqu’à la voiture, attrapant les clés au passage. Je les jetai à Pete. Après avoir déverrouillé la voiture et démarré le moteur, il appuya sur le bouton d’ouverture du coffre pour que je puisse charger la valise, ce qui n’était pas une mince affaire.

Papa arriva finalement à la voiture. Il prit place sur le siège passager, laissant le volant à Pete. Je m’installai à l’arrière, et nous prîmes la route. Je tendis un muffin à Papa en grommelant qu’un vrai petit-déjeuner aurait été préférable, mais Papa fit semblant de ne rien entendre.

Quinze kilomètre après la sortie de Medford, nous fûmes pris dans un embouteillage. La circulation était complètement à l’arrêt. Nous apprîmes pourquoi deux heures plus tard, quand un hélicoptère se posa à environ un kilomètre devant nous.

Apparemment, un chauffard avait eu la bonne idée de faire une pointe de vitesse sur l’autoroute relativement dégagée. Il avait dû glisser sur une plaque de verglas avant de perdre le contrôle de son véhicule, dont les débris étaient dispersés sur plusieurs dizaines de mètres. Il y avait un mort et un blessé grave qui avait été héliporté à l’hôpital.

Une fois repartis, le trajet jusqu’à Eugene se déroula sans incident. Papa et Pete discutaient sur un ton animé, mais je ne les écoutais pas. J’étais perdu dans mes pensées, une idée chassant l’autre, sans rime ni raison.

Je me sentais déprimé, mais j’étais incapable de d’identifier les causes précises de ce sentiment. J’essayai de me détendre en faisant une sieste, mais je n’étais pas vraiment fatigué. Le train de mes pensées était sans cesse interrompu. Je finis par renoncer au sommeil et me contentai de regarder défiler le paysage, le cerveau en ébullition. Je commençais à avoir mal au cœur.

– Brian, ça va bien ?

Aucune réponse. Je n’écoutais pas.

– Brian ?

Toujours aucune réaction de ma part.

– BRIAN ?

Je finis par réagir.

– Hein ?
– Je t’ai demandé si tu allais bien.
– Euh, oui. Tout va bien.

Papa se retourna pour me regarder. Je me contentai d’afficher mon masque de poker, dissimulant mon agitation intérieure. Je n’arrivais toujours pas à mettre le doigt sur ce qui me préoccupait. Pete me surveillait dans le rétroviseur. Je voyais l’inquiétude dans son regard. Papa reprit sa position initiale, et Pete se concentra de nouveau sur la route.

Je fis un effort pour me relaxer, les yeux fermés, essayant de faire le vide dans mon esprit. Ce fut un demi-succès, et je parvins à repousser provisoirement le sentiment de panique qui grandissait en moi. Je ne sais pas combien de temps cela dura, mais je rouvris les yeux quand nous nous arrêtâmes à Eugene pour déjeuner.

Il était environ une heure de l’après-midi quand nous nous garâmes. Papa voulait manger assis, donc nous nous rendîmes au Chili’s. Pete et Papa commandèrent des fajitas. Je n’avais pas faim et choisis une salade au poulet. Ils me regardèrent de travers quand je passai ma commande, et Pete me lança un long regard inquisiteur avant que je me lève pour aller aux toilettes.

J’entrai dans les toilettes pour handicapés et m’assis sur le trône, la tête entre les mains. Mais qu’est-ce qui n’allait pas, bon sang ? Quelques minutes plus tard, j’entendis Pete.

– Brian ?
– Quoi ?
– Est-ce que ça va ? Tu es à côté de tes pompes depuis ce matin. Tu n’as pratiquement rien mangé au petit-déjeuner, et maintenant tu prends une salade. Tu manges davantage, d’habitude. Est-ce que tu te sens bien ?
– Ça va très bien. J’essaie de me soulager.
– Ne me raconte pas d’histoires. Brian, qu’est-ce qui te tracasse ?

Pete secoua la porte.

– Laisse-moi entrer, Bri. S’il te plaît ?

J’hésitai un moment avant d’ouvrir la porte. Pete entra et tira le verrou derrière lui, pendant que je me rasseyais sur le trône, la tête enfouie dans mes bras.

– Qu’est-ce qu’il y a, bébé ?
– Je ne sais pas, marmonnai-je.
– Qu’est-ce que tu ne sais pas ?

Il s’accroupit devant moi.

– Ce qui me tracasse.
– Est-ce que ça a un rapport avec l’accident que nous avons vu ?

