Pour l'amour de Pete

Roman gay inédit

Chapitre 4

J’avais fini de préparer mon sac depuis un moment, et maintenant, allongé dans mon lit, je réfléchissais à ce que mon père venait de me dire. Ni lui, ni moi ne manifestions vraiment nos émotions. Pour moi, c'était un réflexe d'autoprotection. Pour mon père, c'était une façon de ne pas avoir à les vivre. J’espérais quand même ne pas en arriver là. Il me serait difficile de continuer à vivre en accord avec moi-même si cela arrivait. C’était déjà assez compliqué en l’état actuel des choses.

Mon père m’avait dit qu’il était fier de moi, aussi. C’était la première fois qu’il me parlait ainsi. En revanche, je ne comprenais toujours pas quelle était l’origine de tous ces bouleversements.

Je fis un rêve bizarre cette nuit-là. J’étais dans un endroit qui ressemblait à chez moi, mais ce n’était pas ma maison. Ma mère me disait que je serais plus utile auprès de Pete que d’elle. Elle avait fait mes valises et me mettait à la porte. Brenda venait me chercher. Alors que Maman ouvrait la portière de la voiture, je me souviens distinctement qu’elle me disait : « Je suis fatiguée de m’occuper de toi. Il faut que tu te prennes en charge à présent. » Papa regardait la télé et ne se souciait pas du fait que je partais. Dawn organisait une fête dans la salle à manger. Cela n’avait aucun sens, en fait. Je me réveillais avant d’arriver chez Pete, étourdi et épuisé.

La journée à l’école le lendemain se passa plutôt bien, mis à part les inévitables accrochages avec Brent et sa bande. Il trouva le moyen de faire tomber les livres que je portais, et de claquer la porte de mon casier à deux reprises alors que je venais de l’ouvrir. Les insultes et les sarcasmes habituels. J’étais TELLEMENT soulagé que l’année touchait à sa fin. Je pouvais enfin oublier Brent et me concentrer sur Pete !

Je rendis la rédaction que j’avais écrite à M. Young, et il la corrigea sur place. Il me donna 15/20. Exactement ce que j'espérais. Effort minimum et note correcte.

Pete et moi fîmes comme d’habitude à midi, c'est-à-dire que nous séchâmes la cantine et gagnâmes les gradins, bavardant avec entrain de ce que nous allions faire le lendemain. Nous n’abordâmes aucun sujet intime. Nous n’étions pas prêts pour cela. Nous étions simplement deux garçons discutant des bêtises que nous allions pouvoir faire pendant le week-end.

La sonnerie marqua la fin de  la pause du déjeuner. Les cours de l'après-midi passèrent étonnamment vite. Je passai l’essentiel de mon temps à dessiner des paysages au crayon. Ce n’était pas terrible, mais ils me plaisaient bien.

La sonnerie annonçant la fin des cours se fit enfin entendre. Je sprintai vers mon casier pour y récupérer mon sac et rejoignis Pete. La chance était avec moi, je ne fis pas de mauvaise rencontre en chemin.

Je trouvai Pete  en train de faire le ménage dans son casier. Il jetait des liasses de papiers dans une corbeille qu’il avait posée au pied de son casier, tout en discutant avec Chris. Apparemment leur conversation touchait à sa fin.

– Eh, Brian, la forme ? dit-il en s’éloignant vers son casier.
– Super. A plus tard, Chris. Tu es prêt, Pete ? 
– Presque. Je dois ramener une partie de ce bric-à-brac chez moi pour ne pas avoir à m’en occuper la semaine prochaine. Mince alors. Je ne pensais pas avoir gardé autant de choses. 

Il triait des pages de cours qui s’étaient accumulés dans le bas de son casier pendant l’année. Une feuille de papier coincée dans une pile attira mon attention. Elle était couverte de cœurs rouge vif et de lettres détourées. Je pensais que c’était une carte de Saint-Valentin ou quelque chose qu’Ashley lui avait donné. En regardant de plus près, je crus voir mon nom écrit dans l’un des cœurs.

