Pour l'amour de Pete

Roman gay inédit

Chapitre 11

Mes grands-parents étaient morts. Je les connaissais à peine, mais je les aimais déjà plus que ma mère. A présent, j’étais assis sur le lit de Kévin et Sharon et je me demandais ce qui allait m’arriver. Etrangement, je ne ressentais aucun chagrin. Etais-je devenu aussi insensible et froid que ma mère ? Je balayai immédiatement cette pensée. Je n’avais plus de mère. Elle avait cessé d’exister quand elle m’avait arraché à mon petit ami.

– Que va-t-il se passer pour moi ? Comment vais-je survivre ? Où vais-je habiter ? Qui aura ma garde ?

Je réfléchissais à voix haute. Kévin endossa son rôle d’avocat et répondit immédiatement à mes questions.

– Nous ne savons pas encore ce qui va se passer pour toi. Ne t’en fais pas pour tes besoins matériels, nous verrons cela plus tard. Pour l’instant, tu peux habiter chez nous, si tu es d’accord. Sinon, nous trouverons une autre solution. Nous nous battrons pour que ta mère reste loin de toi. Nous pensons que c’est préférable pour toi, même si nous ne savons pas encore exactement comment nous y parviendrons.

Il soupira et passa la main dans ses cheveux. Il me regarda intensément.

– Au fond de toi, tu dois avoir mal. Tes grands-parents sont morts, Pete. J’en suis sincèrement désolé. S’il te plait, essaie de dire à Sharon ce qu’il se passe dans ton cœur. C’est très important. Tu dois commencer à faire ton deuil.

Les yeux de Kévin étaient étincelants et pénétraient mon âme. Je me sentais nu sous son regard, comme si je n’avais nulle part où me cacher. Mon regard était verrouillé sur le sien, et j’étais incapable de détourner les yeux. Il se pencha vers moi et me serra dans ses bras, reposant sa tête sur ma poitrine.

– Pete, tu as le droit de ressentir de la peine, de la colère, de la confusion, et même de la culpabilité. Cependant, tu dois savoir que ce n’est pas de ta faute. Tu ne pouvais pas empêcher ce qui est arrivé. 

Je me souvins du moment que nous avions passé ensemble dans le mobile-home, quelques jours plus tôt, quand Kévin m’avait tenu dans ses bras pendant que je pleurais. Quelques-unes de ces émotions remontèrent à la surface quand il prononça ces mots. Mes yeux s’emplirent de larmes, ma respiration devint hachée, et je me mis à pleurer doucement. Pas de hurlements, pas de cris, juste des sanglots silencieux. Sharon se plaça juste derrière moi et me serra aussi dans ses bras. Nous restâmes enlacés tous les trois jusqu’à ce que mes larmes se tarissent.

Alors que je reprenais mes esprits, quelques instants plus tard, j’esquissai un sourire en m’adressant à Kévin :

– Tu es sûr que ce n’est pas toi le psy, et Sharon l’avocate ?

Kévin se leva et ébouriffa mes cheveux.

– Non, je suis toujours le requin. Il se trouve simplement que j’ai plus d’expérience avec les garçons dans ce genre de situation que Sharon. Après tout, je suis un garçon aussi, dit-il avec un sourire. Comment te sens-tu ?

Essuyant mes dernières larmes, je répondis :

– Je me sens mieux maintenant que le choc initial est passé et que j’ai pleuré un peu. Mais j’ai toujours besoin de trouver des réponses à mes questions.

Je sentis Sharon s’agiter pendant que je parlais.

– Je t’ai dit tout ce que je savais. L’année à venir risque d’être assez chahutée pour toi. Je ne vais pas te mentir, Pete. Je te protégerai du mieux que je pourrai. Il faudra peut-être que tu témoignes contre ta mère si tu veux être émancipé. Il faut t’y préparer. Pour le reste, nous aviserons au fur et à mesure. Allez, viens, je vais te présenter à M.Vanderkamp.

Nous traversâmes le palier en silence. Sharon descendit l’escalier, probablement pour annoncer aux autres ce qui était arrivé à mes grands-parents. J’espérais qu’ils ne me traiteraient pas avec pitié. Je ne voulais pas que nos rapports changent à cause de ce qui s’était passé.

Juste avant d’entrer dans le bureau, je saisis le bras de Kévin :

– Je ne veux pas retourner chez ma mère. Ni revoir son salopard de petit ami. Jamais.
– Alors nous ferons en sorte que cela n’arrive pas.

Il entra dans le bureau, et je lui emboîtai le pas. M.Vanderkamp prit les choses en main dès notre entrée.

– Asseyez-vous, mes amis. Pete, je te présente mes sincères condoléances. Mon cœur est avec toi.
– Merci, M.Vanderkamp.
– Tu peux m’appeler Van, si tu veux, ce sera moins formel. Kévin m’a dit que tu étais un jeune homme exceptionnel, et si tu lui as fait cette impression, je suis sûr que ce sera le cas pour moi aussi.