Apparemment, il se souvenait des larmes que j’avais versées lors du précédent accident, le jour où nous étions allés acheter son ordinateur.

– Non, pas vraiment. Je… Je ne sais pas. J’ai essayé de trouver ce que c’était toute la journée, dis-je avec frustration, en me passant la main dans les cheveux. En tout cas, le résultat, c’est que je me suis refermé comme une huître.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– J’ai failli avoir une crise de panique dans la voiture. Je la sentais monter et j’ai essayé de faire le vide dans mon esprit, comme Will me l’a enseigné. Ça a plutôt bien fonctionné. Je n’ai pas perdu les pédales, au moins.
– Quand est-ce que tu le revois ?
– Demain, je crois.
– Il faudra que tu lui en parles.

Quelqu’un entra dans les toilettes.

– J’insiste, Brian. Ça fait trop longtemps que ça dure.

Il passa la main derrière ma tête, rapprochant nos fronts.

– Je me fais du souci pour toi.

Quelqu’un s’éclaircit la gorge.

– Promets-moi que tu lui en parleras.
– Je te le promets.

Pete m’embrassa sur les lèvres, puis se releva.

– Je pense que nous sommes servis. Nous ferions bien de retourner à table avant que ton père vienne nous chercher. 

Je soupirai et me levai, toujours déprimé mais déterminé à prendre les choses du bon côté. Je serrai Pete dans mes bras et chuchotai :

– Je suis désolé.
– Ne le sois pas, chuchota-t-il en retour. Nous surmonterons ces difficultés ensemble.

Il m’embrassa de nouveau et déverrouilla la porte.

Un homme entre deux âges en costume-cravate attendait dehors. Il nous jeta un regard noir. Toujours énervé contre moi-même, je ne pus réprimer une pulsion.

– Mêlez-vous de vos affaires, bordel !

Surpris, l’homme eut un mouvement de recul, mais nous étions sortis des toilettes avant qu’il ne puisse répondre.

Nous étions en effet servis. Je m’assis à côté de Pete et picorai ma salade pendant qu’ils mangeaient de bon cœur. J’avais définitivement perdu l’appétit.

– Est-ce que tout va bien, les garçons ?
– Non, mais nous y travaillons, répondit Pete.

Je me contentai d’acquiescer et grignotai un morceau de tomate. Papa n’insista pas.

Quand nous reprîmes la route, Papa se mit au volant, laissant Pete de s’asseoir à l’arrière avec moi pour discuter. Mon esprit était toujours en proie au doute, mais le contact de Pete calmait mes nerfs à vif comme un baume apaisant.

Il se décala sur le milieu de la banquette et passa un bras autour de mes épaules. Il me caressait le bras et les cheveux, me chuchotant des mots d’amour. Je ne sais pas comment il y parvint, mais je me détendis tellement que je finis par m’endormir.

Je fis un rêve qui, bien que perturbant, n’était pas vraiment un cauchemar. Dans mon rêve, j’étais dans mon lycée en Californie. J’avançais dans un couloir, mais j’avais perdu le sens de l’équilibre et avançais en zigzag, me cognant alternativement aux groupes d’élèves à ma gauche et à ma droite. J’essayais de convaincre quelqu’un d’appeler une ambulance, car je savais que quelque chose allait terriblement mal, mais les gens me repoussaient à coups de pied, ignorant mes supplications. Je me souviens que j’étais en larmes. Ma sieste ne fut pas reposante.

Je me réveillai de mon rêve au son de la douce voix de Pete.

– Réveille-toi, bébé. Nous sommes arrivés.

Je ne voulais pas me réveiller, cependant. J’essayai de m’agripper à Pete, mais il avait déjà échappé à mon étreinte.

– Réveille-toi Brian. Nous devons aller à l’intérieur.

J’ouvris finalement les yeux. Nous étions devant la maison des Patterson. Je voyais Papa et Kévin discuter sur le porche, le regard tourné vers Pete et moi.

– D’accord.

Je bâillai et m’étirai en sortant de la voiture. Pete m’attendit et referma la portière derrière moi. Je me dirigeai vers la maison et trébuchai, tombant à genoux. Laissant échapper un juron, je regardai ce qui avait provoqué ma chute, mais ne trouvai rien. Pete m’aida à me relever et me porta pratiquement jusqu’à la maison.