Désormais intrigué, j’attrapai la feuille avant que Pete ne puisse la jeter dans la corbeille, et finis par faire tomber toute la pile, qui s’éparpilla dans le couloir.

– Bien joué. Tu ne pouvais pas faire attention ?
– J’ai cru voir quelque chose qui portait mon nom.
– Ça m’étonnerait. Ce sont juste de vieilles copies et… 

Son regard tomba sur la feuille que je cherchais et il BONDIT. Je ne l’avais jamais vu bondir comme cela auparavant. Il attrapa la feuille et essaya de la glisser sous le tas pour la soustraire à ma vue.

Je me postai négligemment devant la corbeille, barrant son accès à Pete. Quand il se retourna pour jeter ses papiers, je lui tendis simplement la main. Il dit « Quoi ? » et essaya de prendre un air innocent, mais échoua lamentablement. Je ne bougeai pas d’un pouce, tendant la main avec un sourire entendu.

Il jeta un rapide coup d’œil aux alentours. Voyant que personne n’était assez près pour entendre ce que nous disions, il feuilleta dans la pile et me montra la feuille. Il n’y avait pas une série de mots comme je le pensais, mais juste quelques griffonnements. Mon nom était écrit à plusieurs endroits de manière stylisée, entouré de petits cœurs. Puis je vis quelque chose qui me fit chaud au cœur. En petits caractères, il avait écrit « J’aime Brian » à plusieurs reprises pour former l’un des cœurs. Il avait dû y passer des heures. Je remarquai aussi que la feuille avait été déchirée à plusieurs endroits, avant d’être soigneusement rescotchée. On voyait à peine les déchirures.

Je montrai les traces de ruban adhésif et demandai :

– Qu'est-ce qui s’est passé ? 

Il retira la feuille de la pile et la dissimula entre deux vieilles copies. Il les plaça avec précaution dans son sac à dos et me répondit :

– Ashley a trouvé cette feuille dans mon casier un jour. J’avais oublié que je l’avais cachée dans un de mes livres. C'était un jour où mon père était rentré à la maison plus tôt que prévu. J'avais laissé la feuille dans mon casier avant d’aller en cours et Ashley était tombée dessus. Elle avait ma combinaison, tu sais ? 

J’acquiesçai pendant que mon sang se figeait.

– Elle l’a déchirée en morceaux. Au début, elle a cru que ça lui était destiné. Puis elle a vu ton nom. C’est pour ça que nous nous sommes séparés. Je lui ai dit que j’étais gay. Comme si elle ne l’avait pas deviné quand je n’avais pas pu assurer. 

Il donna un coup de pied dans la porte en baissant la tête.

– Je lui ai dit que tu ne savais pas que je t’aimais ni que j’étais gay. Je lui ai dit que j’étais désolé. Elle a juste fait demi-tour et elle m’a planté là, sur le parking. Elle ne m’a pas adressé la parole depuis, sauf pour me dire qu’elle ne le dirait à personne. Maintenant elle ne me regarde même plus. 

Pete était visiblement mal à l’aise en me racontant cela. Il fixait le sol, se balançant d’un pied sur l’autre, ne sachant pas s’il devait rester là ou bien s’enfuir en courant. Il leva les yeux pour observer ma réaction, soutint mon regard un instant, puis baissa les yeux de nouveau.

– Eh, je me fiche de ce qui s’est passé entre vous. Ce qui compte pour moi, c’est comment tu te sens maintenant. 

Je mis la main sur son épaule et poursuivis en chuchotant :

– Cela me fait le plus grand bien de savoir que tu m’aimes, même si je ne peux pas te le montrer, ni te montrer que je t’aime en retour. 

Il releva la tête et me regarda dans les yeux de nouveau.

– Je veux juste que tu saches que je t’aime aussi. Je ne vais pas m’enfuir. Et je veux ce dessin pour mon album. 

Il sourit et hocha la tête. Son visage se décomposa, cependant, quand nous entendîmes le bus s’éloigner de l’école.

