Pour l'amour de Pete

Roman gay inédit

Chapitre 9

Je ne découvris les projets de ma mère que le matin où elle m’emmena. Quand j’aperçus Brian, mon cœur se brisa. Je voulus me dégager de l’emprise de ma mère, qui me tenait par le col, et courir vers lui, mais elle dut lire dans mes pensées car elle m’empoigna encore plus fort. Je parvins néanmoins à dire à Brian que j’avais compris et que j’étais désolé.

Elle me poussa dans la voiture et m’ordonna de me taire. Elle claqua la portière et dit quelque chose à Brian qui le fit pâlir. Puis elle s’installa au volant, mit le moteur en marche et recula dans l’allée. Je répétais silencieusement les mots « je t’aime » tout en sachant qu’il ne pouvait pas m’entendre. Il resta comme pétrifié dans l’allée, incapable de faire le moindre geste.

Ma mère accéléra et nous nous éloignâmes de sa maison. Je me retournai pour le regarder aussi longtemps que possible à travers la lunette arrière.

– Retourne-toi et assied-toi tout de suite ! Je ne veux pas avoir un accident !

Je fis semblant de ne rien entendre jusqu’à ce que la voiture franchisse le sommet de la colline. La dernière chose que j’aperçus fut Brian qui tombait à genoux, en hurlant vers le ciel. Cette image restera à jamais gravée dans ma mémoire.

Nous nous rendîmes à l’aéroport et déposâmes la voiture dans un parking longue-durée. Elle m’empoigna de nouveau et me poussa devant elle. Elle devait avoir peur que je m’enfuie à la première occasion. Je l’aurais fait si j’avais eu le courage. Elle ne m’adressa pas la parole, sauf pour me donner sèchement des ordres.

Nous embarquâmes à bord de l’avion pour Portland, dans l’Oregon, qui devait atterrir deux heures plus tard. Alors que l’avion décollait, un sentiment de révolte m’envahit et je ne pus m’empêcher de lui dire :

– Ce n’est pas en m’emmenant loin de lui que tu changeras le fait que je sois gay.

Sa réponse fut aussi prompte qu’inattendue. Elle se tourna vers moi et me donna une gifle.

– Tu n’es pas gay. C’est ce garçon qui t’a fait croire que tu l’étais. Je ne veux plus en entendre parler, c’est compris ?

Les autres passagers nous regardaient dans un silence fasciné.

– Ça n’a rien à voir. Je suis gay, que cela te plaise ou non. Tu ne vaux pas mieux que Papa. Tu m’as même frappé comme il l’aurait fait. Pour moi, tu n’es plus ma mère.

Elle me gifla de nouveau, plus fort cette fois-ci. Je me tus. J’étais coincé dans le siège à côté du hublot, et je ne pouvais aller nulle part. J’aurais pu la provoquer davantage, mais je ne voulais pas qu’elle me gifle de nouveau, donc je restai assis docilement en silence.

L’avion atterrit à Portland à l’heure prévue. Alors que nous nous dirigions vers la sortie de l’avion, elle essaya de nouveau de m’attraper par le col, mais je me retournai brusquement, furieux. Je me campai dans l’allée et regardai droit dans les yeux.

– Tu crois vraiment que je vais m’enfuir en courant ? Tu n’as plus besoin de me tenir en laisse, maintenant que tu m’as emmené loin de mon petit ami.

Elle devait être embarrassée de cette mise au point en public, mais je m’en moquais.

– Ne t’approche plus de moi. Je suis sérieux. Je suis prêt à me défendre s’il le faut.

Elle essaya de me pousser pour que je continue à avancer, mais je repoussai vivement sa main.

– C’est mon dernier avertissement. La prochaine fois, je répliquerai pour de bon.

Je me retournai et sortis de l’avion. Elle n’essaya pas de m’approcher de nouveau.

Nous marchâmes jusqu’à la porte C23 pour retirer nos bagages, qui ne tardèrent pas à arriver sur le carrousel. Puis nous sortîmes dans le hall de l’aéroport et fûmes accueillis par ma grand-mère, que je n’avais pas vue depuis mon plus jeune âge. Je n’avais pratiquement aucun souvenir d’elle et j’avais même complètement oublié que mes grands-parents habitaient par ici. J’en déduisis que nous allions rester chez eux en attendant de retomber sur nos pieds.

Nous roulâmes pendant environ cinquante minutes et arrivâmes finalement chez mes grands-parents. Ils habitaient à environ 45 kilomètres de Portland, à l’ouest de Hillsboro, sur la Highway 26. Ma grand-mère m’expliqua qu’ils possédaient une douzaine d’hectares de terres dans la région, essentiellement des collines boisées. C’était gigantesque par rapport à l’hectare et demi que nous possédions en Californie.

Plus tard, j’appris que mes grands-parents possédaient aussi des chevaux, du bétail, des volailles, un jardin, et pour couronner le tout, une moto. C’était une vieille Kawasaki 125. Grand-père me dit qu’elle fonctionnait encore, mais qu’elle avait besoin d’une révision. Il me proposa de m’apprendre les rudiments de la mécanique, ce que j’acceptai avec plaisir.

La moto me permit de m’évader quand j’en avais besoin, pour être loin ma mère. La seule consigne qu’elle fixa, en plus du port du casque, évidemment, fut d’emmener un émetteur-récepteur radio et de faire un point toutes les demi-heures environ. Cela ne me dérangeait pas, et j’étais rassuré sur le fait qu’ils pourraient me retrouver facilement s’il m’arrivait quelque chose.