A l’intérieur, j’eus l’impression de pénétrer dans un chaudron infernal, tellement il faisait chaud. Je retirai mon pull et me dirigeai vers la cuisine, ignorant tout sur mon passage, incapable de penser à autre chose qu’à la sensation de soif qui me desséchait la gorge.

En me servant un verre d’eau, j’entendis Pete au loin qui disait « Je vais vérifier. » Il me rejoignit au moment où je finissais de boire le verre d’une seule traite. Il m’entoura de ses bras et m’embrassa dans le cou.

– Est-ce que tu te sens bien, Brian ?
– Pas vraiment. J’ai mal au ventre. Et une migraine, aussi.

Je savais que je prononçais ces paroles, mais c’était comme si je contrôlais mon corps à distance. J’avais des vertiges aussi.

Pete me fit faire demi-tour et m’embrassa sur le front.

– Tu es brûlant, bébé. Allons te mettre au lit.
– Encore de l’eau.
– Je t’en apporterai quand tu seras couché. Allez viens, Bri.

Pete m’entraîna à travers le salon jusqu’à l’escalier. Je trébuchai plusieurs fois, mais réussis à monter sans me casser la figure. Je me souviens que Papa, Kévin et Sharon me regardaient avec inquiétude, mais rien de plus.

Une fois à l’étage, Pete me déposa sur le lit. Je le laissai me déshabiller, puis il tira la couette au-dessus de moi. Je me débattis immédiatement pour m’en débarrasser.

– Il faut que tu la gardes sur toi, bébé. Tu dois rester au chaud.
– Trop chaud.
– Je sais, bébé, mais il fait froid dans la chambre.
– D’accord.
– Essaie de dormir un peu. Je vais te chercher de l’eau pour plus tard.
– D’accord.

Pete sortit et revint avec un thermomètre. Après, je ne me souviens plus de rien.


Brian s’effondra littéralement sur la pelouse et faillit ne pas arriver jusqu’à la cuisine.

Sharon me demanda s’il était malade, et je lui dis que j’allais vérifier. Quand je l’embrassai, j’eus l’impression qu’il était en feu. Je le portai plus qu’il ne marcha jusqu’à notre chambre, où il s’effondra sur le lit. Je le déshabillai et le couchai, puis partis chercher le thermomètre. Brian avait 39 degrés de fièvre.

– Qu’est-ce qu’il faut faire ?
– Laissons-le faire une bonne nuit de sommeil, dit Sharon, tant que sa fièvre ne dépasse pas 39,5 degrés. Si elle dépasse ce seuil, nous l’emmènerons aux urgences. Fais bien attention à ce qu’il reste au chaud.
– Je dois partir m’installer, Pete, dit Ben. Kévin m’a donné les clés. Prends soin de notre Brian, d’accord ? dit-il avec un sourire.
– Pas de problème. Tu peux compter sur moi.
– Je sais, fiston.

Fiston. Ce n’était pas le ton habituellement employé quand un adulte s’adresse à un enfant. Il y avait une connotation plus familiale. Son visage confirmait cette impression.

– Ne t’inquiète pas, Papa. Je prendrai soin de lui.

Le sourire de Ben s’élargit, puis il sortit de la pièce, suivi par Kévin.

– Viens, Pete. Aide-moi à préparer ton petit ami pour la nuit.

Sharon et moi retournâmes au chevet de Brian. Après m’avoir donné des instructions et apporté tout ce dont nous pourrions avoir besoin, elle dit :

– Surtout, tu me préviens si tu commences à te sentir malade, d’accord ?
– D’accord. Bonne nuit.
– Dors bien, dit-elle en fermant la porte.

Je me déshabillai et grimpai dans le lit. Brian dégageait tellement de chaleur qu’il m’était difficile de rester à son contact. Je finis par  me débarrasser de la couette, ne laissant que Brian couvert, et je me blottis contre lui. Sa température corporelle fut suffisante pour m’éviter d’avoir froid pendant la nuit.


Je me réveillai de bonne heure. Mon premier réflexe fut de prendre la température de Brian. Toujours 39 degrés. Pas d’amélioration. Son visage était soucieux. Il arborait souvent cette expression quand il était tourmenté à l’intérieur. Je caressai son visage et lui parlai calmement, pour le rassurer sur le fait que j’étais là et que je l’aimais. Son visage se détendit un peu au son de ma voix, mais son front plissé trahissait une tension latente.

J’enfilai un bas de survêtement et me rendis à la cuisine pour manger un morceau. Kévin, Sharon et Jason étaient assis à table, en pleine discussion. Je rattrapai le fil de la conversation en me versant un jus d’orange.