– Oh, merde ! On a loupé le bus ! 
– Ne t’inquiète pas, je vais demander à ma mère de nous emmener chez toi. Allez, on y va.
– D’accord. Laisse-moi juste une seconde pour finir de ranger ça. 

Il termina de vider ses papiers dans la corbeille, puis ferma son casier. Nous parcourûmes le kilomètre et demi qui nous séparait de chez moi en bavardant à bâtons rompus.

Pete appela sa mère, lui dit que nous avions raté le bus, et que j’allais demander à ma mère de nous déposer plus tard. Elle lui dit de rappeler si ma mère ne pouvait pas nous emmener. Pete raccrocha juste au moment où Dawn entrait.

– Oh, les amoureux sont là. 

J’entendis un ricanement derrière elle. Elle s’effaça pour révéler la présence de sa copine Darlene, une vraie petite peste.

– Qu’est-ce que vous faites ici ? Tu n’étais pas censé être chez ton petit ami, Brian ? 

Son ton était accusatoire, comme si j’avais prévu de lui gâcher la soirée.

Je regardai autour de moi, comme si j’avais entendu quelque chose au loin, et me tournai vers Pete.

– Tu as entendu quelque chose ? J’ai cru entendre aboyer un chien. 

Dawn fit un pas en ma direction et brandit son poing pour me frapper.

– Ferme-la, trou du cul ! 

Elle me lança un coup que j’esquivai facilement. Je reculai vite hors de sa portée et me dirigeai vers ma chambre, faisant signe à Pete de me suivre.

Encore une fois, le besoin irrépressible de lui répliquer l’emporta.

– Oui, j’avais raison. Un petit chien qui aboyait. 

Elle se lança après moi, nous poursuivant dans le hall. En arrivant à ma chambre, j’ajoutai :

– Et d’après ce que j’entends, c’était une chienne en chaleur. 

Je fermai ma porte précipitamment et m’adossai dessus pour faire face à l’orage qui n’allait pas tarder à s’abattre. J’avais à peine pris position que la porte trembla sous l’impact de son poids.

A plusieurs reprises, elle essaya de forcer la porte avec son épaule, hurlant des obscénités et décrivant le sort qui m’attendait si elle me mettait la main dessus. J’eus du mal à me retenir de rire et à garder la porte fermée. Pete se roulait sur mon lit en contenant son hilarité, un grand sourire sur son visage.

Dawn renonça finalement de se jeter contre la porte et commença à la marteler du poing. Deux ou trois coups suffirent à faire un trou de la taille d’une balle de tennis dans la porte. Craignant qu’elle se soit blessée, je pris un risque calculé, ouvris la porte, ne vis pas de sang, et la refermai rapidement.

– Papa va te tuer, Dawn. C’est la deuxième porte cette année !
– Tais-toi, espèce de bâtard. 

Elle prit la fuite avec son idiote de copine pour aller concocter une histoire qui nous donnerait tous les torts. 

Alors qu’elles s’éloignaient dans le hall, Pete ne put se retenir plus longtemps. Il commença à rire si fort qu'il en eut les larmes aux yeux. Plus il me regardait, plus il riait. Je m’assis sur le lit, le pris par les épaules, et l’embrassai résolument sur la bouche. Son rire fut  immédiatement remplacé par des gloussements qui s'espacèrent alors que nous nous embrassions profondément, explorant nos lèvres et nos bouches respectives.

Nous fûmes interrompus quelques minutes plus tard par le son de la porte d’entrée qui claquait. Je ne savais pas si c’était Maman qui rentrait ou Dawn et Darlene qui sortaient. Je fus vite fixé par les miaulements de Dawn qui rapportait mes exploits. Quelques instants plus tard, j’entendis la voix de ma mère qui demandait à Dawn de se taire.

La porte de ma chambre s’ouvrit et Maman jeta un coup d’œil. Son regard s’attarda sur le trou béant dans la porte, puis elle nous fixa de nouveau.

– Bonjour, Pete.
– Bonjour Maman !

Nous avions répondu en choeur.

Elle aimait bien que mes amis l’appellent Maman. Cela simplifiait les choses et évitait le cérémonieux « Madame Kellam ».