Une fois que nous fûmes installés, je fis en sorte d’éviter ma mère autant que possible. Ce n’était pas difficile. Elle partait chercher du travail, et plus tard, quand elle trouva un poste, c’était les vacances d’été.

Quand il fut rassuré sur le fait que je n’allais pas me tuer en moto ou par tout autre moyen, Grand-père me laissa vaquer à mes occupations, tout en me faisant comprendre qu’il restait disponible pour moi à tout moment. Deux semaines après notre arrivée, je lui demandai ce que Maman lui avait dit sur la raison de notre présence ici.

– Elle nous a dit que Joe vous battait tous les deux. Mais j’ai l’impression qu’elle ne m’a pas tout dit, d’après la façon dont vous vous comportez l’un envers l’autre.

J’hésitai à lui dire la vérité. Il était d’un certain âge, et d’ordinaire, les personnes âgées avaient du mal à comprendre l’homosexualité. Mais j’avais besoin de parler à quelqu’un. Je pris le risque.

– Grand-père, j’ai rencontré un garçon là-bas…

Je lui racontai tout ce qu’il s’était passé, de ma révélation à Brian jusqu’à notre arrivée à Portland.

– Je suis gay, Grand-père, je le sais au fond de moi. Ce n’est pas juste une phase. J’aurais préféré qu’il en soit autrement, crois-moi, sauf en ce qui concerne Brian. Je l’aimais pour de vrai. Je crois que j’essaie de tromper mon chagrin.

Sa réaction me surprit :

– Je me doutais qu’il s’agissait de cela. Ecoute, mon petit, je ne t’ai vu que deux fois depuis que tu es né, et je doute que tu puisses t’en souvenir. Je fais donc ta connaissance comme si c’était pour la première fois. Connaissant Brenda, je doute que tu sois au courant, mais tu as un oncle gay à New York et une tante lesbienne à Boston. Est-ce que je les aime moins pour cela ? Bien sûr que non. Leur préférence fait partie d’eux-mêmes, et fait d’eux ce qu’ils sont. Je ne vois donc pas pourquoi je te considérerais différemment pour cette raison. D’ailleurs, dit-il en esquissant un sourire, maintenant que je suis au courant, je vais pouvoir te taquiner au sujet de tous les beaux garçons que tu inviteras à la maison.

Son visage s’assombrit soudainement.

– Je ne peux pas dire que j’aime la façon dont te traite Brenda. Mais je veux que tu saches que tu seras toujours en sécurité ici, à moins d’assassiner quelqu’un, évidemment. Je vais mettre ta grand-mère au courant, et je sais qu’elle le prendra bien. Peut-être qu’à nous deux, nous arriverons à modérer les réactions de ta mère, un tant soit peu. Nous verrons. Mais surtout, n’hésite pas à venir nous voir si tu as besoin de quoi que ce soit.

Je n’arrivais pas à croire que ce vieillard était aussi ouvert d’esprit. J’avais finalement trouvé quelqu’un auprès de qui je pouvais être moi-même, et qui m’aimait pour ce que j’étais, et non pour ce qu’il voulait que je sois.

Vous pourriez penser que Brian ne me manquait pas. Ce n’était absolument pas le cas. Je m’efforçais de ne pas penser à lui, sinon je me mettais à pleurer. Je détestais pleurer. Quand cela arrivait, c’était généralement au fond de la forêt, où personne ne pouvait me voir.

Je fis donc en sorte de m’occuper. Je participais aux tâches quotidiennes comme nourrir et brosser les chevaux, ou donner à manger aux vaches et aux poules. Grand-père m’aida à bricoler la moto, et elle tourna mieux que jamais. Nous travaillâmes sur le moteur pour le passer en 150 cm³. Un autre projet qui nous occupa fut de réparer une vieille guimbarde que Grand-père avait gardée dans un hangar derrière la maison. Elle avait besoin d’être rafistolée à l’extérieur comme à l’intérieur. Grand-père me promit que si nous la réparions avant mon seizième anniversaire, il me l’offrirait en cadeau. Il acheta même toutes les pièces de rechange de sa poche.

Finalement, ma mère nous trouva un appartement à Aloha, à environ dix kilomètres de chez mes grands-parents. C’était un petit trois-pièces, et ma chambre était juste assez grande pour que je puisse me changer les idées. Je ne voulais pas y aller, mais mes grands-parents insistèrent pour que je m’y installe afin de donner une nouvelle chance à ma mère. J’acceptai à contrecœur et ne tardai pas à regretter mon choix.

Ma mère était obsédée par le fait que je sois gay. Elle surveillait mes moindres faits et gestes quand j’étais à la maison, à la recherche de tout ce qui pourrait être « gay », et me hurlait dessus quand elle pensait avoir trouvé quelque chose. Elle ne me laissa aucun répit pendant les deux années qui suivirent.

Un jour, peu après notre emménagement, alors je me sentais déprimé, j’essayai d’appeler Brian pour la première fois. Je composai son numéro, et entendis un message automatique : « le numéro que vous essayez d’appeler a été bloqué. Si vous souhaitez… » Ma mère avait bloqué son numéro. Elle avait fait de même chez mes grands-parents. J’interrogeai mon grand-père à ce sujet, et il me répondit qu’elle lui avait fait promettre de bloquer ce numéro, et qu’il ne pouvait pas trahir sa promesse. Je réfléchis aux options qui me restaient. J’avais un peu d’argent, mais pas assez pour un appel longue-distance. Je ne connaissais personne qui aurait pu m’aider. J’étais coincé. Je décidai de lui écrire une lettre de temps en temps, mais je ne reçus aucune réponse. Je ne savais même pas si mes lettres lui parvenaient.