Je changeai maladroitement de position sur ma chaise. Visiblement, Van avait décidé de me représenter au tribunal. Etant donnée sa réputation, je savais que je ne pourrais jamais me payer ses services, même pour une journée.

– M. …Van, merci d’être venu jusqu’ici, mais je crains que votre aide soit au-dessus de mes moyens. Je n’ai pas d’argent, ni même de travail…
– Qui t’a parlé d’argent ? Kévin fait partie de ma famille, et si tu comptes autant pour lui, cela fait de toi un membre de la famille aussi. Dans tous les cas, quand il s’agit de la famille, je travaille pro bono. Donc je ne veux plus entendre parler d’argent, d’accord ? dit-il en souriant.

J’avais vraiment de la chance d’être tombé sur la famille de Kévin. J’étais reconnaissant de ce qu’ils faisaient pour moi, et je les aimais chaque jour un peu plus. J’aurais été heureux de les avoir comme parents.

Van passa les deux heures suivantes à me poser des questions sur mon passé, notamment comment j’en étais arrivé là, et pourquoi je détestais autant ma mère. Je racontai une nouvelle fois mon histoire, sans rien omettre. Kévin et lui prirent des notes, et Van enregistra la conversation. A un moment donné, je leur demandai si Kévin allait me représenter aussi, et Van me répondit par la négative. Kévin serait plus utile en arrière-plan, étant donné qu’il était directement impliqué dans l’affaire. J’en déduisis que ce n’était pas la première fois qu’ils géraient ce genre de situation.

Nous terminâmes autour de minuit, à mon grand soulagement. J’étais épuisé et j’avais du mal à rester éveillé. Van rangea ses papiers et se leva pour partir. Je me levai en même temps que lui. Je devais trouver un moyen de lui témoigner ma reconnaissance. Quand il passa devant moi, je pris sa main et la serrai, en essayant de lui faire passer ce que je ressentais. Il me sourit chaleureusement et me serra contre lui dans une accolade qui faillit m’étouffer.

– Je sais, fiston, je sais. Tu ne me dois rien, souviens-toi de ça. Kévin m’a parlé de toi, et je t’aime déjà, d’après ce qu’il m’a raconté. Je suis impatient de faire plus ample connaissance avec toi et de t’intégrer dans ma famille étendue, dont Kévin fait partie.

Il me relâcha, et je vis qu’il avait le regard brillant. Il sourit et m’ébouriffa les cheveux.

– Je dois y aller, et tu dois aller te coucher. Je te reverrai d’ici quelques jours, dit-il en sortant.

Kévin raccompagna Van à sa Mercedes. Je m’approchai de la fenêtre et les observai. Ils discutèrent encore pendant cinq minutes, leur visage éclairé par la lumière de la rue. Puis Kévin regarda le sol, comme pris d’une tristesse soudaine. Van tendit la main pour serrer l’épaule de Kévin, en lui parlant doucement. Kévin releva la tête et se jeta brusquement dans les bras de Van. Ils se séparèrent quelques secondes plus tard, leur visage encore rayonnant de l’affection qu’ils se portaient mutuellement. Van monta dans sa voiture et démarra. Kévin le regarda s’éloigner en lui faisant un signe de la main. Puis il resta immobile quelques minutes, le regard perdu dans le vide.

Finalement, il se tourna vers la maison, et leva les yeux vers la fenêtre du bureau où je me trouvais. Je sais qu’il m’aperçut, car ma silhouette se découpait en ombre chinoise contre la lumière derrière moi. Retournant à ma chaise, je fus de nouveau émerveillé d’avoir été accepté dans une famille aussi chaleureuse. Malgré tous mes complexes et mes problèmes, ils m’avaient pris sous leur aile, et j’avais désormais une place dans leur vie, tout comme Ray.

Je me surpris à imaginer ce que serait ma vie dans un an. Me retrouverais-je tout seul, à travailler pour un salaire misérable qui me permettrait à peine de survivre ? Serais-je contraint de vivre avec ma mère avant de me retrouver à la rue ? Est-ce que Kévin et Sharon allaient me recueillir ? Toutes ces éventualités, dont certaines étaient inquiétantes, me donnaient le tournis. Je ne voyais que deux ou trois solutions qui me rendraient heureux. La plus excitante d’entre elles, mais également la moins réaliste, était que Lisa et Ben m’invitent à habiter chez eux avec Brian. Si j’avais le choix, c’était certain, je retournerais auprès de Brian à la première occasion.

Perdu dans mes pensées, j’attendis que Kévin remonte dans le bureau. Il ferma la porte derrière lui.

– Désolé de t’avoir espionné, Kévin.
– Ne t’en fais pas. Tout le monde sait ce que je ressens pour Van. C’est le père que je n’ai jamais eu. A quoi pensais-tu ?
– A la chance que j’avais de vous avoir rencontrés, Ray, toi, et toute la famille. Si les choses s’étaient passées autrement, je serais peut-être à la rue, à l’heure qu’il est, sinon pire.
– C’est un peu mélodramatique, tu ne trouves pas ?