– Je vois qu’il y a déjà eu une guerre alors que vous êtes à peine rentrés. Pourquoi la provoques-tu, Brian ? Elle a dit que tu étais rentré et que tu avais commencé à la traiter de noms d’oiseaux. 

La contrepartie du fait que Pete l’appelait Maman était qu’elle n’hésitait pas à me passer un savon devant lui.

– Eh bien, quelle est ta version ? 

Je choisis de dire la vérité, comme d’habitude.

– Pete et moi sommes arrivés ici juste avant les filles. Elle est entrée et a insinué que Pete était mon petit ami. Je n’ai pas apprécié et je lui ai répondu. C’est elle qui a commencé cette fois-ci, tu peux demander à Pete.

Je la regardai droit dans les yeux. J’avais découvert il y a longtemps que c’était sa façon de déterminer si je mentais ou pas.

– Bon, d’accord. Essaie juste de ne pas énerver ta sœur comme ça, et je lui dirai de te laisser tranquille. D’ailleurs, pourquoi êtes-vous toujours là ? Vous étiez censés prendre le bus jusque chez Pete, non ?
– Nous avons raté le bus et marché jusqu’ici. Mme Jameson nous a dit qu’elle viendrait nous chercher si tu ne pouvais pas nous emmener.
– Préparez-vous à partir. Je vais juste dire deux mots à Dawn. Je vous retrouve dans la voiture. 

Je me levai du lit, suivi par Pete. Nous attrapâmes nos sacs et nous dirigeâmes vers la voiture. Dawn et Darlene nous fusillèrent du regard quand nous passâmes devant elles. Darlene faisait bloc avec Dawn. La prochaine fois, il faudrait que je me souvienne de l’inclure dans mes insultes.

Maman attendit que nous ayons franchi le pas de la porte avant de parler aux filles. Quelques secondes plus tard, j’entendis un retentissant « Mamaaaaaaan ! », ce qui signifiait que Dawn se faisait disputer. Je ris tout bas et Pete en fit autant.

Maman sortit de la maison. Avant de fermer la porte, elle passa la tête et dit :

– Je ne te le dirai pas deux fois, Dawn. Ça suffit. 

Fermant la porte, elle marcha vers la voiture d’un pas décidé. L’irritation céda la place à l’inquiétude sur son visage quand elle nous rejoignit dans la voiture.

– Qu'est-ce que je vais faire de vous ? 

Je ne crois pas qu’elle attendait une réponse. Je gardai le silence tout en m’interrogeant sur son air inquiet. Est-ce qu’elle se doutait de quelque chose ? Décidément, il fallait que je soigne ma paranoïa.

La trajet vers la maison de Pete fut parcouru rapidement. Nous gardâmes le silence, ne souhaitant pas provoquer Maman davantage ou susciter des questions auxquelles je n’avais pas envie de répondre. Quand nous arrivâmes chez Pete, elle sourit et nous dit de bien nous amuser. Elle me rappela également de surveiller mes manières. Je lui promis que je ferais attention.

La maison de Pete était peinte en vert et comptait trois étages. De devant, elle semblait comporter deux étages, l’étage inférieur s’ouvrant sur l’arrière, environ trois mètres plus bas, comme un sous-sol. C’était la salle de jeux, comme ils l’appelaient. C’est là que Pete et moi passions nos journées quand le temps ne nous permettait pas de sortir. Le jardin devant la maison était bien entretenu et les sapins autour de la pelouse dataient d’avant la construction de la maison. Une allée partait de la route pour rejoindre un garage pour deux voitures accolé à la maison et un hangar indépendant de l’autre côté.  Le terrain autour de la maison était dégagé et faisait penser à une clairière au milieu des bois. La cour derrière la maison était entourée par une cloison en bois haute de deux mètres environ. Elle était assez vaste pour pouvoir envisager une partie de football.

Nous franchîmes la porte d’entrée, et Pete appela sa mère pour lui dire que nous étions arrivés. Elle vint à ma rencontre et me salua, me demandant comment j’allais, et prenant des nouvelles de mes parents. Je fis les réponses appropriées et me dirigeai vers la chambre de Pete, où nous déposâmes nos sacs.