Je commençai la nouvelle année scolaire, et tout se passa bien, sauf que je ne m’amusais pas beaucoup sans Brian. Nos conversations et nos fous-rires me manquaient. Je m’inscrivis aux cours de maths, de sciences et d’anglais avancés. Tout se passait comme en Californie, sauf que Brian n’était pas là. J’évitais d’y penser.

Je fus admis dans l’équipe de football américain en tant qu’arrière-centre. Je n’étais pas le meilleur, mais je me défendais. Mon entraîneur s’avéra être homophobe. Je pris un malin plaisir à le tacler à chaque occasion qui se présentait. Tout comme je faisais avec les autres abrutis intolérants.

Le seul point positif à l’école était le groupe de soutien gay qui se réunissait tous les mardis après-midi. Je commençai à le fréquenter lorsque la saison de football se termina et me retrouvai avec des élèves de mon âge, mais aussi avec d’autres garçons et filles de 11 à 18 ans. Tout le monde était bienvenu à ces réunions, gay, bi ou hétéro. L’objectif était d’aider les personnes en quête d’identité sexuelle et leurs proches.

C’était rassurant de me rendre compte que d’autres personnes vivaient la même chose que moi. On ne me mit pas la pression pour parler de moi. Je le fis un jour de janvier. Je vidai mon sac, et tout le monde se montra compréhensif. Ils m’apportèrent leur soutien et me donnèrent des conseils pour affronter ma séparation avec Brian, ainsi que les rapports avec ma mère.

Personne ne nous insultait ou ne se moquait de nous, même s’ils savaient que nous allions au groupe de soutien. Un élève était venu à la réunion une fois et avait commencé à tenir des propos discriminatoires. Il avait été renvoyé pendant deux semaines et risquait une exclusion définitive s’il recommençait.

Je rencontrai mon premier ami le jour où je pris la parole. Il s’appelait Ray. Il avait un an de plus que moi et habitait dans une famille d’accueil, parce que ses parents l’avaient jeté dehors deux ans plus tôt, quand ils avaient découvert qu’il était gay. Sa maison était à mi-chemin entre l’appartement de ma mère et la ferme de mes grands-parents. Nous partagions la même passion pour la mécanique. Nous faisions des balades en moto dans les collines avoisinantes, juste pour le plaisir d’être ensemble. Je fus clair dès le départ sur le fait que je ne cherchais que de l’amitié, et rien de plus. Il me répondit qu’il comprenait. L’idée de sortir avec lui m’avait effleuré l’esprit, mais j’aurais trahi Brian en faisant cela, et il n’en était pas question.

Nous prîmes l’habitude de traîner ensemble. Nous sortions au cinéma ou au fast-food. Nous parlions de tout et de rien, de nos familles, des garçons que nous trouvions mignons, de voitures et de motos, bref, de nos peurs et de nos rêves.

Ray avait un visage agréable, des cheveux roux et des taches de rousseur. Il était musclé, presque trop, ce qui lui donnait un air trapu. Son corps prenait le dessus sur son visage, et certaines personnes ne le trouvaient pas attirant pour cette raison. Un jour, je lui demandai comment il était devenu aussi musclé. Il me répondit qu’on lui avait donné une hormone quand il était petit pour soigner une maladie, et que ce médicament avait affecté sa croissance. C’est pour cela que sa carrure était disproportionnée par rapport à sa taille.

Evidemment, ma mère détesta Ray dès le premier instant. Quand je fis l’erreur de lui présenter, elle m’accusa d’emblée de coucher avec lui, alors qu’il se trouvait dans la même pièce que nous. Je lui ris au nez, et nous quittâmes l’appartement sans prêter attention à ses protestations indignées. Je pris soin de ne pas inviter Ray chez moi ou chez mes grands-parents s’il y avait la moindre chance qu’elle soit là. Elle alla jusqu’à m’interdire de le voir. Je n’en fis rien.

Ray savait pourquoi j’avais arrêté de l’inviter et se montra compréhensif.

– Mes parents m’ont mis à la porte quand je leur ai dit que j’étais gay. Il m’ont donné quinze minutes pour prendre mes affaires et ils ont vendu ou jeté tout ce qui restait. Mais c’est la meilleure chose qu’il me soit arrivé. Ma famille d’accueil est géniale. Ils comprennent ce que je vis et me taquinent même sur le fait que je sois gay. Ils n’arrêtent pas de me demander si je trouve tel ou tel garçon mignon. Une fois, Jason a essayé de me caser avec un de ses amis. Ils sont très ouverts, et je peux tout leur dire. Ils essaient de faire en sorte que mes parents renoncent à leur autorité parentale pour pouvoir m’adopter.

J’étais content pour lui que les Patterson soient entrés dans sa vie. J’aurais bien aimé avoir des personnes aussi compréhensives dans la mienne.

Ray me présenta à sa famille d’accueil environ un mois après notre première rencontre. Kévin Patterson, son père adoptif, exerçait le métier d’avocat. Il était mince et son crâne était légèrement dégarni. Il dégageait une authentique joie de vivre et avait gardé l’esprit jeune. Je reconnus Sharon, qui était l’animatrice des réunions du groupe de soutien où j’avais rencontré Ray. C’était une personne enjouée, avec des formes généreuses. Elle pouvait aussi être sérieuse, et elle arrivait à contrebalancer les débordements juvéniles de Kévin.