Je réfléchis pendant un moment, puis je répondis :

– Non, je ne crois pas. Le petit-ami de ma mère est homophobe, et il m’a déjà frappé. Rien de méchant, mais j’ai déjà eu des bleus, et elle l’a laissé faire. Elle est tellement égoïste qu’elle serait capable de me mettre à la porte. Ou elle lui demanderait de le faire.
– Il t’a frappé, et tu as eu des bleus ?

J’acquiesçai.

– J’aurais bien aimé avoir des photos. L’audience pour ta garde aurait été grandement facilitée. Et avant que tu ne proposes d’y retourner pour que nous fassions des photos, je t’interdis d’y remettre les pieds. J’insiste. Ta vie vaut mieux que ça. Est-ce que c’est clair ?

J’acquiesçai de nouveau.

– Pete, nous avons essayé de te faire passer un message, mais je ne suis pas sûr que tu l’aies compris, donc je vais le répéter. Je ne veux pas qu’il y ait de malentendus entre nous. Tu fais partie de notre famille. Tu peux rester ici aussi longtemps que tu veux. Sharon et moi avons pris cette décision il y a un certain temps déjà. Nous avons les moyens de nous occuper de toi, et tu nous apportes tellement de choses en retour. Si tu ne veux pas rester avec nous, nous te trouverons un endroit sûr où aller. Je sais qu’il y a des tensions entre toi et Ray, donc tu seras le seul juge.
– Je ne sais pas quoi répondre. Vous m’avez déjà tellement donné, et je n’ai rien à vous donner en retour…
– Foutaises. Pete, tu nous apportes tellement d’amour et de joie que je te défends de dire que tu n’as rien à nous donner. Et si je t’entends te dévaloriser comme ça de nouveau, je te mets une raclée, tu m’entends ?

Il me fit un grand sourire, et je ne pus m’empêcher de sourire à mon tour. Il savait me remonter le moral.

– Maintenant, passons aux choses sérieuses. Nous demanderons ta garde provisoire demain matin à la première heure. Tu devras peut-être parler au juge, mais nous espérons que l’enregistrement sera suffisant. L’enterrement aura lieu demain. Est-ce que tu veux y aller ?
– J’aimerais bien.
– Alors tu iras. Est-ce que tu souhaites que quelqu’un t’accompagne ?
– Tout le monde, si c’est possible. Je n’ai plus de famille, et je me sens un peu seul à présent. J’ai besoin de vous sentir près de moi.

Ma voix se brisa. Mes larmes étaient de retour.

– Vous êtes toute la famille qui me reste. Vous et Brian.

Ces paroles résonnèrent dans ma tête. J’avais du mal à me convaincre que j’allais vivre avec eux. Je ne voulais pas me bercer de faux espoirs.

Kévin s’assit à côté de moi et posa une main sur mon genou.

– Après l’enterrement, il y aura une lecture du testament. Tes grands-parents ont laissé une lettre pour demander que tu sois présent à la lecture. Est-ce que tu souhaites y assister ?
– Oui. Mais comment est-ce que je vais faire avec ma mère ?
– D’ici là, nous aurons ta garde temporaire et une mesure d’éloignement à l’encontre de ta mère. Elle prendra effet après la lecture du testament, mais un policier sera présent au cas où les choses tourneraient mal. Van pourra également être présent, si tu veux.
– Ce serait bien.

Je ne pus réprimer un bâillement involontaire. Kévin sourit quand il entendit craquer ma mâchoire.

– Je crois que je devrais aller me coucher. Est-ce que tu as besoin de savoir autre chose ?
– Non, Pete. Le reste peut attendre demain. Est-ce que tu veux que je te prépare la chambre d’amis ?
– Ce serait mieux. Je ne sais pas si Ray veut de moi dans sa chambre.
– Il était toujours debout quand je suis rentré tout à l’heure. Tu devrais peut-être lui poser la question.
– Pourquoi ? Pour qu’il s’emporte de nouveau ? Je ne sais pas.
– Tu veux que je lui pose la question ?
– Si tu penses que c’est nécessaire, répondis-je en soupirant.
– Attends ici, alors, dit-il en se levant.

Il quitta la pièce et j’attendis en remuant nerveusement. Ray et moi n’étions pas encore vraiment réconciliés ; nous avions simplement conclu une trêve. Je savais ce qu’il ressentait pour moi, et je ne voulais pas le faire souffrir davantage. Et je ne me sentais pas complètement à l’aise en sa présence, connaissant ses sentiments.

Quelques instants plus tard, Ray fit son apparition dans le bureau et ferma la porte derrière lui. Il s’assit sur une chaise près de la fenêtre. Son regard croisa le mien, et il baissa les yeux. Un silence pesant s’installa pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce que je prenne la parole.

– Ray, je sais ce que tu ressens pour moi, et je sais ce que tu attends de moi. Mais je ne peux pas te donner ce que tu veux. Je suis désolé.

Je passai la main dans mes cheveux et poursuivis :

– Si c’est trop dur pour toi que j’habite ici, alors j’aimerais que tu me le dises. Je ne veux pas te faire souffrir davantage. Kévin m’a dit qu’il m’aiderait à trouver un endroit où je serais en sécurité. Je te laisserai tranquille, si c’est ce que tu veux. Il suffit que tu me le dises.