Nous nous changeâmes pour revêtir nos tenues de moto. J’observai Pete se déshabiller et me figeai, incapable de détacher mon regard de son corps parfait. Pete, bien sûr, s’aperçut que je ne bougeais plus et que je le fixais des yeux. Il en profita pour se pavaner et finit par enlever ses vêtements en faisant un strip-tease. Il eut l’effet désiré et pouffa de rire quand il vit mon caleçon se tendre. Je sortis de ma rêverie et fis un sourire gêné. Je finis de me déshabiller pendant qu’il enfilait sa tenue de moto.

Alors que j’étais sur le point de mettre mon pantalon de moto, Mme Jameson ouvrit la porte. Mon excitation n’était pas encore complètement retombée, et je glapis en tournant le dos à la porte, manquant de perdre mon équilibre. Pete leva les yeux vers sa mère d’un air contrarié et lui dit :

– Maman, pourquoi est-ce que tu ne peux jamais toquer avant d'entrer  ?
– Vous n’avez rien à cacher que je n’aie pas déjà vu avant.

Je faillis lui dire « Moi, si ! », mais je me retins.

– N’allez pas trop loin, les garçons, parce que nous dînons tôt ce soir. Ton père et moi avons des choses à faire après le dîner. Je veux que vous soyez rentrés avant que nous ne partions. Pete, j’aimerais te dire deux mots avant que tu partes. Pourrais-tu venir avec moi, s’il te plaît ? 

Il se leva et la suivit hors de la chambre, le visage inquiet. Dès qu’il eut quitté la pièce, je mis mon pantalon de moto, mes chaussures montantes et un sous-pull. J’attendis qu’il revienne.

Pete revint environ dix minutes plus tard, l’air abattu. Il s’effondra plus qu’il ne s’assit sur son lit, me jetant un regard d’effroi. Je me levai pour m’asseoir à côté de lui, mais il m’arrêta du regard, me faisant signe de fermer la porte qui était restée ouverte.

Fermant la porte, je revins m’asseoir à côté de lui.

– Maman va dire à Papa que je suis gay. Elle dit qu'il a le droit de savoir et qu'elle ne peut pas lui cacher plus longtemps. Il va me tuer, Brian, j'en suis sûr  ! Il va littéralement me tuer ! Qu’est-ce que je vais faire ? 

Il me regarda d’un air désespéré. Son appréhension était plutôt justifiée, d’après ce que je pouvais deviner. Son père essaierait probablement de le tuer, ou au moins de lui mettre une raclée. Je ne savais pas si la mère de Pete serait capable de l’en empêcher.

Je me laissai glisser à terre, m’agenouillant devant Pete. Je pris ses mains dans les miennes et les serrai de toutes mes forces. En plongeant mon regard dans le sien, je ressentis quelque chose que je n’avais encore jamais ressenti auparavant. Je voulais le protéger, le prendre dans mes bras et lui servir de bouclier contre la violence de son père. Je voulais qu’il se sente rassuré, en sécurité. Je voulais qu’il sache que je l’aimais, en ce moment précis, de tout mon cœur.

– Pete…

Il baissa les yeux quand je pris la parole. Je relâchai ses mains et redressai son menton, pour qu’il me regarde de nouveau dans les yeux.

– Si ton père essaie te tuer, il faudra qu’il me passe dessus d'abord. Je ne laisserai personne te faire mal sans te défendre. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour te protéger, même si je dois mourir aussi. 

Il secoua la tête et ouvrit la bouche pour protester, mais je le stoppai net en posant un doigt sur ses lèvres.

– Je suis sérieux. Tu représentes ce que j'ai de plus précieux. Je ne veux pas te perdre. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour t’aider. Et ce ne sont pas des paroles en l’air. Nous sommes dans cette épreuve ensemble.

Alors que des larmes se formaient dans ses yeux, je me penchai en avant et passai mes bras autour de sa taille. Il enveloppa ma tête dans ses bras et me serra contre lui. J’entendais les battements de son cœur.