Jason Patterson passait en première, était beau comme un dieu, et irrémédiablement hétéro. Il acceptait toutefois très bien l’orientation sexuelle de Ray. Ils avaient de longues discussions sur leurs différences et se respectaient mutuellement. La petite Joanne était une poupée de six ans, qui ne comprenait pas tout ce qui se passait autour d’elle. Mon cœur lui fut acquis dès le premier instant.

Lors de ma première invitation chez lui, un samedi après-midi, Ray convoqua toute la famille à l’exception de Joanne. Il leur parla avec une franchise à laquelle je n’étais pas habitué :

– Je vous présente Pete Jameson. Je l’ai rencontré au groupe de soutien. Il est gay, mais nous sommes juste amis. Nous avons les mêmes passions, et nous étions faits pour nous entendre. Et en plus, il est mignon, vous ne trouvez pas ?

Alors que Ray souriait malicieusement, tout le monde se présenta. Sharon me serra dans ses bras en me disant que j’étais bienvenu chez eux quand je voulais. Kévin me serra la main vigoureusement et me dit en souriant :

– Ray a raison. Tu es très mignon.

Je rougis instantanément. Jason me serra la main aussi, mais fut moins démonstratif que son père :

– Enchanté, Pete. J’espère que nous aurons l’occasion de faire plus ample connaissance.

Joanne choisit ce moment pour faire son entrée dans la pièce, manquant de me renverser. Elle avait de l’énergie à revendre. Elle s’accrocha à mes jambes jusqu’à ce que Kévin la prenne dans ses bras avec un cookie pour la distraire.

Sharon me prit à part et fit signe à Ray de nous attendre. Elle m’emmena dans la salle à manger et m’invita à m’asseoir.

– Je t’ai déjà vu au groupe du soutien, donc je pense que tu comprendras ce que j’ai à te dire. J’aime bien poser des questions aux garçons qui sont dans ta situation. Tu me trouveras peut-être indiscrète, mais la mère qui est en moi veut savoir qui tu es, d’où tu viens, et comment nous pouvons t’aider. Je veux donc que tu me racontes ton histoire à partir de la prise de conscience de ton homosexualité, que tu me dises à qui tu en as parlé, ce qui s’est passé, bref, je veux tout savoir. Pour pouvoir t’aider, il faut d’abord que je sache qui tu es. Est-ce tu es d’accord ?

Ray m’avait prévenu que je pouvais être moi-même ici, donc je lui racontai ce qu’elle voulait savoir, de ma rupture avec Ashley jusqu’à mon arrivée dans l’Oregon. Elle m’écouta attentivement, en posant des questions pour préciser certains épisodes. Elle sembla émue à certains moments, et contrariée à d’autres. J’avais l’impression de parler à une psy. Ce qui était normal, puisque c’était son métier, mais elle avait une vraie facilité à mettre en confiance les garçons comme moi.

Une fois que j’eus terminé mon récit, elle fit le tour de la table et me serra dans ses bras.

– Si jamais tu en as envie, viens nous voir, d’accord ? Peu importe le jour ou l’heure, promets-moi simplement que tu viendras ici. Nous t’aiderons. C’est ce que nous faisons.

Sharon me parla alors d’un autre fils qu’ils avaient eu. C’était le fils parfait, sauf qu’il était gay. Il n’avait pas su gérer la situation, et pensait que Kévin et Sharon le mettraient à la porte. Il tomba dans une profonde dépression et finit par se suicider. Avec des larmes dans les yeux, elle me dit que c’était ce qui l’avait poussée à s’engager dans la prévention scolaire, et ensuite à recueillir Ray. Kévin était spécialisé dans les affaires conjugales, mais maintenant il s’occupait aussi des mineurs gays qui avaient besoin d’une assistance juridique. Sharon me fit promettre que je viendrais les voir s’il m’arrivait quelque chose, et me donna leurs numéros de téléphone en cas de besoin. Elle me laissa regagner le salon.

Ray se leva quand je revins et me demanda :

– Alors, elle t’a fait son discours ?
– Oui. Elle s’est montrée très claire.
– Les Patterson sont très réceptifs. Le fait de perdre Jeff, il y a quatre ans, a été un drame pour eux. Jason envisage d’étudier la psychologie adolescente à l’université l’année prochaine. Il aura une longueur d’avance grâce à Sharon et il a beaucoup appris de la mort de Jeff. Il n’aura même pas besoin de sa mère, d’ailleurs. Nous avons beaucoup discuté ensemble quand je suis arrivé ici. Je crois que les discussions que nous avons eues sont celles qu’il n’a jamais pu avoir avec Jeff. Jason m’a posé toutes les questions qui lui torturaient l’esprit. Il continue de le faire, d’ailleurs. Il me demande ce que je ressens, ce que ça me fait quand je vois un garçon qui me plait, quels sont les difficultés que je rencontre. Parfois, je n’ai pas de réponse à lui donner. Mais c’est déjà arrivé que je rentre du collège avec l’envie de tuer quelqu’un, et il sait trouver les mots pour me calmer. Jason a un talent pour travailler avec les jeunes. Il a été animateur dans un centre de vacances pendant trois ans. Parfois, il m’invite à traîner avec ses amis. Ils sont tous au courant pour moi, et ça ne les dérange pas.

Ray fit une pause pour rassembler ses pensées.

– J’aime Jason comme un frère. En fait, je les aime tous. Tu me comprendras mieux quand tu apprendras à les connaître.