Il cessa de regarder le sol et leva les yeux vers moi pendant que je finissais ma phrase. Puis il fit une chose à laquelle je ne m’attendais pas. Il esquissa un sourire.

– Ecoute-moi, et écoute-moi bien, frérot. Il est hors de question que tu déménages, même dans tes rêves. Je t’aime trop pour ça. Mon cerveau attardé a fini par comprendre que ton cœur appartenait à Brian, et que je ne pouvais rien y changer. Je ne le voudrais pas, d’ailleurs. Si tu ne peux pas être mon amant, tu seras mon ami, dit-il en s’amusant de son jeu de mots. Sérieusement, tu ne pouvais pas mieux tomber, compte tenu de ce qui t’attend. Toute la famille t’aime comme un frère ou comme un fils. Je pourrais même te détester pour ça, ajouta-t-il avec un sourire en coin. Tu m’as piqué ma place, alors que j’étais censé avoir le premier rôle !

Et avec ça, il se jeta sur moi, renversant ma chaise en arrière et me suivant au sol. Il mit tout son poids sur moi alors que j’étais sur le dos, avec mes genoux coincés sous ses épaules. Je me débattis pour me dégager, mais il ne céda pas, tout en riant de bon cœur. 

– Je crois que nous serons obligés de partager le premier rôle.

Ray se releva et me tendit la main. Je l’attrapai, et il me tira vers lui, me prenant dans ses bras. Nous nous enlaçâmes, non pas comme des amants, mais comme des frères qui venaient de se réconcilier.

Nous entendîmes frapper à la porte, et la voix de Kévin nous parvint :

– Tout va bien là-dedans ?
– Tout va bien ! Laisse-nous encore quelques minutes.
– D’accord. Essayez juste d’épargner le mobilier.

Les pas de Kévin s’éloignèrent sur le palier.

– Pete, si tu veux dormir dans ma chambre, il n’y a pas de problème. Si tu veux dormir dans ta nouvelle chambre, ça me va aussi. C’est à toi de choisir. Si tu veux parler, ou si tu te sens seul, tu sais où me trouver.

Il me relâcha, ouvrit la porte et sortit, me laissant seul de nouveau.

J’étais soulagé d’avoir eu cette conversation avec Ray. Il m’avait ôté mes angoisses et mes peurs. Je ne voulais vraiment pas quitter les Patterson. J’avais besoin d’être avec eux, de me sentir en sécurité, désiré et aimé. Cela ne m’était encore jamais arrivé, et je ne savais pas comment réagir. J’attendais la prochaine catastrophe.

– Comment te sens-tu, fiston ? dit Kévin en entrant dans la pièce.
– Ça va, répondis-je en soupirant. Les choses vont trop vite pour moi. Mais tout est réglé entre Ray et moi, à présent.
– C’est ce qu’il m’a dit. Pete, je ne vais pas te mentir. Ce qui t’attend ne va pas être facile. Sharon et moi te soutiendrons pendant la bataille pour ta garde. Nous voulons que tu restes chez nous. Tu es devenu un autre fils pour nous dans le peu de temps que nous t’avons connu. Je ne sais pas ce que nous ferions sans toi.

J’entendis ces paroles, mais elles ne traversèrent pas le blindage autour de mon cœur.

– Papa a raison, Pete, dit Jason, qui s’était glissé derrière nous. Je veux que tu restes avec nous. J’aime bien avoir un autre petit frère à embêter, ajouta-t-il avec un sourire espiègle.
– Que se passera-t-il quand je serai, euh, émancipé de ma mère ?
– Il y a plusieurs possibilités, mais ce serait trop long à expliquer ce soir. Allez vous coucher, les garçons. Demain sera une journée éprouvante pour nous tous.

Nous obéîmes et rejoignîmes nos chambres respectives. Je fermai la porte derrière moi et me déshabillai. Après avoir éteint la lumière, je me blottis bien au chaud sous la couette. La porte s’entrouvrit, et je vis la silhouette de Sharon.

– Pete ? chuchota-t-elle, de peur de me réveiller.
– Je ne dors pas encore.

Elle ouvrit la porte et entra dans la chambre, éclairée par la lumière du couloir.

– Je suis juste passée voir si tout allait bien.

Assise sur le bord de mon lit, elle me caressa maternellement le visage, s’arrêtant sur ma joue.

– Comment te sens-tu ?
– Un peu perdu. Triste à cause de la mort de mes grands-parents. Je crois que je suis encore en état de choc. Heureux parce que vous m’avez accueilli chez vous et que j’ai une vraie famille, même si ça ne dure pas. Anxieux parce que je ne sais pas comment tout ceci va se terminer. Et j’ai peur. Je ne veux pas retourner chez ma mère et son petit ami. Ils me tueront, j’en suis certain, et je fuguerai si je suis obligé de revenir chez eux.

Elle me caressa la joue de nouveau, en souriant tendrement.