– J’y vais, dit Jason. Je ne peux plus me permettre de rater les cours si je veux maintenir ma moyenne.
– Oui, mais je ne sais pas si tu es en sécurité, dit Sharon avec inquiétude, et peut-être une pointe d’appréhension.
– Alors je verrai bien. N’oublie pas que c’est Brian qui a été menacé directement, et Pete indirectement, par association, dit-il en me désignant du menton. Ecoute. Je vais faire très attention. Je ferai en sorte d’être accompagné à tout moment, et j’irai parler à M. Johnson pour voir ce qu’il est possible de faire.
– Non, Jason. Je veux l’entendre de mes propres oreilles. Quand je serai convaincue, tu pourras retourner en classe, pas avant. Point final.

Sharon mettait son véto, semblait-il. Kévin continuait son petit-déjeuner comme s’il était étranger à la conversation.

– Papa ?

Jason tenta de jouer sa dernière carte.

– C’est ta mère qui a pris la décision. Accepte-la et passe à autre chose.

Sans dire un mot, Jason repoussa sa chaise et quitta la pièce d’un air furieux, les épaules rentrées et les mains dans les poches, laissant son petit-déjeuner entamé sur la table.

Sharon secoua la tête d’un air exaspéré.

– Il devient de plus en plus difficile à contrôler, Kévin.
– Il aura dix-huit ans le mois prochain. Il en a assez de suivre nos règles, même s’il ne ferait jamais rien de stupide. Il ronge son frein.
– Je sais, mais il pourrait mettre sa vie en danger, sans raison valable !

Sharon remarqua que j’étais entré dans la pièce.

– Pete, est-ce que tu sais pourquoi Jason tient à retourner en classe à tout prix ?
– Non, pas vraiment. Je ne le vois pas beaucoup pendant la journée, sauf le midi, de temps en temps.
– Que fait-il quand tu ne déjeunes pas avec lui ? demanda Kévin.
– Je ne sais pas. Je ne lui ai jamais demandé.
– Est-ce qu’il a déjà mentionné quelqu’un qu’il fréquenterait ?
– Non, Sharon. Jamais personne.

Je me tus pendant quelques secondes.

– Est-ce que je peux dire quelque chose ?

Kévin et Sharon acquiescèrent.

– Je viens d’entendre Sharon dire que Jason devenait difficile à contrôler. Est-ce que c’est bien ce que vous voulez ? Le contrôler ? Il aura dix-huit ans en mars. Il sera majeur, et le seul contrôle que vous pourrez exercer sur lui sera de l’obliger à suivre vos règles. S’il n’est pas d’accord, alors votre seul recours sera de le mettre à la porte.
– Nous savons cela, Pete… commença Kévin.
– Non, je ne crois pas. Ce n’est plus un gamin. Vous devez arrêter de lui donner des ordres et commencer à coopérer avec lui. Il a la tête sur les épaules. Donnez-lui une chance de s’en servir.

Kévin et Sharon gardèrent le silence pendant un moment.

– Etes-vous vous conscients à quel point vous le contrôlez déjà ? Est-ce qu’il a déjà eu une petite amie ? Est-ce qu’il est déjà sorti en boîte avec des amis ?
– Non, mais ce n’est pas parce que nous lui avons interdit. Il ne nous a jamais demandé l’autorisation.
– Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi ?

Kévin était absorbé par ses pensées, les mains jointes en prière. Sharon montrait des signes d’énervement.

– A t’entendre, c’est comme si nous le gardions prisonnier.
– D’une certaine façon, c’est vrai. Je crois qu’il a peur de vous demander le droit de faire ce que font tous les adolescents de son âge. 

Le visage de Sharon se contracta sous l’effet de la colère, puis s’adouci, ne laissant plus apparaître que son inquiétude.

– Pourquoi aurait-il peur de nous demander ?
– Je vous pose la question d’une autre façon : lui avez-vous déjà refusé quelque chose sans raison valable ?
– Non, jamais.
– Attends une minute, Sharon, dit Kévin. Souviens-toi, après la mort de Jeff. Jason nous demandait toujours s’il pouvait sortir voir ses amis, parfois dormir chez eux. Je me souviens avoir plus souvent refusé qu’accepté. Maintenant que j’y repense, je ne l’ai autorisé qu’une seule fois à dormir chez un ami. Et je suis certain que c’est la même chose pour toi.
– Quand est-ce qu’il a arrêté de demander ? questionnai-je.
– Environ un an et demi après la mort de Jeff, répondit Kévin d’une voix blanche.
– Est-ce que vous le traitiez différemment que Jeff au même âge ? Est-ce que vous n’aviez pas peur de perdre Jason au point de l’étouffer ?