J’espérais en avoir l’occasion. Evidemment, je ne pouvais pas parler d’eux à ma mère, et c’était peut-être mieux si je n’en parlais pas à mes grands-parents non plus. Cela me rendait malade de leur cacher des choses, mais je pensais que c’était plus prudent ainsi.

Ray m’emmena dans sa chambre, qui était l’ancienne chambre de Jeff. Les Patterson avaient accepté de recueillir Ray après la mort de leur fils, un peu comme une pénitence, et finalement tout s’était passé pour le mieux. Je le voyais à la manière dont Sharon et Kévin regardaient leurs enfants, Ray y compris. J’espérais vraiment que l’adoption plénière serait accordée. Ray méritait d’être heureux. Quant à moi, je savais que je ne pourrais pas être heureux tant que je n’aurais pas retrouvé Brian.

Je me rendis compte que j’avais fait abstraction de tout le chagrin, de toute la culpabilité et de toute la peur que j’avais ressentis jusqu’alors, et je commençais à comprendre pourquoi. Je n’avais pas d’endroit où je me sentais suffisamment en sécurité pour pouvoir exprimer mes sentiments. Peut-être allais-je y arriver avec l’aide de Kévin, Sharon et Ray. L’avenir me le dirait.

Un jour, après les cours, je rassemblai assez de courage pour appeler Brian d’une cabine téléphonique. C’est Lisa qui décrocha.

– Allo ?
– Bonjour Lisa, c’est Pete.
– Bonjour Pete. Comment vas-tu ?
– Ça va. Est-ce que Brian est là ?
– Non, il est sorti. Nous ne l’avons pas beaucoup vu ces derniers temps.
– Pourriez-vous lui donner mon numéro de téléphone ?

Je lui donnai mon numéro et lui demandai :

– Comment va-t-il ?
– Il a eu du mal à se remettre de ton départ. Tu lui manques.
– Il me manque aussi. Dites-lui que j’ai appelé et que je l’aime.
– Je lui dirai que tu as appelé.
– Merci. Au revoir.
– Au revoir.

En raccrochant, je me sentis encore plus seul que d’habitude. Lisa n’avait même pas eu l’air surprise de mon appel. Je me demandai si elle allait vraiment lui dire que j’avais appelé. En fait, je n’étais même pas certain qu’il recevait mes lettres. Essayait-elle encore de nous séparer alors que nous étions à plus de 1500 kilomètres l’un de l’autre ?

Au fil des semaines et des mois, je passai plus de temps chez les Patterson que chez mes grands-parents. J’évitais le plus possible l’appartement de ma mère. Ce n’était pas chez moi, c’était chez elle. Ce sentiment était chaque jour un peu plus présent.

Nous eûmes une violente dispute un soir, environ un an après notre arrivée, alors que je rentrais de chez Ray. Nous fîmes un tel chahut que les voisins appelèrent la police. Quand elle arriva, ma mère était toujours en train de hurler que son pédé de fils sautait sur tout ce qui bougeait, y compris sur ce vaurien de Ray. Les policiers nous séparèrent et me confièrent à mes grands-parents.

J’avais été plutôt fier de ma capacité à étouffer ma douleur et ma colère jusque-là, mais mes grands-parents me démasquèrent. Ils me réconfortèrent, et je laissai échapper une partie de mon chagrin. Je pleurai un long moment, libérant suffisamment de pression pour pouvoir continuer à avancer. Cette nuit-là, je pris la résolution de quitter l’appartement de ma mère par tous les moyens.

Je demandai à ma mère si je pouvais habiter chez mes grands-parents. Elle devint immédiatement méfiante. Je lui expliquai que toutes mes activités se trouvaient là-bas, la moto, la voiture et les chevaux. De plus, elle ne rentrait jamais assez tôt pour m’aider avec mes devoirs, alors que mes grands-parents étaient toujours présents. Elle scruta mon visage à la recherche d’un signe de malhonnêteté. N’en voyant pas, elle accepta que je déménage, se félicitant sans doute de cette opportunité de se débarrasser de son dégénéré de fils.

Mes grands-parents se montrèrent compréhensifs, voire enthousiastes, à l’annonce de mon déménagement. Ils m’accueillirent chez eux en me donnant les règles de fonctionnement de la maison. Je devais les aider pendant la semaine, mais j’avais les week-ends pour moi.

Mes grands-parents demandèrent à ma mère de leur confier officiellement ma garde, tout en sachant qu’elle pouvait la révoquer à tout moment. Cela me convenait tout à fait. Je prévins l’école de mon changement d’adresse et des personnes à contacter en cas d’urgence.

Cela peut vous paraître étrange que ma mère accepte cette situation, mais elle avait d’autres priorités, comme son nouveau compagnon, Curt. Je fis sa connaissance peu de temps avant qu’il emménage chez ma mère, mais elle le fréquentait déjà depuis un an. Il me rappelait mon père à tout point de vue. Il avait sa silhouette, se comportait et parlait comme lui, jusque dans ses insultes. Ce fut un véritable festival quand ma mère lui apprit que j’étais gay. Je vous épargne les détails, mais je m’en sortis avec quelques bleus. C’est la semaine suivante que je demandai à déménager.