J’entendis Joe claquer la porte d’entrée. Il fit une entrée tonitruante, comme d’habitude, pour que le monde entier sache qu’il était arrivé. Je jetai un coup d’œil à Pete et vis la peur revenir sur son visage. Je le serrai brièvement de nouveau contre moi.

Soudain, je ressentis de la colère. Plus que de la colère. Comment est-ce que Brenda avait-elle pu choisir ce soir pour mettre Joe au courant  ? Le fait que je sois invité n’avait pas l’air de la déranger. En même temps, c’était une bonne chose que je sois là. J’avais une chance de protéger Pete.

– Tirons-nous d’ici. Je veux faire de la moto. 

Pete parlait d’une voix résignée.

– Ça va aller, Pete. Je serai avec toi quoi qu’il arrive. Au pire, nous irons nous réfugier chez moi à pied. Tu seras en sécurité. Allez, ne te laisse pas abattre.

Je parlais avec force et conviction. Je crus le voir reprendre un peu confiance, mais il avait clairement peur de son père.

Nous nous rendîmes au hangar et sortîmes les moto-cross. Nous mîmes nos casques et démarrâmes les engins. C’était des petites Yamaha 80. Elles étaient suffisamment puissantes pour rendre la balade palpitante, mais restaient tout de même assez maniables.

Comme Brenda nous l’avait demandé, nous restâmes à proximité, escaladant et dévalant les pistes à côté de la maison. Une des pistes serpentait sur environ vingt kilomètres et menait non loin de chez moi. Pete regarda cette piste plusieurs fois quand nous la croisâmes, comme s’il envisageait de l’emprunter. A un moment, il s’arrêta au pied de la piste et resta assis sur sa moto à l’observer. Je m’arrêtai à sa hauteur et coupai le contact. Il coupa le sien et dit, juste assez fort pour que je puisse entendre à travers mon casque :

– Je n'ai pas envie d'y retourner, Bri. Comment est-ce que j'ai pu faire confiance à ma mère  ? Tout ceci ne serait pas en train d’arriver si je ne lui avais pas dit.

Je posai une main sur sa jambe.

–Tu ne m’en aurais pas parlé non plus, et nous ne serions pas ensemble. Rien ne pourra nous séparer. Même si nous devons nous enfuir, nous serons toujours ensemble. Toi et moi, pour toujours. Je t’aime. Ne l’oublie jamais. 
– Je t’aime aussi. Je ne veux pas qu’il t’arrive du mal. Peut-être que tu devrais rentrer. Mon père va se mettre dans une colère noire.
– Non. Je ne vais nulle part sans toi. Nous sommes ensemble. Je suis là, et je ne vais pas m’en aller. Même si je dois me battre contre ton père. 

Il me regarda intensément. Il acquiesça finalement d’un hochement de tête rapide et redémarra sa moto. Alors que je redémarrais la mienne, il repartit en faisant une roue avant.

Nous roulâmes pendant encore une heure, puis Brenda sortit et nous fit signe de rentrer. Alors que nous arrivions dans l’allée, elle indiqua à Pete de se rapprocher. Je le suivis jusqu’à elle et je m’arrêtai à côté de lui. Coupant les gaz, je retirai mon casque rapidement afin d’entendre ce que disait Brenda. Pete mit un peu plus longtemps que moi, me laissant un temps d’avance.

– Brian, j'ai quelque chose de personnel à dire à Pete, si ça ne te dérange pas. 

C’était une fin de non-recevoir. Je sentis la colère monter d’un coup. L'espace d'une seconde, je voulus me jeter sur elle, mais je me retins. Je me penchai en avant et lui jetai le regard le plus menaçant qu’un garçon de treize ans puisse jeter à quelqu’un.

– Si vous allez parler de la conversation que vous allez avoir avec Joe, je reste là. Je ne veux pas laisser Pete tout seul. Nous sommes ensemble. 