Kévin et Sharon restèrent silencieux un long moment, déconcertés. Je me resservis un jus d’orange et attendis qu’ils reprennent leurs esprits.

– Comment est-ce que cela a pu nous échapper ? demanda Sharon, en pleurs.
– Je ne sais pas, chérie. Je ne sais pas.

Kévin n’en menait pas large non plus, et sa voix était mal assurée.

– Mon Dieu, qu’est-ce que nous lui avons fait ? Que faire à présent ?

Sharon tendit le bras et prit sa main dans la sienne. Ils écoutèrent ce que j’avais à dire sans m’interrompre.

– A mon avis, Jason a dû vous demander la permission de faire des choses alors que le chagrin de la mort de Jeff était encore trop récent. Vous lui avez répondu « non » si souvent qu’il a cessé de demander. Il n’en voyait plus l’intérêt. Et comme il savait à quel point Jeff vous manquait, il ne voulait pas se plaindre du fait que le traitiez différemment de son grand frère disparu.

Jason descendit dans la cuisine, toujours furieux, l’air renfrogné.

– Est-ce que vous m’emmenez, oui ou non ? demanda-t-il sèchement.

Kévin et Sharon échangèrent un regard, puis se levèrent en même temps. Ils se dirigèrent vers Jason, qui fit un instinctivement pas en arrière.

– Qu’est-ce que j’ai fait encore ? Vous allez me priver de sortie parce que je ne suis pas d’accord avec vous, c’est ça ? demanda-t-il sur un ton ironique.
– Non, Jason. Ta mère t’emmènera comme prévu. Et si tu restes au lycée toute la journée, nous aimerions que tu rentres directement après les cours. Nous souhaitons discuter avec toi.

L’expression de Jason devint méfiante.

– Tu n’as rien à craindre, Jason. Nous souhaitons simplement aborder certains sujets avec toi.
– Bien sûr. Je rentrerai comme un petit garçon obéissant.

Kévin passa un bras autour de la taille de Sharon, puis elle se tourna vers lui et se mit à pleurer ouvertement.

– Qu’est-ce qu’il y a, Maman ? Je suis désolé. S’il te plaît.

Les yeux de Jason se mirent à scintiller aussi.

– Je suis désolé. Ne pleure pas. Je ferai des efforts. Je sais que vous faites ça pour mon bien…

Sharon se retourna et enveloppa Jason dans une étreinte maternelle. Kévin les prit tous les deux dans ses bras protecteurs, les épaules agitées par les sanglots.

Je décidai qu’il était temps de faire ma sortie. En passant à leur hauteur, Sharon m’attira dans le groupe. Je sentis Jason passer un bras autour de mes épaules. Quelques minutes plus tard, nous nous séparâmes, Sharon toujours accrochée à Kévin, espaçant ses sanglots.

– Je ne comprends pas. Qu’est-ce qui se passe ?
– Nous en reparlerons à ton retour. Nous avons… ouvert les yeux sur certaines choses, et nous avons besoin d’en discuter avant de te voir ce soir. Ne t’en fais pas pour le moment.

Voyant que Sharon n’était pas en état de conduire, il dit :

– Je vais t’emmener et je parlerai à M. Johnson. Prépare-toi, nous partons dans quelques minutes.

Kévin conduisit Sharon à l’étage, dans leur chambre.

– Qu’est-ce qui se passe, Pete ? Je ne comprends pas, et ça me fait peur.
– Comme Papa te l’a dit, ça ne sert à rien de t’inquiéter. Ils te parleront quand ils seront prêts.
– Mais tu sais…
– Et ce n’est pas à moi de t’en parler. Désolé, Jason. Je ne peux pas.

Son visage reflétait l’incertitude qu’il ressentait. Je le serrai contre moi une nouvelle fois.

– Passe une bonne journée, frérot. Sois prudent.

Il me donna une accolade à son tour.

– Promis. Prends soin de Brian, d’accord ?
– D’accord. Jason ? Je t’aime.
– Moi aussi, je t’aime, Pete, répondit-il, tandis qu’un sourire éclairait son visage.