L’année scolaire se termina. Ray et moi étions devenus inséparables, mais c’était simplement de l’amitié. Nous passions des journées entières à la ferme, puis nous allions passer quelques jours chez lui. Les Patterson m’invitèrent même à les accompagner lors de leur séjour annuel de deux semaines sur la côte ouest de l’Oregon. Mes grands-parents acceptèrent volontiers de me laisser partir avec eux. Chaque enfant avait le droit d’inviter un ami, à condition que ses parents donnent leur accord. Je fus l’invité de Ray, Joanne invita une copine qui s’appelait Holly, et Jason invita un garçon qui entrait en seconde et qui faisait du sport avec lui.

Il s’appelait Jared. C’était, à n’en pas douter, le plus beau garçon que j’avais jamais vu. Je ne pus le quitter des yeux quand nous fûmes présentés. Ray dut me donner un coup de coude pour me réveiller. J’étais rouge de honte. Si Jared trouva ma réaction étrange, il le garda pour lui. Il se montra très sympathique, et fit tous les efforts pour nous inclure, Ray et moi, dans leurs activités.

Jared avait des cheveux châtain clair, des yeux verts et des traits fins. Plus tard, je découvris que son corps était bien dessiné. Il me faisait penser à un David de Michel-Ange. Je me surprenais encore à l’observer du coin de l’œil, mais il n’accaparait plus toute mon attention. Je crois que Jared aimait bien que je le regarde. Il me faisait un petit sourire quand il me prenait sur le fait. Ray réagissait avec moins de tact, me donnant des coups de poing dans le bras pour me taquiner.

Nous fîmes des randonnées, jouâmes au frisbee et au football, péchâmes, et nous détendîmes sur la plage. Toute la famille participa à une sortie en buggy, à côté de Florence, sur la Highway 101.

Il nous fallut quatre jours pour atteindre notre lieu de campement. C’était dans un parc national près d’une petite ville qui s’appelait Brookings. Nous avions traversé un autre parc sur le chemin, du nom de Waleshead State Park. Je m’en souviens parce qu’il y avait un grand rocher au milieu de la baie, qui ressemblait à une baleine sortant de l’eau. Un jet d’eau s’échappait du rocher, comme par l’évent d’un cétacé. C’était un spectacle magnifique.

La ville de Brookings se trouvait dix kilomètres plus loin. Le panneau à l’entrée de la ville indiquait 3500 habitants. D’après ce que je voyais, c’était surtout une ville de retraités, mais quelques enfants couraient ici et là. Une papeterie dominait la ville, avec sa cheminée qui crachait une colonne de fumée noire. Le vent soufflait vers la mer, et la fumée était rapidement dispersée par la brise. La rue principale de la ville me faisait penser aux années cinquante avec ses façades démodées, dont certaines menaçaient de s’effondrer. Il n’y avait même pas de McDonald’s !

Nous continuâmes sur une route qui longeait une rivière. Quelques kilomètres plus loin, nous découvrîmes le camping au milieu des arbres. Les emplacements, espacés de dix mètres environ, étaient disposés en arc de cercle sous les aulnes et les myrtes. J’eus soudain un accès de nostalgie en repensant aux forêts de Californie où je passais mon temps avec Brian. Ray remarqua que j’étais devenu silencieux et me poussa du coude.

– Ça va, Pete ?
– Oui, j’étais juste plongé dans mes souvenirs. Mon ancienne maison se trouvait près d’une forêt comme celle-ci, sauf que c’était une pinède.

Ray sentit ma tristesse et me tapota affectueusement l’épaule en chuchotant :

– Tu as le droit de te sentir triste. Surtout que c’est là … euh… que se trouve Brian.

Il avait une voix bizarre, comme s’il était troublé par cette idée.

Ses paroles me touchèrent droit au cœur. Je le regardai avec des yeux écarquillés. J’avais essayé de ne pas penser à Brian ces derniers temps, parce que la peine était trop grande. Clignant furieusement des yeux, j’essayai de chasser mes larmes, mais elles ne voulaient pas s’arrêter, et je finis par m’effondrer. Ray m’attira doucement contre lui, comme l’avait fait Brian à l’époque. J’appuyai mon front contre son épaule et pleurai toutes les larmes de mon corps. Jason et Jared me regardèrent avec empathie. Kévin et Sharon se turent.

Je sentis une petite main dans mon dos.

– Pourquoi est-ce que tu pleures, Pete ? Tu t’es fait mal ?

Joanne avait l’air inquiète. Je la rassurai, séchant mes larmes. Je lui dis que de vieux souvenirs m’avaient rendu triste.

– Alors essaie de penser à autre chose.

L’affaire était classée pour elle. Quant à moi, je me concentrai sur le moyen de retrouver Brian. Je décidai d’aborder le sujet dans la semaine, pour voir si Kévin ou Sharon pouvaient m’aider.

Nous profitâmes de notre séjour à Brookings pour faire des excursions, nager dans la rivière, pêcher, faire du rafting, et passer de bons moments ensemble. Jason et Jared décidèrent de rester avec Ray et moi. Il faisait chaud, et nous portions nos maillots de bain tout la journée. Nous vidâmes plusieurs tubes de crème solaire. Ray proposa d’étaler la crème sur le dos de Jason, et j’eus le privilège d’en faire autant pour Jared. Ils nous retournèrent la faveur.

Ce n’était peut-être que le fruit de mon imagination, mais j’eus l’impression que Jared aimait bien étaler la crème sur mon dos. Ses mains s’aventuraient sur mes côtes brièvement, puis revenaient sur mon dos. Quand nous fûmes complètement protégés du soleil, nous nous aventurâmes dans l’eau.