– Ne t’inquiète pas pour l’avenir. Prends chaque jour comme il vient, et un jour à la fois. Tu peux faire confiance à Kévin et Van. Ils feront de leur mieux pour te défendre. Et je serai là à chaque fois que tu auras besoin de moi. Nous ne te laisserons pas tomber.

Elle se pencha et m’embrassa sur le front. Elle me caressa une dernière fois la joue avant de se relever.

– Dors bien, Pete. Tu es en sécurité ici, dit-elle avant de fermer la porte doucement derrière elle.

Après son départ, je restai éveillé dans mon lit, réfléchissant à ce qui allait arriver. D’abord, ce serait l’attribution de la garde temporaire et la mesure d’éloignement. Ce serait réglé demain, ou plutôt ce matin, vu l’heure. Puis ce serait l’enterrement et la lecture du testament. Il faudrait que j’affronte ma mère dans les deux cas. Je ne savais pas si mon oncle et ma tante seraient présents. Ensuite, la bataille pour ma garde commencerait. Je ne savais même pas quels seraient les arguments des uns et des autres. Et une fois cette question réglée, mon combat pour retrouver Brian pourrait commencer.

En pensant à lui, je finis par trouver le sommeil. Mes rêves cette nuit-là furent remplis d’images contradictoires. Mes parents qui frappaient Brian parce qu’il était gay, Brian et moi assis ensemble en train de rire, Brian qui me rejetait le jour où je lui avouais mes sentiments à l’école, Brian et moi en train de faire l’amour.

Un rêve me réveilla en me donnant des sueurs froides. Je l’avais déjà eu, peu après notre arrivée à Portland. J’essayais de sortir par la porte du bas, mais mon père m’attrapait et me hurlait dessus. Je poussai un cri en me débattant dans mon rêve et me réveillai assis dans mon lit, le cœur battant à tout rompre et le visage en sueur. Je ne savais pas si j’avais crié dans mon rêve ou dans la réalité, mais je n’entendis aucun bruit dans la pièce. Je laissai tomber ma tête dans les mains, serrant les poings de frustration. Je détestais l’emprise que ces rêves avaient sur moi.

La porte s’ouvrit, et j’eus du mal à reconnaître la silhouette de Ray dans l’obscurité. Me voyant assis dans mon lit, il demanda :

– Ça va, frérot ? J’ai cru entendre quelque chose.
– Tout va bien, mentis-je, trahi par un tremblement de voix.

Ray entra et ferma la porte doucement.

– Tu veux parler ?
– Non, ce n’était qu’un mauvais rêve, ça va passer, lui dis-je en secouant la tête.

C’était encore un mensonge, mais Ray dut le deviner, car il s’approcha du lit.

– Pousse-toi. Tu as besoin de compagnie.
– Ray, je pensais t’avoir dit…
– Je sais. Ce n’était pas une proposition indécente. J’ai déjà perdu des êtres chers, et je sais ce que ça fait de se sentir seul. Je suis simplement là pour te tenir compagnie.

Il grimpa dans le lit et se glissa sous la couette à côté de moi. Il tapota la place vide entre nous et dit :

– Allez, viens, et essayons de dormir un peu.

J’hésitai un moment, puis m’allongeai à côté de lui. Ray se colla derrière moi en cuillère, et passa son bras au-dessus de ma taille. Je restai réveillé pendant encore quelques minutes, le temps que sa respiration devienne régulière, puis je m’endormis, me sentant aimé et en sécurité.

Le lendemain matin arriva trop vite. J’aurais bien dormi quelques heures de plus, mais nous avions une journée bien remplie devant nous. Ray ronflait doucement, presque comme s’il ronronnait. Il avait toujours un bras autour de moi, qui reposait sur mon ventre. C’était agréable d’être contre lui, mais je me sentais un peu coupable, comme si je faisais une infidélité à Brian. Il ne s’était rien passé entre Ray et moi, mais je culpabilisais quand même. Je soulevai le bras de Ray sans le réveiller. Il était 6h12. Bien trop tôt.

L’envie de prendre une douche me conduisit à la salle de bains, qui par chance était libre. Je fermai la porte derrière moi sans la verrouiller, comme les quatre garçons de la maison allaient se partager la salle de bains ce matin. Je supposais que Jared avait dormi à la maison.

Après avoir tiré le rideau de douche, je laissai couler l’eau à la température maximale.  L’eau chaude arriva rapidement et j’ajustai la température avant d’entrer dans la baignoire. La sensation du jet brûlant sur mon corps fatigué était merveilleuse. Mes épaules et ma nuque se détendirent immédiatement. C’était tellement bon que je perdis conscience du temps, laissant simplement l’eau couler sur moi en cascade. Puis j’entendis la porte de la salle de bains s’ouvrir et se refermer.

Je ne savais pas qui c’était, et bientôt j’entendis quelqu’un uriner de l’autre côté du rideau de douche. La chasse fut tirée, entraînant une vague d’eau brûlante dans le jet de la douche. Je poussai un cri de surprise et tentai de l’éviter, mais dans ma précipitation, je perdis l’équilibre. Heureusement, je réussis à me rattraper, mais en arrachant la moitié du rideau de douche au passage.