Kévin entra dans la pièce, ayant retrouvé quelque peu sa composition.

– Allons-y. A plus tard, fiston.
– Salut, Papa. Salut, frérot.

Jason me fit un signe de la main, puis ils disparurent de mon champ de vision.


Brian était toujours endormi, et toujours brûlant. Je vérifiai sa température, mais elle avoisinait encore les 39 degrés. Je m’assurai qu’il était bien couvert, puis redescendis prendre un vrai petit-déjeuner. Je fis la vaisselle qui restait, puis me resservis un bol de céréales.

En mangeant, je me fis la réflexion que Brian et Jason se ressemblaient beaucoup. A la différence près que l’isolement de Brian était de son fait, tandis que celui de Jason lui avait involontairement imposé par ses parents. Ils réagissaient chacun à leur façon : Brian en se repliant sur lui-même, Jason en intériorisant sa frustration. Chacun se censurait en pensant que la réponse serait toujours « non ».

Tous deux étaient en manque d’affection et le cachaient plutôt bien, Jason par sa distance et Brian par sa colère.

Je souris tout seul en me disant que Sharon et Jason déteignaient sur moi, avec leur manie d’analyser la psychologie de tout le monde.

Je finis mon bol de céréales, le rinçai, puis retournai à l’étage. Brian s’agrippait aux couvertures et marmonnait dans son sommeil. La fièvre doit lui donner des hallucinations, pensai-je. Je m’étendis à côté de lui et le pris dans mes bras. Il se réveilla.

– De l’eau ?
– Bien sûr, bébé. Je reviens.

Je courus vers la salle de bains et revins avec un verre d’eau. Brian l’avala en deux gorgées, me tendit le verre vide, puis laissa retomber sa tête sur l’oreiller. Je posai le verre et m’installai à côté de lui, passant un bras autour de lui. Il était encore chaud, et je le sentais frissonner contre moi. Je me rapprochai de lui et m’endormis en le tenant dans mes bras.


J’avais tellement froid. Peu importait le nombre de couvertures que je tirais sur moi, j’étais toujours gelé. Ce n’est que lorsque Pete s’allongea à côté de moi que je me sentis moins froid. J’alternai des phases de veille et de sommeil alors que la journée avançait. Vers quinze heures trente, ma fièvre tomba, et je me mis à transpirer comme un bœuf. J’avais envie d’uriner comme un bœuf, aussi.

Je tentai de me dégager de l’étreinte de Pete pour aller aux toilettes, mais il me tenait fermement contre lui. Au bout d’un moment, ne pouvant plus tenir, je finis par le réveiller.

– Pete, il faut que j’aille me soulager.

Enfin libre, je trottinai jusqu’à la salle de bains. Relevant la lunette, je vidai ma vessie avec un soupir de satisfaction. Pete apparut derrière moi, encore à moitié endormi après sa sieste avec moi.

– Comment est-ce que tu te sens, Bri ?

Il passa ses bras autour de moi par derrière.

– Fatigué, un peu faible dans les jambes, mais sinon ça va. Ce n’est pas la première fois que j’ai un virus qui dure vingt-quatre heures.
– Est-ce que tu as faim ?
– Je suis affamé ! Qu’est-ce qu’il y a à manger ?
– Nous allons dîner dans quelques heures. Qu’est-ce que tu veux grignoter en attendant ?
– Quelques sandwichs feront l’affaire, je pense.

Pete avait un visage inquiet.

– Je vais bien, bébé. J’ai juste besoin de manger. Je serai remis d’ici un jour ou deux.

Il m’embrassa sur le front et dit :

– D’accord, si tu le dis.

J’approuvai de la tête.

– Alors allons dévaliser la cuisine. Je n’ai pas déjeuné non plus.

La cuisine était telle que je l’avais laissée, à l’exception d’une note sur la table qui disait que Sharon serait de retour peu après quatre heures. Jason aussi allait rentrer d’un moment à l’autre.

– Où est-ce que tout le monde est passé ?
– Jason est au lycée. Kévin doit être au bureau. Je ne sais pas où est partie Sharon. Elle ne le précise pas, dit-il en relisant la note.

Je fouillai dans les placards de la cuisine et trouvai du beurre de cacahuète, ainsi que de la confiture de fraise.

– Tu veux un sandwich ?
– Avec plaisir.

Je fis deux sandwichs pour moi, et un pour Pete. Je les dévorai en quelques secondes, me levai pour chercher un verre de lait et me rassis. Je me sentais à présent capable d’attendre le dîner.