Nous faisions des combats deux contre deux, Ray sur les épaules de Jason, et moi sur celles de Jared. Les équipes étaient équitables, mais les rochers glissants avaient plus souvent raison de notre équilibre que nos assauts. Nous plongions d’un rocher qui surplombait la rivière. La rivière faisait cinq mètres de profondeur à cet endroit, mais ailleurs un banc de sable nous permettait d’avoir pied.

Il se trouvait que Jared faisait partie de l’équipe de plongeon à l’école, et il nous montra quelques techniques. Je devais être long à la détente, parce qu’il passa beaucoup de temps à corriger ma position et mes mouvements pendant les jours qui suivirent. J’avais toutes les difficultés du monde à contrôler mon excitation quand il modifiait la position de mon corps pour tel ou tel plongeon.

– Tu es vraiment doué pour le plongeon, Pete. Tu devrais rejoindre l’équipe quand tu reprendras les cours.

Il se mit derrière moi et redressa mes bras au-dessus de ma tête, légèrement en avant.

– Tu as un très beau corps, Pete.

Ce n’était peut-être pas que mon imagination, après tout. Je me retournai pour le regarder en face.

– Est-ce qu’il y a quelque chose que je devrais savoir ? Jason t’a parlé de moi, non ?
– Oui, il m’a dit que tu étais gay.
– Et toi ?
– Comment ?
– Tu es gay ? Tu cherches le contact à la moindre occasion, et tu prends du plaisir à m’enduire de crème solaire. Est-ce que je me trompe ?
– Tu as peut-être raison.

Je vis un air de panique recouvrir son visage, et il se raidit, comme s’il allait s’enfuir en courant. Je ne voulais pas l’effrayer, mais simplement tirer les choses au clair, pour éviter tout malentendu. Je posai mes mains sur ses épaules.

– Jared, tu es l’une des personnes les plus attirantes que je connaisse. Si j’étais libre, je tomberais dans tes bras et il faudrait un treuil pour me décoller de toi. Mais je suis fidèle à Brian. Nous pouvons être amis tant que la tension reste supportable, mais si la tentation devient trop forte, je serai obligé de déclarer forfait.

Je lui serrai les épaules plus fort pour mettre l’accent sur ce que je venais de dire.

– Je peux lire la réponse à ma question dans tes yeux. Tout va bien se passer, crois-moi. Je ne vais pas te laisser tomber. Je sais ce que c’est d’être abandonné. Je pourrais apprendre à t’aimer très vite, mais j’aime Brian par-dessus tout, et je l’aimerai toujours. Même si c’est une cause perdue.

J’avais horreur de perdre mes moyens. Et cela m’arrivait toujours quand je parlais de Brian.

– Je vois que tu es sincère. Parle-moi de Brian. Jason m’en a parlé, mais pas dans le détail. Je veux vraiment être ton ami, et j’aimerais comprendre comment tu es tombé amoureux de lui.

J’eus une hésitation. Pas sur le fait de me confier à lui, mais sur le fait de faire remonter toutes mes émotions à la surface.

– S’il te plait ? Je devine déjà qu’il te manque.
– Allons dans un endroit plus tranquille, d’accord ? Je risque de perdre un peu mes moyens.

Il acquiesça d’un air entendu et m’emmena dans une petite crique que nous avions découverte plus tôt dans la semaine, qui nous cachait de la plage. Je sentais déjà monter mes larmes, alors que je n’avais pas encore dit un mot. Nous nous installâmes sur le sable chaud.

– Brian est le garçon le plus charmant que je connaisse. Nous nous sommes rencontrés à l’école primaire…

Ce fut effectivement une épreuve émotionnelle. Je racontai mon histoire désormais familière, pleurai, repris le dessus, et pleurai de nouveau. Jared resta assis en silence, me posant des questions de temps en temps, et me serrant contre lui quand je pleurais. Quand je lui parlai de mon père, Jared se mit à pleurer avec moi. Nous restâmes blottis l’un contre l’autre pendant de longues minutes, laissant couler nos larmes, avant que je ne reprenne mon récit.

Jared se montra d’un grand soutien. Je crois qu’il partageait mon chagrin, et je lui racontai tout. A la fin, il me serra dans ses bras et dit simplement : « je suis désolé », plusieurs fois de suite. Nous nous balançâmes doucement et nous séparâmes finalement en souriant timidement. Je me sentis mieux pour la première fois depuis des mois, sans doute parce que j’avais enfin réussi à me délivrer de tout ce chagrin accumulé.

– Merci, Pete. Je sais que ça n’a pas été facile, mais maintenant je sais ce que tu ressens. J’espère que je peux encore être ton ami.
– Bien sûr que oui. J’avais simplement besoin de te raconter mon histoire, pour qu’il n’y ait pas de malentendu entre nous.
– Voilà qui est fait. Merci. Je crois que je devrais te rendre la pareille. Tu es prêt à entendre le récit de ma triste vie ?
– Bien sûr, mais comment un garçon comme toi peut-il avoir une vie triste? Toutes les filles doivent être à tes pieds ! Tu dois passer ton temps à les repousser !

Son rire était particulièrement plaisant. C’était un rire cristallin et sincère. 