Elle resta sans voix. Sa bouche s’ouvrit et se ferma plusieurs fois comme celle d’un poisson. Puis elle reprit la parole :

– Appelle ta mère, et dis-lui de venir te chercher tout de suite. Nous nous expliquerons plus tard. 
– Non, Madame, je ne le ferai pas. La sécurité de Pete est trop importante à mes yeux pour que je rentre chez moi. Vous ne m’avez peut-être pas entendu à l’instant quand je vous ai dit que nous étions ensemble. Pete est bien plus que mon meilleur ami. Je veux être là pour le protéger, et je SERAI là pour le protéger tant que vous ne pourrez pas me dire avec certitude que Joe ne lui fera pas de mal. Oui, je suis gay aussi. La seule raison pour laquelle je vous le dis est pour que vous sachiez ce dont je suis capable. Si vous me forcez à partir et que Pete reçoit la moindre égratignure, j’appellerai les services sociaux. Vous ne pourrez PAS me faire changer d’avis. C'est trop important.

Elle eut un mouvement de recul et me dévisagea avec attention. Je soutins son regard sans sourciller, et elle put lire la détermination sur mon visage. Elle réfléchit à ce que je venais de dire pendant une bonne minute, pendant que Pete s’agitait, mal à l’aise.

– Est-ce que ta famille est au courant ? 

Je secouai la tête.

– Vous êtes la première personne à qui j'en parle, après Pete.
– Comment savez-vous que vous vous aimez ? Vous semblez bien sûrs de vous.
– Je ne pense pas l’aimer, Maman, je l’AIME vraiment. Et il m’aime en retour. 

Pete parla calmement mais fermement. J’acquiesçai en silence.

– Est-ce que vous couchez ensemble ? demanda-t-elle avec une pointe de dégoût.
– Non, nous ne l’avons pas encore fait. Nous n’en avons même pas encore discuté. 
– Tant mieux, car je ne veux pas que vous preniez de risques. Mais Pete, pourquoi faut-il que tu sois gay ? Qu’est-ce que j’ai fait de travers ? 

Ses yeux se remplirent de larmes. Ce n’était pas le bon endroit pour avoir cette discussion.

– Allons dans le hangar pour ranger les motos. 

Je montrai la maison d’un signe de tête. Pete et Brenda acquiescèrent.

En arrivant dans le hangar, je descendis de la moto et la fis rouler jusqu’au rangement que Joe avait construit à cet effet. Pete fit de même, puis il se tourna vers sa mère et répondit à sa question.

– Tu n’as rien fait de travers. Je ne suis pas devenu gay du jour au lendemain, je l’ai toujours su. C’est juste que je ne comprenais pas ce que je ressentais. Je suis toujours le même, Maman. 

Elle me regarda, et j’approuvai.

Elle nous regarda à tour de rôle en se tordant les mains, son visage traversé d’émotions contradictoires. Puis elle se jeta en avant et prit Pete dans ses bras. Ils restèrent ainsi pendant un long moment, dans les bras l’un de l’autre. Brenda me regarda et ouvrit le cercle, m’invitant dans leur étreinte. Je les rejoignis sans hésiter. Elle me serra contre elle et Pete. Je l’entendis chuchoter dans l’oreille de celui-ci, et, se rendant compte que je ne pouvais pas l’entendre, elle parla à voix haute :

– Brian, Pete, je vais vous parler franchement. Ce n’est pas simple pour moi. Il va falloir que je change ma façon de penser, et cela prendra peut-être du temps. Je dirai certainement des choses blessantes sans m’en rendre compte, et d’autres sous le coup de la colère que je ne penserai pas. Je veux que vous sachiez que je vous aime beaucoup. Et je respecte le fait que tu veuilles protéger Pete, Brian. Je le souhaite aussi. Ça ne va pas être facile ce soir. J’ai déjà dit à Joe que je voulais lui parler, et si je reviens en arrière, il va se demander pourquoi. Mais je serai là pour vous protéger tous les deux.
– Brian, il risque d’appeler tes parents pour leur dire que tu es gay. Es-tu préparé à cela ?

J’approuvai après une courte hésitation.