– Tu as raté beaucoup de choses, Brian.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?

Pete me mit au courant de la conversation qu’il avait eue avec Kévin et Sharon, puis me parla des analogies qu’il avait remarquées entre Jason et moi.

– Tu crois que je ressemble à Jason, alors ?
– A plusieurs niveaux, oui.
– Je n’y avais jamais vraiment réfléchi. Je reconnais que nous avons quelques points communs. C’est sans doute ce qui explique certaines questions que je me pose à son sujet.
– Telles que…
– Telle que son absence d’intérêt pour toute relation amoureuse.
– En l’état actuel de nos connaissances. Il n’est pas du genre à se confier. Il n’hésite pas à dire ce qu’il pense, mais il ne parle jamais de lui. Tu vois ce que je veux dire ?
– Oui, j’ai remarqué, dis-je en haussant les sourcils. Je me demande s’il a terminé d’écrire ce que je lui avais demandé.
– Je ne sais pas. Je n’ai pas vérifié.
– Attends ici, je vais aller voir.

Je me levai et me dirigeai vers l’escalier.

– Je viens avec toi.

Une fois l’ordinateur démarré, il ne fallut pas très longtemps pour trouver le fichier comportant l’histoire de Jason.

– Waouh. Regarde, presque 120 kilooctets. Ça doit faire au moins trente pages.

J’essayai d’ouvrir le fichier, mais il était protégé par un mot de passe. J’entrai quelques mots de passe évidents, mais ce fut en vain.

– Je crois que nous devoir attendre qu’il imprime son histoire et qu’il me la donne.
– Qu’est-ce qu’il a pu écrire, selon toi ?
– Je ne sais pas vraiment. Quelque chose qu’il n’arrivait pas à nous dire, apparemment.
– Mmmh, tu dois avoir raison.
– Je crois que je vais écrire un peu, moi aussi. Ça ne te dérange pas, bébé ?
– Non, pas du tout. Est-ce que je peux mettre de la musique ?
– Bien sûr. Ça ne m’empêchera pas d’écrire.

Alors que je regardais Pete s’éloigner ce jour-là, je fus traversé par des émotions contradictoires. J’étais soulagé de pouvoir exprimer ce que je ressentais pour lui, et plus soulagé encore qu’il ressente la même chose pour moi, mais malgré cette exaltation, j’avais des inquiétudes et des doutes au fond de moi. J’étais gay.

Je ne savais pas pourquoi j’avais autant de mal à accepter cette étiquette. A l’époque, tout ce que j’avais vécu m’amenait à penser que c’était mal d’être gay. J’étais incapable de l’expliquer. Je savais qu’être gay n’était pas de tout repos, puisqu’il semblait normal pour les autres garçons de tabasser tous ceux qu’ils trouvaient sur leur chemin. Peut-être était-ce pour cela. J’avais peur de me prendre une raclée.

Je ne m’étais jamais posé la question de savoir si j’étais gay. J’étais attiré par les garçons, un point c’est tout. Pour autant, je ne m’identifiais pas en tant que gay. J’étais juste moi, le même que la veille, la semaine précédente, ou l’année d’avant. Mais maintenant, j’étais officiellement gay. Cela voulait dire que je devenais une cible potentielle. Ce n’était pas une nouveauté pour moi, puisque j’avais été pris pour cible tous les jours depuis la maternelle. Une petite cible très mobile. Mais désormais, j’avais l’impression d’avoir un cœur de cible tatoué sur le front.

Tiens, pourquoi est-ce que cette pensée m’était venue à l’esprit ? pensai-je. J’essayai de continuer à écrire tout en y réfléchissant, mais c’était peine perdue. Il m’avait fallu quinze minutes pour produire ces quelques lignes, et c’était tout ce que j’allais coucher sur le papier pour la soirée, apparemment. Avec un soupir de frustration, j’enregistrai le fichier et m’allongeai sur le lit, à côté de Pete.

– L’angoisse de la page blanche ?
– Non, pas vraiment. J’ai juste écrit quelque chose qui m’a amené à réfléchir. C’est tout.
– A quel sujet ?
– Au sujet du jour où tu m’as révélé tes sentiments, quand j’ai réalisé que j’étais peut-être gay.
– Et qu’est-ce qui te tracasse ?
– Je me demande surtout pourquoi ce souvenir est remonté à la surface. C’est peut-être lié à ce qui s’est passé au lycée. Je ne sais pas.
– Je suis sûr que tu trouveras la raison.
– Oh zut ! J’avais rendez-vous avec Will aujourd’hui !
– Tu es malade, bébé. Je suis sûr qu’il comprendra.
– Si tu le dis…

Nous entendîmes la porte d’entrée s’ouvrir, et la voix de Sharon. Quelques instants plus tard, nous entendîmes Kévin et Jason aussi.