Jared me regarda d’un air abasourdi, puis me demanda :

– Eh, Pete ! Ça va, rien de cassé ?

Me couvrant avec ce qui restait du rideau de douche, je lui répondis :

– Non, ça va, plus de peur que de mal.

J’étais gêné de lui parler dans mon plus simple appareil, même si j’étais enveloppé dans le rideau de douche.

– Tu es sûr ?

J’acquiesçai en réponse.

– D’accord. Alors je te laisse terminer. Au fait, tu as un corps magnifique, dit-il en fermant la porte derrière lui.

Jared m’avait déjà fait ce compliment, et le fait de l’entendre de nouveau me déconcerta. A chaque fois que je pensais à quelqu’un d’autre que Brian, un sentiment de culpabilité s’emparait de moi, comme si je le trompais en pensée. Même après tout ce temps, mon cœur appartenait encore à Brian, et je ne pouvais rien y faire.

Après avoir coupé l’eau et jeté ce qui restait du rideau, je sortis de la baignoire, attrapai une serviette et me séchai. Je bondis vers ma chambre avec la serviette nouée autour de la taille. Ray dormait encore à poings fermés, mais il avait roulé de l’autre côté du lit. 

Je fouillai dans mon sac de voyage pour trouver des sous-vêtements propres que j’enfilai, ainsi qu’un Levis et un T-shirt. Ray remua pendant que je m’habillais, sans se réveiller. Je quittai la pièce à pas feutrés, mes chaussures et mes chaussettes à la main. Il y avait du bruit dans la cuisine en bas, donc soit Sharon, soit Kévin étaient debout. Je m’assis sur la première marche pour mettre mes chaussettes et mes chaussures, sans les attacher. Le soleil émergeait tout juste à l’horizon et illuminait le ciel de couleurs vives.

Dans la cuisine, je trouvai Kévin et Sharon assis à la table du petit-déjeuner, buvant leur café et lisant le journal régional. Je m’approchai de la table et demandai du jus d’orange. Quand je rompis le silence, Sharon sursauta au point qu’elle faillit tomber de sa chaise, et Kévin renversa du café sur la table.

– Ça ne va pas de nous faire des frayeurs pareilles ? J’ai failli avoir une crise cardiaque ! Et j’aurais pu me brûler, par-dessus le marché !

Kévin avait l’air passablement irrité de mon effet de surprise.

– Je suis désolé. Je ne fais pas de bruit quand je marche. Je fais sursauter les gens tout le temps, mais ce n’est pas volontaire.

Je me sentis soudain triste. C’était mon premier jour dans ma nouvelle maison, et j’avais déjà réussi à contrarier mes parents. J’avais toujours du mal à me faire à l’idée qu’ils soient devenus mes parents. J’avais l’impression d’être dans un rêve, et non dans la réalité.

Sharon avait dû détecter quelque chose dans ma voix, car elle se leva pour venir se placer devant moi. Elle prit mon visage dans ses mains, m’obligeant à la regarder dans les yeux. 

– Ca va bien, Pete ? Comment te sens-tu ?

Je poussai un soupir et essayai de me dégager. Elle me relâcha rapidement.

– Je vais bien. Peut-être un peu déprimé. Il y a beaucoup de changements auxquels je dois m’habituer en peu de temps. Mais ça va aller.
– Bien. N’oublie pas que je garde un œil sur toi. Tu veux ton petit-déjeuner ?
– Juste un jus d’orange, s’il te plait. Je n’ai pas très faim, ce matin. J’ai l’estomac en boule.
– C’est normal, dit Kévin, en épongeant le café renversé. Tu es certain que tu veux aller à l’enterrement ?
– Je n’ai pas le choix. Je dois y aller pour remercier mes grands-parents de tout ce qu’ils ont fait pour moi. Je dois me faire à l’idée que ma mère y sera aussi. Quand est-ce que nous allons au tribunal ?
– Nous n’y allons pas. Van va s’en occuper ce matin à huit heures. Nous avons toutes les chances d’obtenir satisfaction, comme ta mère a déjà renoncé à s’occuper de toi en confiant ta garde à tes grands-parents. Tu resteras avec nous au moins jusqu’à la fin de la procédure.
– Quand est-ce que l’enterrement aura lieu ?

Sharon me tendit le verre de jus d’orange qu’elle venait de verser pour moi et me fit signe de m’asseoir à table.

– A onze heures. La cérémonie se déroulera au cimetière. Pete, si tu ne veux pas y aller, je suis sûre que…
– Je veux y aller. J’en suis sûr.

J’étais agacé qu’ils n’arrêtent pas de me poser la question.

– Je suis déterminé, donc n’essayez pas de me faire changer d’avis.
– D’accord, mon fils. Alors nous irons ensemble.

Kévin venait de m’appeler son fils ! Je fus pris de court, et je restai bouche bée.

– Ca va, Pete ?

Je fus incapable de répondre, essayant de mesurer la portée de ce qu’il venait de dire. Kévin et Sharon attendirent patiemment que je retrouve la parole.