– Chaque chose en son temps. Je suis né et j’ai grandi à Santa Barbara. Mon père travaillait comme ingénieur dans une entreprise qui fabriquait des disques-durs. Son entreprise a été restructurée, et nous avons déménagé à Portland, où il a trouvé un emploi chez Intel. J’avais dix ans quand nous sommes partis. L’année scolaire venait de commencer, et je me suis rapidement fait beaucoup d’amis. En arrivant au collège, je me suis consacré au football, au basket et à l’athlétisme. J’avais douze ans quand j'ai découvert que j’aimais les garçons, mais ce n’est qu’à l’âge de treize ans que j'ai pu y associer le mot « gay ». J’avais toujours été proche de mes parents, donc je les ai mis au courant immédiatement. Ils m’avaient souvent répété que je pouvais tout leur dire et me l’avaient déjà prouvé. Je n’ai donc pas hésité à le faire. Ils l'ont très bien pris. La première réaction de mon père a été de me dire : « et alors ? ». Maman m'a rassuré sur le fait que ça ne changeait rien pour elle. Ils voulaient juste que je sois heureux. Le fait d’avoir des parents aussi tolérants me fait un peu culpabiliser, quand je vois comment tes parents et ceux de Ray ont réagi.
– Tu ne devrais pas. Pourquoi culpabiliser alors que tu devrais t’en réjouir ? Tu as une famille qui t’aime, et tu devrais mesurer la chance que tu as. Ray et moi avons affronté nos familles, puis nous avons poursuivi notre chemin. Comme le dit Ray, le fait de nous avoir confiés à des personnes qui prennent soin de nous était ce qu’ils pouvaient faire de mieux. Donc ne te sens pas coupable d’avoir des parents qui t’aiment pour ce que tu es. Il se trouve simplement que ces personnes ont le même sang que toi. Mais ça ne veut pas dire que les parents adoptifs de Ray l’aiment moins pour autant. Il les aime comme s’ils faisaient partie de sa propre famille. Je les aime aussi, et j’ai aussi mes grands-parents. Ils me comprennent parce qu’ils ont élevé un de mes oncles qui est gay aussi. Donc ne te fais pas de souci pour nous, lui dis-je en souriant.

Il me retourna mon sourire.

– D’accord, j’essaierai d’y penser. Tu es prêt à rejoindre les autres ? C’est l’heure du déjeuner.
– Bien sûr ! Maintenant que tu en parles, j’ai une faim de loup.

Nous plongeâmes dans l’eau et suivîmes le rivage à la nage pour revenir au campement. L’eau paraissait glaciale par rapport au sable chaud de la plage. Quand nous arrivâmes, Ray et Jason finissaient de déjeuner.

– Où est-ce que vous étiez passés ? Nous vous avons cherché partout.

Ray avait l’air contrarié, peut-être même un peu jaloux.

– Désolé, Ray, mais nous avions besoin de discuter avec Jared, et je voulais lui parler de Brian.
– Pourquoi ?
– Parce que je voulais que nous soyons sur la même longueur d’onde.

Je me tournai vers Jared, qui vint à mon secours.

– Ray, je suis gay. Pete voulait être sûr que je comprenne qu’il était déjà pris.
– Par Brian ?

J’acquiesçai. Ray s’emporta soudainement :

– Quand est-ce que tu comprendras que tu ne le retrouveras jamais ? Qu’est-ce que tu vas faire ? Fuguer ? Demander à tes grands-parents de déménager ? Hein ? Pourquoi est-ce que tu ne peux pas m’aimer ?

Je le contemplai dans un silence horrifié.

– RAY ! s’exclama Jason, d’une voix autoritaire que je ne lui connaissais pas.

Je vis le visage de Ray passer de la colère à la consternation quand il réalisa ce qu’il venait de dire.

Je sentis soudain que mon âme s’échappait de mon corps, comme si je voyais la scène du dessus. Je me voyais debout, en face de Ray qui s’effondrait en larmes. Jared se tenait à mes côtés en silence, et me regardait avec une expression bienveillante sur son visage.

Avec un air terrifié, Ray fit demi-tour et partit en courant. Mon âme réintégra alors mon corps avec une telle violence que je tombai à terre, atterrissant sur les genoux. Je ne ressentais plus rien. Aucune peine, aucune colère, aucune tristesse. J’étais complètement engourdi, et j’entendis vaguement Jason appeler sa mère, avant de courir à la poursuite de Ray.

Je me penchai en arrière et m’assis par terre sur le sable, regardant en direction de l’endroit où Ray avait fait une percée dans les taillis pour s’enfuir. J’entendis des voix et regardai autour de moi, mais je ne reconnus ni Sharon, ni Jared. A quoi étais-je en train de penser ? Quelque chose d’important. Non, quelqu’un d’important. Quelque chose était arrivé à quelqu’un d’important, mais je n’arrivais pas à m’en souvenir. Grand-père ? Grand-mère ? Non, il ne s’agissait pas d’eux.

J’entendis qu’on appelait mon nom au loin, un appel urgent qui m’était adressé, mais bizarrement, je ne pouvais pas répondre. Ma voix restait enfouie tout au fond de ma gorge. L’appel fut répété à plusieurs reprises, mais je ne pouvais toujours pas répondre. Finalement, l’appel cessa et je pus revenir à mon problème.

Qui était en danger ? Quelque chose ne tournait pas rond. Qu’est-ce qui n’allait pas ? Je demanderais à Brian. Il avait toujours les réponses à mes questions. Il pourrait m’aider.

Sur cette pensée réconfortante, je me laissai gagner par le sommeil.


Note de l’auteur :

Je me rends compte que les chapitres 8 et 9 sont différents, et que certains d’entre vous n’aiment pas le cours qu’a pris l’histoire. J’espère simplement que vous patienterez pendant que je relate cette période douloureuse des vies de Brian et de Pete. Comme dans toute existence, certaines leçons doivent être apprises, et certaines d’entre elles sont douloureuses.


Chapitre 10

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