Pete et moi descendîmes les saluer. Tout le monde était surpris de me voir debout. Je répondis à leurs questions sur mon état de santé et les rassurai sur le fait que j’allais mieux.

Un silence gêné s’installa dans la pièce pendant quelques minutes, puis Sharon parla de préparer le dîner, mais Kévin l’arrêta et décida de commander des pizzas.

– Nous avons beaucoup de choses à nous dire, dit-il, et je préfère que nous ne soyons pas déconcentrés par autre chose.

Jason semblait pris au piège, comme un prisonnier sur le point d’être exécuté.

– Nous tenons un conseil de famille ce soir. Ray sera bientôt rentré. D’abord, nous dînerons, puis nous discuterons.

Jason acquiesça d’un air résigné, puis monta l’escalier d’un pas lourd avant de s’enfermer dans sa chambre. Sharon et Kévin échangèrent un long regard, puis haussèrent les épaules d’un air triste.

– Euh, Kévin ? Sharon ? Est-ce que notre présence est vraiment nécessaire ? C’est entre vous et Jason que ça se passe, non ? demanda Pete.
– Oui, votre présence est requise. Tu as fait preuve de beaucoup de finesse dans tes observations, et les histoires de famille nous concernent tous, pas uniquement Jason.

Sharon approuva et passa la commande pour les pizzas.

Ray fit son entrée dans la cuisine depuis la porte d’entrée.

– Salut tout le monde ! Content de te revoir sur pied, Brian. Tu as dormi comme une marmotte depuis ton retour. Qu’est-ce qu’on mange ?
– Des pizzas, répondit Kévin. Nous avons un conseil de famille ce soir après le dîner, donc ne sors pas.
– Ah, d’accord. A qui le tour de passer un mauvais quart d’heure ?
– A personne.  Nous avons juste besoin de discuter.

Nous attendîmes la livraison des pizzas en bavardant, prenant soin d’éviter tout sujet sensible. Quand le livreur arriva, je montai chercher Jason à l’étage et fus surpris de le trouver dans notre chambre, assis derrière l’ordinateur. Il avait imprimé ce qui devait être ce qu’il avait écrit pour moi. Il soupira en cliquant sur le fichier pour le fermer.

– Tout ceci est à toi, maintenant.
– Jase, est-ce que ça va ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette.
– Ça va aller, répondit-il avec un sourire fatigué. J’ai simplement la tête un peu retournée.
– C’est ce que tu as écrit pour moi ?

Il acquiesça.

– Tu pourras le lire plus tard, une fois que Maman et Papa l’auront lu.

Il poussa un nouveau soupir résigné.

– Qu’est-ce qui ne va pas, Jase ? Parle-moi.
– Je… Je ne peux pas. Pas encore. Plus tard, d’accord ?
– D’accord… Mais tu peux être sûr que je ne vais pas te lâcher.

Il haussa les épaules. Ce n’était vraiment pas le Jason que je connaissais.

– Les pizzas sont arrivées.
– Je n’ai pas faim. Appelle-moi quand le conseil de famille aura commencé.
– Jason, il faut que tu manges quelque chose…
– JE T’AI DIT QUE JE N’AVAIS PAS FAIM ! s'écria-t-il.
– D’accord, d’accord. Pff, merci.
– Je suis désolé, Brian. Comme je te l’ai dit, j’ai l’esprit en surchauffe.
– Je comprends, dis-je calmement.

Je lui pressai affectueusement l’épaule et redescendis dans la cuisine.

Le dîner ne dura pas longtemps, à peine quinze minutes. Nous gardâmes de la pizza pour Jason et nous rendîmes dans le bureau à l’étage. Je m’arrêtai devant la porte fermée de Jason et l’appelai.

– Jason, c’est l’heure.

Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit sur Jason, les yeux rougis et les cheveux en bataille. Son expression était un mélange de peur et de résignation. Il tenait nerveusement ses feuilles imprimées dans la main.

– D’accord, dit-il, d’une voix à peine plus audible qu’un chuchotement.


Chapitre 9

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