– Tu m’as appelé ton fils !
– Oui, c’est vrai. Tu préférerais que je t’appelle autrement ?
– Non, c’est très bien. C’est juste que… je ne m’y attendais pas.
– Pete, tu dois comprendre une chose. Quand nous t’avons dit que tu faisais partie de la famille, nous le pensions vraiment. Tant que nous serons ensemble, et au-delà, tu seras notre fils. Tu auras toujours ta place parmi nous.

J’intégrai ses paroles, puis je fixai le sol.

– Mais je ne peux pas vous appeler Papa et Maman. Je n’y arriverai pas, dis-je d’une voix timide et triste.
– Cela viendra avec le temps, ou peut-être pas. De toute façon, ne crois pas que nous t’aimerions moins pour cette raison. Ce serait comme si nous t’aimions moins parce que tu es gay.

Je tressaillis.

– Je suis désolé, Pete. Je me laisse parfois emporter dans mon discours. Je ne voulais pas te blesser.
– Non, ça va. C’est simplement que ça me fait toujours mal qu’ils n’aient pas pu m’accepter pour ce que je suis. Je m’en remettrai un jour. Il le faudra bien.

Je sirotai mon jus d’orange, perdu dans mes pensées. J’allais devoir affronter ma mère à deux reprises aujourd’hui, à l’enterrement et à la lecture du testament. J’étais certain qu’elle dirait quelque chose pour me blesser. Elle serait probablement avec Curt. Je ne savais pas comment j’allais réagir.

Le restant de la matinée s’écoula rapidement. Les autres garçons se réveillèrent avec un appétit féroce, et Sharon leur prépara un petit-déjeuner consistant. J’avais retrouvé l’appétit à ce moment-là, donc je mangeai ma part.

Pendant le petit-déjeuner, tout le monde marchait sur des œufs pour ne pas me froisser, et cela m’irrita. Je me levai au milieu du repas et tapai sur la table pour avoir leur attention. Sept paires d’yeux me regardèrent.

– Ecoutez, j’ai perdu mes grands-parents et je dois avoir l’air triste. Mais ce qui me déprime encore plus, c’est de ressentir votre pitié. Il faudra bien que je me fasse à l’idée qu’ils ne sont plus là. Ne craignez pas de me blesser, je ne suis pas fait de sucre. Ne changez rien à votre façon de vous comporter envers moi, c’est ce qui m’aidera le plus.

Un silence s’abattit sur la pièce quand je me rassis. Je le brisai en demandant à Jason de me passer le poivre. Tout le monde se remit à parler en même temps, mais je sentis que j’avais empiré les choses. Personne n’osait plus m’adresser la parole, de peur de commettre une maladresse. Sharon me regardait bizarrement de l’autre côté de la table, et Kévin fuyait mon regard. Je me sentais mal à l’aise.

J’engloutis ce qui restait dans mon assiette, me levai brusquement, mis ma vaisselle dans l’évier, et sortis de la maison.

Il faisait déjà chaud dehors. La journée s’annonçait magnifique. En descendant la rue, je regardai les oiseaux se percher sur les branches ou sautiller sur le sol à la recherche de leur repas matinal. La rue s’arrêtait au niveau d’une barrière qui empêchait les voitures de tomber dans le vide, comme la pente de la colline était abrupte. Le Mont Hood scintillait au loin, surplombant les collines avoisinantes. Je laissai libre cours à mes pensées pendant un long moment, sans m’arrêter sur une idée précise. 

J’entendis quelqu’un arriver derrière moi, mais je l’ignorai. Jason s’éclaircit la gorge et s’avança à ma hauteur, regardant la montagne avec moi. Nous restâmes ainsi pendant quelques minutes, puis Jason prit la parole :

– Quand Jeff s’est tué, j’ai eu du mal à comprendre son geste. Je ne le comprends toujours pas, d’ailleurs, mais je sais ce que j’ai ressenti en perdant mon frère. Je voulais tellement lui ressembler. C’était mon héros.

Il se retourna et s’assit sur la barrière en levant le regard vers moi. Je continuai à regarder le paysage au loin.

– Mais les choses ont changé. Jeff continue à m’inspirer, mais ce n’est plus mon héros. Il m’a appris que je devais être fidèle à mes propres rêves, et non à ceux que les autres avaient pour moi. Il m’a aussi fait réaliser que pour obtenir quelque chose dans la vie, y compris l’amour et la tolérance, il fallait être prêt à tout risquer. Sans prise de risque, la vie suit son cours. Elle s’écoule au lieu d’être vécue. Jeff m’a donné envie d’aller plus loin que lui, et d’éviter ses erreurs. J’ai un nouveau héros. Quelqu’un qui a de la force, du courage, de l’ambition, de l’entrain, quelqu’un qui sait ce qu’il veut, et qui ne fait pas semblant d’être quelqu’un d’autre. J’admire vraiment cette personne, car en dépit des tragédies qu’il a vécues, il continue à avancer, sans se laisser détourner de son but.