–Tu en es sûr ? 
– Oui. Ils finiront bien par l’apprendre, de toute façon. 
– Très bien. Allons manger, et ensuite vous descendrez au sous-sol pendant que je parlerai à Joe. Je suis sûre que vous saurez quand je lui dirai. Vérifiez que la porte de derrière est ouverte, on ne sait jamais. 

Elle nous serra de nouveau contre elle brièvement et nous relâcha, nous disant de nous débarbouiller avant le dîner.

Alors que nous nous dirigions vers la salle de bains, nous décidâmes de garder nos tenues de moto au cas où nous serions obligés de nous partir précipitamment. Nous revêtîmes des T-shirts à manches longues qui nous permettraient de traverser les sous-bois. Il nous suffirait d’enfourcher les motos et de prendre le large. Après réflexion, nous sortîmes nos sacs à dos et rangeâmes nos blousons, lampes et pulls à l’intérieur. Nous les plaçâmes à côté de la porte de derrière pour préparer notre fuite.

Brenda nous appela à table. Elle ne fit pas de remarque sur le fait que nous n’avions pas changé de pantalon.

Le dîner fut animé, comme d’habitude. Joe fit des commentaires sur sa journée et nous demanda si nous avions prévu d’aller à la soirée de fin d’année. Des choses qui ne nous intéressaient absolument pas. Il raconta une anecdote au sujet d'un incendie sur lequel il était intervenu avec la brigade de pompiers, il traita certains de ses collègues de « pédés » parce qu'ils n'avaient pas voulu prendre de risques. Je sentis Pete me pincer la jambe alors que Joe déblatérait sans s’arrêter. Nous ne mangeâmes pas beaucoup. Nous étions trop tendus. Joe ne semblait pas s’en apercevoir, mais je suis sûr que Brenda s’en rendit compte.

Heureusement, le dîner toucha à sa fin. Brenda nous dit qu’elle voulait s’occuper de la vaisselle, et nous descendîmes à l’étage inférieur. Nous nous assurâmes que tout était prêt, au cas où. Puis nous nous assîmes pour attendre le verdict. Nous n’eûmes pas à attendre très longtemps.

De la vaisselle fut cassée, des verres brisés, et des couverts jetés sur le sol. Le vacarme était assourdissant, mais nous entendions par-dessus tout la voix tonitruante de Joe qui détaillait ce qu’il allait faire quand il mettrait la main sur son « sale petit pédé de fils». Je pris peur quand j’entendis les pas de Joe se diriger vers la porte en haut de l'escalier, mais j’entendis alors les pas précipités de Brenda. Elle avait dû s’interposer.

Le visage de Pete prit une nuance de gris que je n’avais encore jamais vue sur un être humain auparavant. Sa peau était terreuse et il transpirait, avalant sa salive sans arrêt. Je m’assis à côté de lui et passai mon bras autour de ses épaules. Plaçant mon autre main sur son genou, je le serrai fermement, pour qu’il sache que j’étais là. Il se contenta de lever les yeux vers la porte.

– Ecarte-toi de mon chemin, Brenda ! Je dois apprendre une leçon à ce morveux ! Il veut être pédé, c’est ça ? Eh bien, nous allons voir s’il en a encore envie une fois que je me serai occupé de lui ! 

J’entendis Brenda protester.

– Joe, NON ! C’est ton fils ! Si tu…
– Ce n’est plus mon fils ! Je t’ai laissé t’en occuper, et tu vois le résultat. Maintenant je dois lui apprendre à être un homme. 

La porte en haut de l’escalier s’ouvrit avec fracas, et nous bondîmes vers la porte de sortie. Pete ouvrit la porte et attrapa son sac. J’étais juste derrière lui. Je pouvais entendre les pas de Joe dans l’escalier.

– Oh non, petit pédé, tu ne vas nulle part ! 

En essayant d’attraper mon sac, mes doigts glissèrent et je le laissai tomber. En me penchant pour le ramasser de nouveau, je sentis Joe arriver sur moi. Je décollai vers la porte. J’étais presque dehors quand je sentis une main se refermer sur le col de mon blouson.

– Joe, NON !


Chapitre 5

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