Je le regardai. Où est-ce qu’il voulait en venir ? Tout ceci n’avait rien à voir avec ce qu’il s’était passé. Jason poursuivit :

– Mais même si mon héros a toutes ces qualités, il n’est pas tout seul dans son voyage. Tous les héros que je connais ont quelqu’un qui veille sur eux, pour les soigner quand ils sont blessés, pour être leur ami quand ils en ont besoin. Parfois le héros doute de lui-même. Son compagnon est toujours là pour lui remonter le moral et le convaincre qu’il peut affronter ce qui se présente sur son chemin. Donc tout le monde, même un héros, a besoin d’un ami pour l’aider, et être à ses côtés quand il en a besoin.

Je l’écoutai attentivement, essayant de comprendre où il voulait en venir, mais le sens de ses propos m’échappait encore.

– Mon héros a beaucoup d’amis, et chacun d’entre eux donnerait sa vie pour lui, sans hésiter. Ses amis tiennent tellement à lui qu’ils ne veulent pas le blesser, par maladresse, quand il est abattu. Est-ce que tu sais qui est ce héros ?
– Il a l’air sympa. J’aimerais bien le rencontrer.
– Tu l’as déjà vu. Tu le connais depuis assez longtemps, en fait.
– Ah bon ? C’est qui ?
– C’est toi, Pete. Tu es mon héros.

Je restai bouche bée.

– Je ne suis pas un héros. Je fais juste ce que j’ai à faire. 
– C’est exactement ce que je dis. Tu fais ce qu’il faut, même si tu dois en souffrir.
– Tu parles. Je m’enfuis comme un lâche.
– Pas du tout. Tu aurais pu te mettre en couple avec Ray, ou même avec Jared, et je suis sûr que tu aurais été heureux. Mais tu es resté fidèle à Brian, malgré son absence. Ta loyauté n’a pas faibli, quand bien même ce serait plus facile pour toi de reprendre ta liberté. C’est quelque chose que la plupart des gens ne savent pas faire. Tu es quelqu’un d’honnête, Pete, et tu respectes tes engagements. Tu devrais en être fier. Malgré tout ce qui t’est arrivé, tu as continué à avancer. Ton père, ta mère,  tes grands-parents, toutes les épreuves que tu as dû surmonter n’ont rien enlevé à ta détermination. Tu as une force intérieure que j’arrive à peine à concevoir. Je ne t’arrive pas à la cheville. Est-ce que tu te rends compte que la plupart des personnes auraient baissé les bras à ta place ? Est-ce que ça t’a effleuré l’esprit ?
– Non, mais je répète que je ne fais que ce que j’ai à faire. Comme tout le monde.
– Tu te trompes. Si tout le monde agissait de la sorte, tu ne serais pas ici à l’heure actuelle, mais chez toi, dans les bras de Brian.

Mes yeux s’emplirent de larmes à cette pensée.

– S’ils agissaient ainsi, on n’entendrait pas parler de tous ces parents dépassés et de ces enfants maltraités. Les parents doivent se sacrifier pour leurs enfants, et non l’inverse. Ce que ta mère t’a fait m’aurait détruit.

Je restai silencieux pendant que je réfléchissais à ce que Jason venait de dire.

– Je n’ai toujours pas l’impression d’être exceptionnel.
– Alors ne le crois pas. C’est peut-être aussi pour ça que je t’aime autant. Que nous t’aimons tous autant. Mais le reste du monde te verra tel que tu es, et non comme tu crois être.

Je n’arrivais toujours pas à croire que j’étais son héros. Je ne m’en sentais pas l’étoffe. Loin de là. Je n’avais jamais sauvé quelqu’un, ni même éteint un incendie. J’essayais juste de survivre. Qu’y avait-il d’héroïque là-dedans ?

Il dut lire dans mes pensées.

– Les héros ne sont pas toujours les personnes que tu vois à la télévision ou dans les journaux. Ils ne sont au bon endroit au bon moment qu’une fois ou deux dans leur vie. Les vrais héros sont ceux qui s’occupent des autres et sont capables d’aimer. Ce sont ceux qui se lèvent tous les matins pour aller travailler et qui rentrent le soir retrouver leur famille. Ils font ce qu’ils ont à faire sans se poser de question. Tu es un héros, au moins à mes yeux.
– Je ne sais pas quoi dire.
– Ce n’est pas grave. Tu n’es pas obligé de répondre. Mais dans cette maison là-bas, il y a des personnes qui t’aiment, et qui te considèrent comme leur frère ou leur fils. Est-ce que tu crois vraiment que nous t’aurions recueilli si nous ne voulions pas que tu fasses partie de notre vie ? Pete, je ne sais pas comment te le dire autrement. Retournons à l’intérieur, d’accord ?

Il se leva et m’offrit sa main. Je ne la saisis pas immédiatement, regardant autour de moi pour immortaliser ce moment. La montagne, les arbres, l’odeur dans l’air, le chant des oiseaux. Je voulais me souvenir de ce moment aussi longtemps que je vivrais.

Je pris enfin la main de Jason, et la serrai solennellement. Il m’aida à me relever et me serra dans ses bras. 

– Bienvenue chez toi, petit frère.


Chapitre 12

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